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Sunday Service Choir – Jesus Is Born

Kanye West, producteur exécutif de ce projet conduit par le Sunday Service Choir, l’avait promis : un disque entièrement consacré à la célébration de Jésus sortirait le jour de Noël. Une annonce pour le moins surprenante assortie d’un teaser posté, le 18 novembre 2019, sur le compte Twitter officiel de l’artiste : une photo capturée en studio réunissant Kanye et le légendaire Dr. Dre accompagnée d’un simple commentaire :

De quoi faire rêver les admirateurs de la première heure (et les autres)… Mais, par les temps qui courent, que valent réellement les promesses du natif de Chicago ?

A bout de souffle…

Son public, lassé des caprices de la star, ne croira, tout bonnement, pas à la parution du projet. Car cette annonce arrive après plusieurs rebondissements malencontreux dans la carrière de West : l’annulation pure et simple de l’album YANDHI à l’automne 2018 et la sortie repoussée de JESUS IS KING, paru le 25 octobre 2019 (presqu’un mois après la date prévue)… Le tout pour un résultat final mitigé. Et ce, pour une raison bien précise : Kanye y est omniprésent… Comme si sa mégalomanie avait, à nouveau, pris le pas sur le message qu’il entendait transmettre. Son Sunday Service Choir est, quant à lui, relégué au second plan… Au grand désespoir des auditeurs qui suivent, depuis un an déjà, les aventures de cette chorale et se délectent de la pureté et de la grandiloquence des voix qui la composent. Car, à cet instant, aucun support officiel n’a été édité et les auditeurs se contentent d’enregistrements sonores de mauvaise qualité ou de vidéos éparses mises en ligne au compte-goutte.

Pourtant, quelques grands noms apparaissent dans ses crédits : Kenny G. (saxophoniste qui a côtoyé la crème de la crème des artistes R&B des années 90), Clipse (groupe composé de Pusha T et son frère No Malice, réunis après plusieurs années d’inactivité), Ty Dolla $ign… Mais ces guests ne suffiront pas à sauver du naufrage JESUS IS KING : LP bâclé, sans direction artistique solide et difficilement écoutable dans sa totalité.

Mais Kanye, homme à la fierté connue, ne peut se résoudre aux critiques assassines et aux résultats commerciaux médiocres d’un album qui est censé clore une décennie de musique et, surtout, une année charnière dans sa carrière… Car il vient de consacrer une année entière de sa vie à une musique qu’on pourrait qualifier de « thérapeutique », censée matérialiser sa foi en Dieu et canaliser les troubles psychiques diagnostiqués chez lui depuis plusieurs années (bipolarité et schizophrénie). Une musique qui serait capable de panser ses plaies les plus profondes (notamment la mort tragique de sa mère, Donda West, en 2007). Non, il ne peut pas clore ce chapitre de sa vie sur un échec… Il doit revoir (totalement) sa copie. Il le sait pertinemment. Alors, il repart de zéro et travaille, en toute discrétion, sur un album qui sera, cette fois-ci, à la hauteur de ses ambitions et des attentes du public. Et ce, au plus vite car les fans, même les plus chevronnés, ont déjà pris de la distance vis-vis de lui et de ses récentes propositions musicales.

La résurrection

Les miracles de Noël existent peut-être… Pour preuve : Jesus Is Born est l’album que les fans attendaient. Tous les éléments qui ont fait vibrer des millions de personnes, pendant des mois, à travers le monde, y sont présents. Kanye West, le critiqué, le moqué, vient de rendre une copie quasi parfaite. Ce long format composé de 19 titres, s’avère convaincant de la première à la dernière seconde d’écoute.

Un disque, véritablement cousu au fil d’or, qui réserve une surprise de taille. Kanye n’y intervient à aucun moment, vocalement parlant, laissant le champ libre à sa chorale et à l’orchestre qui l’accompagne. Aujourd’hui seulement, on comprend l’intérêt de cette stratégie. Kanye a décidé de laisser au placard les mots qu’il ne contrôle pas et d’utiliser la seule forme d’expression qu’il maîtrise à la perfection : la musique dans sa forme la plus originelle. Et ce sont des traditions séculaires que West entend célébrer…

Un symbole fort pour celui que beaucoup d’afro-américains considèrent comme un traître totalement déconnecté de la réalité, perché en haut d’une tour d’ivoire depuis qu’il leur a publiquement craché au visage devant les caméras de TMZ en mai 2018 :

When you hear about slavery for 400 years … For 400 years? That sounds like a choice.

Le tollé médiatique est à la hauteur de l’affront. Kanye est en roue libre et les premiers touchés sont ceux qui l’ont soutenu depuis la fin des années 90 lorsqu’il n’était encore qu’un apprenti producteur chez Roc-A-Fella. Bien avant que son aura ne devienne planétaire et que Kanye ne se transforme en créature médiatique totalement incontrôlable. La rupture est totale… C’est ici qu’il faut chercher la raison d’être, voire la genèse de Jesus Is Born.

Alors pour reconquérir son public de toujours et obtenir son pardon, Kanye doit, coûte que coûte, redonner à la culture noire une place de choix dans son univers. Et, autant vous dire que West n’a pas prévu de faire les choses à moitié… Comment pourrait-il en être autrement ? Kanye West est, bel et bien, un descendant d’esclaves. Qu’il l’assume ou pas. Des personnes déportées, asservies et converties, de force, au Christianisme. Des êtres qui ont trouvé la force de résister à 400 ans d’esclavage grâce à une musique entonnée dans les champs de coton durant les journées de labeur : le Negro Spiritual, ancêtre du Gospel moderne.

Ce disque, totalement inattendu, est d’une extrême intensité et rend, enfin, grâce aux centaines de chanteurs qui composent le Sunday Service Choir. Des centaines d’afro-américains, pour la plupart, dont les voix résonnent ensemble chaque dimanche depuis un an. Un chœur toujours conduit par son chef charismatique aux allures de prêcheur, Jason White, dont la voix nous est devenue familière.

Ces chanteurs anonymes inondent nos cœurs et nos oreilles grâce à leurs voix angéliques. Ils sont la pièce maîtresse de cet opus : Kanye West en a décidé ainsi. Puissantes, capables de toucher le ciel et peut-être au-delà. Tous à l’unisson, ils délivrent une prestation qui nous file la chair de poule et va chercher les émotions les plus enfouies. Même chez les esprits les plus rationnels. Des chants d’une maîtrise totale. De quoi rester bouche bée… La beauté à l’état brut pour les amateurs de grande musique. Des harmonies à couper le souffle. Des variations qui flirtent, brillamment, avec les aigus et les graves. Durant, une heure et vingt-quatre minutes, des notes surhumaines viennent bouleverser nos esprits, de par leur justesse et leur profondeur. Et, nul besoin de réfléchir bien longtemps pour se rendre compte que pour ces vocalistes, chant rime avec vie.

Le retour aux sources

On se rappelle, au passage, qu’aux Etats-Unis la musique n’est pas une plaisanterie et qu’elle rythme le quotidien. Les écoles y sont un lieu d’apprentissage majeur mais les plus grands talents se sont formés sur les bancs des églises de quartier. Des églises qui ont façonné de grandes interprètes telles que Mahalia Jackson, Aretha Franklin ou encore Whitney Houston, pour ne citer qu’elles… Des voix qui repoussent véritablement les lois de la nature…

Quand on se penche sur la tracklist de l’album, on ne peut que constater combien la musique d’artistes afro-américains a influencé le projet. Il s’agit d’une synthèse de courants musicaux qui ont nourri et nourrissent, encore aujourd’hui, cette population : Soul, Gospel, House, Rap, R&B… Avec toutes ses frasques, on en oublierait presque que ces styles font partie intégrante de la discographie de West. Des influences qui ont été peu à peu abandonnées, au profit d’enregistrements plus expérimentaux et synthétiques. Mais par chance, West offre à ses fans tout ce qui a fait sa notoriété et nous balance, en pleine face, sa musicalité.

Tout du long, Kanye réaffirme ses influences musicales. Des chants profanes viennent tutoyer des chants religieux. Des chansons écrites, durant des décennies, par West et par d’autres venues enrichir le patrimoine culturel des afro-américains. Véritables laissés pour compte d’une société qui leur a fait subir l’impensable : l’asservissement, la ségrégation, l’emprisonnement, le lynchage, la discrimination… Car, même face à ces atrocités, les noirs américains n’ont jamais perdu l’espoir qui les habite. Résister encore et toujours… C’est précisément ce courage inépuisable, ce devoir de résistance et cette envie d’émancipation que Kanye West entend mettre en avant dans cet opus musicalement irréprochable.

Un événement nous a particulièrement marqué et nous a conforté dans l’idée qu’il souhaite tisser (voire renouer) un lien avec les populations laissées pour compte. Le 15 novembre 2019, Kanye, le Sunday Service Choir et ses musiciens ont investi les murs de la prison du comté d’Harris, au Texas. Ils y ont interprété deux concerts en une journée : un devant un public composé de femmes détenues et l’autre pour les prisonniers masculins. Une image forte dans un pays où la population carcérale est majoritairement afro-américaine… Le directeur de la prison résumera le tout en quelques mots :

Say what you want about the man but @kanyewest and his choir brought some light to people who needed it today at the Harris County Jail.

Un avenir incertain mais prometteur…

A l’issue de l’écoute de Jesus Is Born, la charge émotionnelle est puissante et le pari de West est gagné, sans l’ombre d’un doute. Mais est-ce suffisant pour que la communauté noire lui accorde son pardon ou que ses admirateurs le soutiennent comme au premier jour ? Nous n’en savons rien pour le moment et il est vraisemblable que les réactions sur le sujet seront tardives et diverses, tant les antécédents de Kanye sont lourds. Pourtant, à n’en point douter, Kanye a livré un disque grandiose : hommage incontestable à la culture afro-américaine.

Depuis, ironie du sort, West s’est terré dans le mutisme… Comme s’il avait tout dit sans qu’une parole soit nécessaire… Les médias, eux, ont déjà donné leur avis et ils sont, pour la plupart, élogieux… Comment pourrait-il en être autrement ? A l’heure où la musique est dictée par la superficialité, Ye vient de remettre au centre du débat musical l’essentiel en la matière : des voix d’une pureté invraisemblable accompagnées d’instruments acoustiques savoureux. De quoi susciter l’intérêt des mélomanes que nous sommes et pourquoi pas, panser les plaies des victimes collatérales des propos de la star.

Un album qui pourrait devenir une des pierres angulaires dans la carrière du Kanye, pour deux raisons : ce disque appartient au Sunday Service Choir et ne figure pas dans la discographie officielle de West. À cela s’ajoute la promesse faite par celui-ci : il ne souhaite plus faire de la musique rap son étendard et entend mettre sa créativité, uniquement, au service de Dieu. Un pari fou pour un afro-américain, descendant d’esclaves parti de rien qui, au fur et à mesure des années, a réalisé le rêve de toute une communauté… Un accomplissement énorme pour lequel Kanye Omari West se sent enfin redevable… Il n’est jamais trop tard, me direz-vous.


Cet article est une contribution libre de Audrey Rubègue que nous avons choisi de publier. Si vous aussi voulez tenter d’être publié sur BACKPACKERZ, n’hésitez pas à nous envoyer vos articles via notre page de contact.

Audrey Rubegue

Serait prête à suivre Stevie Wonder sur Saturne. Diggeuse professionnelle sur Spotify et collectionneuse de vinyles poussiéreux. Croit à la jeunesse éternelle.

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