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Stones Throw : petit label indépendant devenu grand

Jeunesse & Genèse (1996-2000)

Chaque label a une histoire, mais très peu sont aussi belles que celle de Stones Throw…

Stones Throw fut fondé en 1996 par Chris Manak aka Peanut Butter Wolf (PBW), DJ et producteur originaire de la ville de San José en Californie. Passionné de musique depuis le plus jeune âge, le gamin   économisait l’argent du déjeuner pour s’acheter  des 45 tours. Chris attrapera le virus du Hip-Hop au contact des premiers pressages des mythiques écuries de l’époque : Sugar Hill, Tommy Boys ou Cold Chillin records.  Le jeune Manak devint producteur et parvint même à placer un beat sur une sortie vinyl pour le groupe Lyrical Prophecy avec « You Can’t Swing This » en 1990. Cette même année, il rencontre Charles Hicks aka Charizma, MC alors âgé de seulement 17ans qui rime déjà comme un grand du rap. Ensemble, ils forment le duo Charizma & Peanut Butter Wolf et tenteront à tout prix de décrocher un deal avec un label pour sortir leur premier album. Alors qu’ils faisaient leurs premiers pas dans le monde de la musique avec un deal signé chez Hollywood Basics (du groupe Walt Disney), la carrière du duo s’arrêta net.  Un soir de décembre 1993,  Charizma fut assassiné par balle par un homme qui tentait de l’agresser. Après une longue période de doute et de réflexion, Peanut Butter Wolf, qui était titulaire d’un diplôme en Business Marketing, décida de lancer son propre label afin de pouvoir sortir, à titre posthume, le premier album de Charizma intitulé Big Shots, sur lequel on retrouve notre morceau introductif « Methods ». Ainsi fut jetée posée la première pierre.

Peanut Butter Wolf & Charizma (Source: thewire.co.cuk)

En 1995, PBW est attiré par le talent d’un jeune producteur californien qu’il découvre en écoutant le  morceau « Ill Psyche Move » du groupe Lootpack. Otis Jackson Jr. aka Madlib, fils de musicien, a déjà quelques faits d’armes à son actif avec une ou deux prods posées sur les deux premiers albums des Alkaholiks. Sans plus attendre, Manak signe Madlib et son acolyte Wildchild sur Stones Throw. En 1999, il sort Soundpieces: Da Antidote. Cet album sera encensé par la critique et connaitra un véritable succès underground. Bien qu’étant en partie une compilation des singles sortis par Lootpack entre 1997 et 1999, Soundpieces a bien la consistance d’un vrai album. En featuring, on trouve pas mal d’invités de la scène californienne de l’époque avec, entre autres, Medaphoar (qui deviendra par la suite MED), Oh No, Tha Alkaholiks  et les Dilated Peoples. C’est d’ailleurs ces derniers que l’on retrouve sur le génialissime « Long Awaited » que nous avons retenu  pour notre mix. Ce morceau est une pure illustration du génie du sample qu’est Madlib avec la superbe utilisation d’un échantillon du titre « UFO » du groupe E.S.G. Il  sera par la suite également samplé par J Dilla, Easy Mo Bee pour Biggie et plus récemment sur le morceau Waves de Joey Bada$$. Dans le mix, vous entendrez  « Hityawitdat », une track au groove lent et incisif avec son refrain ultra percutant qui sample Busta Rhymes.

1999, c’est aussi l’année de la sortie du premier album solo de Peanut Butter Wolf, My Vinyl Weights A Ton. Un big up à Public Enemy (« Miuzi Weighs A Ton » sur l’album Yo! Bum Rush the Show) et un album de qualité qui alterne breakbeats et sons en featuring avec les meilleurs lyricistes de son écurie. De cette œuvre massive, nous avons retenu le morceau « Breaks ‘Em Down » avec le rappeur originaire des Bahamas, Kazi, pour son énergie et pour la démonstration  lyricale du MC, qui à l’image d’un cypher, défie tout MC de venir le provoquer.

Quand j’ai signé Madlib, c’est comme si j’avais signé 15 artistes d’un seul coup.

Madlib and Peanut Butter Wolf

Voici les mots de Peanut Butter Wolf au sujet de celui qui un jour, alors qu’il était en train de poser sur une de ses productions, décida de rapper plus lentement, puis d’accélérer sa voix pour obtenir un rendu plus aigu. Ainsi vit le jour, Quasimoto ou Lord Quas, l’alter-ego un peu maléfique et débordant de Madlib. Alors que ce projet n’était voué qu’à être une  démo de plus parmi les centaines  que Madlib conserve dans son studio, PBW décida, qu’à l’aube de ce second millénaire, le Hip-Hop était prêt pour entendre les fantaisies de Lord Quas. Stones Throw sorti donc au mois de Juin de l’année 2000, The Unseen, album enregistré en une semaine, par un Madlib complètement éclaté aux champignons hallucinogènes… La recette Quasimoto est simple :  des instrus bien « raw », qui font bouger les têtes et des lyrics sur les thèmes les plus communs du rap : la fumette, les meufs, le « cassage de MCs »…

The new comers (2000-2006)

Début 2000, DJ J Rocc des Beat Junkies, aurait donné à Madlib une beat-tape d’un producteur de Detroit alors peu connu, un certain James Yancey aka J Dilla. Madlib, qui adorait ces instrus, avait enregistré des rap sur la plupart d’entre elles. Un de ces morceaux fut placé sur la face B d’un single de Madlib avec la mention Jaylib. Jay Dee découvrit ainsi par hasard, que Madlib, qu’il admirait, appréciait son travail de producteur. Désireux de rendre la pareille à son ainé, J Dilla demanda à Madlib de lui envoyer quelques beats afin qu’il puisse à son tour rapper sur son travail. Après quelques mois d’échange, durant lesquels Madlib et J Dilla ne se rencontreront en personne qu’à de rares occasions, l’album Champion Sound avait vu le jour. Bien que les deux compères n’aient pas passé une seule seconde ensemble dans un studio, l’alchimie Jaylib est parfaite. Elle est le résultat d’une complicité et d’un amour commun pour le son.  A mi-chemin entre un album et une mixtape, Champion Sound sonne brut : les instrus sont crades, mal mixées, les vocals ressentent la prise de son d’un « home studio » et c’est ce qui fait tout le charme de cet album : un ramassis de sonorités torturées durant des heures dans les machines de deux crate diggers.

En 2002, c’est une autre rencontre qui va faire passer Stones Throw du simple label de Hip-Hop californien à l’institution musicale reconnue par les mélomanes du monde entier.  Cette rencontre, c’est celle de Madlib et du rappeur MF Doom, qui sous l’alias Madvillain vont produire un album qui est considéré comme un des plus importants de l’Histoire du Hip-Hop par certains critiques (Pitchfork, All Music entres autres). Madvillainy est, en effet, un album de Hip-Hop radicalement différent des standards du genre : titres très courts, pas de refrain, des lyrics « abstract » et comme d’habitude, une avalanche de samples venus d’ailleurs qui font de chaque morceau un pastiche dense et un univers à part entière. Parmi ces 22 titres de qualité, notre choix s’est porté sur le sulfureux « Figaro », dont le titre fait référence au rejet des traditionnels bijoux arborés par beaucoup de rappeurs (un Figaro étant un type de chaîne en or).

« The rest is empty with no brain but the clever nerd

The best emcee with no chain ya ever heard “

Madvillain, Figaro

J’ai toujours été fasciné par la capacité de Peanut Butter Wolf à reconnaitre les artistes à fort potentiel, à flairer les collaborations parfaites, celles qui donneront lieux à des albums d’anthologie comme ces Jaylib ou Madvillainy. En 2004, PBW, sortira le premier album d’un certain Michael Jackson aka Oh No,  non pas la star de la pop mais  le petit frère de Madlib, qu’on avait pu découvrir sur le Soundpieces des Lootpack. Comme son ainé, Oh No est un artiste complet. Rappeur/producteur, il affectionne lui aussi l’art du sampling et réalisera par la suite des albums instrumentaux aux accents orientaux : « Dr. No’s Oxperiment » qui puise dans les musiques turques, libanaise et grecque et « Dr. No’s Ethiopium » composé uniquement à partir de samples de musique éthiopienne. De l’album «The Disrupt, nous retiendrons surtout le classique « Move », produit par J Dilla. Construit sur un simple accord d’orgue, ce morceau a une dimension quasi sacrée et mériterait un jour d’être joué dans une église. Dans le clip, on aperçoit une panthère, une grand-mère et un J Dilla venu défendre son beat, lui qui, d’après Madlib, n’aurait pas toujours été crédité pour son travail…

C’est d’ailleurs dans cette volonté de faire rayonner l’héritage de Jay Dee que Stones Throw ressort en 2007 l’EP Ruff Draft, qui avait été préalablement pressé en petite quantité par le label Mummy Records. Le Ruff Draft de Stones Throw, remasterisé par les ingénieurs de Stones Throw, contient également 4 titres supplémentaires auxquels s’ajoute une version instrumentale de l’EP. L’album alterne titres rappés et instrumentaux et contient certains des titres les plus expérimentaux de J Dilla comme « Nothing Like This ». On note la présence de Guilty Simpson sur le morceau « Take Notice » et du duo Frank’N’Dank sur le très bon « Let’s Take It Back » que nous avons retenu pour notre mix.

J Dilla and Madlib on stage

Le futur de Stones Throw

Actif depuis bientôt vingt ans, on pourrait s’interroger sur le futur du label. Seront-ils capables de sortir à nouveau des classiques comme  Madvillainy ou Soundpieces ?
Les dernières années semblent prouver que Stones Throw et Peanut Butter Wolf sont encore bien décidés à marquer le Hip-Hop. Tout d’abord, Madlib, prolifique, comme à son habitude, continue d’explorer d’autres univers musicaux avec sa série Beat Konducta (exploration sonore du cinéma, de l’Inde) ou avec son groupe de jazz Yesterdays New Quintet. Il s’est également lancé dans une ambitieuse série de mixtapes intitulée Madlib Medicine Shows, c’est d’ailleurs sur le dernier opus de ce projet que l’on retrouve le génial remix de « For the Nasty » de Q-Tip et Busta Rhymes, présent sur le mix. Plus récemment, Madlib nous a également prouvé qu’il était toujours un des meilleurs producteurs de Hip-Hop boombap avec Yessir Whatever, dernier album de Quasimoto, sorti l’année dernière. C’est sur cette galette que l’on retrouve le jouissif « Planned Attack » qui invite (par le sample) Jeru the Damaja au refrain.

On retrouve encore Madlib à la production sur l’album du groupe Strong Arm Steady, In Search of Stoney Jackson, qui est considéré comme un des meilleurs albums Hip-Hop de 2010 , notamment  par  Phil Freeman, de All Music, qui compara même cet album au Paul’s Boutique des Beastie Boys. On y retrouve pas mal d’invités de la scène underground californienne et de l’entourage Stones Throw : Phonte, Planet Asia, Evidence et même Talib Kweli sur le titre « Get Started ». Magnifique hommage au Hip-Hop 80s avec le sample de Roxanne Shanté. Ce morceau est, selon moi, un des plus réussis de l’album avec un beat assez lent qui fait bien bouger la tête.

En plus des vieux tôliers qui continuent de tenir la baraque, Stones Throw compte également dans ses rangs, de jeunes (et moins jeunes) recrues qui lui promettent un avenir radieux. On pense notamment, au rappeur/producteur Jonwayne. Celui-ci n’est pas présent dans le mix mais on vous recommande fortement d’aller écouter son dernier album Rap Album One ainsi que le très bon Bowser, collection d’instrumentales d’inspiration 8-bit, sortis en 2011. Dans les bonnes surprises de 2013, on compte également la montée en puissance du MC originaire du Queens, Homeboy Sandman, qui a rejoint le label après avoir mis un terme  à sa carrière d’enseignant au primaire. Lyriciste hors pair, son sens du jeu de mot a été remarqué au-delà de la sphère Hip-Hop puisqu’il écrit régulièrement pour The Huffington Post. Le morceau que nous avons choisi de partager avec vous est, « Musician » du très bon EP All That I Hold Dear, sorti en 2013.

Au fil des années, Stones Throw a également su se diversifier en ouvrant ses portes à d’autres genres musicaux : rock, musique électronique, funk etc… Peanut Butter Wolf dit ne se fixer aucune barrière : la seule règle est de sortir la musique qu’il aime. Le jour où cette musique ne se vendra plus, ce sera la fin de Stones Throw… En attendant on vous laisse déguster les Donuts de J Dilla 🙂

Long live Stones Throw !

2One

Mix Stones Throw (1996-2013) by 2One by The_Backpackerz on Mixcloud

Antoine Bosque

Receleur de discographies sur Emule dans les 2000's. Illmatic addict, mais adepte du rap c’était mieux maintenant. Digging in the cloud pour le meilleur et parfois pour le pire.

View Comments

  • Très bon article et mix bien pensé !
    Un petit truc qui aurait mérité d'être mentionné par rapport aux collabs récentes et au talent de "dénicheur" de PBW : la collab Dam-Funk x Snoop Dogg ! Grooooosse réunion inattendue et au final groossse tuerie !

    • Salut PatViagra et merci pour ton commentaire.
      A vrai dire, j'ai longtemps hésité à parler de "7 Days of Funk" lorsque j'écrivais l'article car c'était la toute dernière sortie du label. Mais, honnêtement, j'ai été un peu déçu par le projet certes de qualité mais assez plat. A l'exception de "Hit Da Pavement", l'album m'est davantage apparu du niveau d'une mixtape qui rendrait un peu hommage à la période P-Funk de Snoop qu'un projet artistique réellement abouti.
      Ca se discute j'en conviens :)
      2One

  • Un article sur stones throw méritait même pas au mois une demi-ligne sur Dam-Funk pauvre petite salope de puriste de mes couilles ?

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