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Steve Lacy – Apollo XXI

Pas facile de se concentrer sur ses aspirations artistiques personnelles lorsque l’on est sollicité en permanence par ses pairs. Après avoir prêté main forte sur quelques uns des albums les plus marquants de ces derniers mois, de Kali Uchis à Solange sans oublier Blood Orange et le regretté Mac Miller, Steve a tout de même trouvé le temps de s’enfermer dans sa chambre d’ado pour composer en son nom propre. C’est dire que le timide guitariste en a parcouru du chemin depuis son rôle de producteur exécutif sur le joyau Ego Death en 2015, alors qu’il n’avait que 16 ans ! Vient maintenant l’étape symbolique du premier album. Apollo XXI se place dans la continuité logique et comme digne successeur du très bref mais attrayant Steve Lacy’s Demo, son EP paru en 2017.

Une certaine idée du groove

Steve Lacy, c’est avant tout un producteur à la couleur bien reconnaissable, alors qu’il ne se trouve qu’aux prémisses de sa carrière. Il emprunte autant au charme bricolé de la bedroom pop qu’à la moiteur de la funk tout en rajoutant un léger soupçon de hip hop. C’est cette rencontre fusionnelle des genres qui a su séduire aussi bien un Kendrick Lamar qu’un groupe comme Vampire Weekend plus récemment. Avec Apollo XXI, Steve peut enfin explorer pleinement ce brassage réjouissant tout en équilibre.

Dès les premières pistes de l’album, on a comme l’impression d’assister à une jam session dans le cocon de l’artiste où chaque idée qui traverse son esprit prend vie. Steve Lacy n’a que faire des structures classiques. A peine l’écoute entamée que l’on tombe déjà sur « Like Me », morceau labyrinthique et fougueux de 9 minutes dont nous parlerons un peu plus tard. En pleine possession de ses moyens, il fait ce que bon lui semble sans que rien ne paraisse forcé ou au contraire trop cadré. Sa maîtrise se trouve dans la spontanéité. On est autant surpris par l’arrivée d’un sitar sur l’enivrante mise en bouche « Only If » que lorsqu’on le découvre rappeur nonchalant en clôture sur « Outro Freestyle/4ever ». Ce fan absolu de Lil Uzi Vert et de Prince nous présente sa propre version du groove, où cohabitent pédale wah-wah et boîte à rythmes brute de décoffrage.

« This is about me and what I am »

L’auteur-compositeur-interprète-guitariste, bassiste et producteur au CV plus qu’impressionnant a voulu se dévoiler dans ce premier album. Ainsi, c’est le titre « Like Me » qui attire tous les regards, et ce à juste titre. Le Californien s’exprime sans complexe sur sa bisexualité dans cette suite de divagations stylistiques s’étirant sur près de dix minutes. Accompagné par Daisy, une proche collaboratrice de The Internet, il y interpelle directement l’auditeur en délivrant un message d’acceptation de soi :
« How many out there just like me? How many out there? How many work on self-acceptance like me? »
Cet instant de bravoure s’avère malheureusement moins puissant que son auteur l’espérait probablement. La faute à un mixage qui sonne toujours aussi « demo » qu’à ses tout débuts, ainsi qu’une mauvaise gestion de ce morceau tiroir avec ces pauses à répétitions qui dilue malheureusement son propos. Plus on avance dans les pérégrinations romantiques de ce brave Steve et plus on reste sur notre faim. Des morceaux tels que « In Lust We Trust » ou bien « N Side » se révèlent assez maigres et convenues en substance malgré l’évidente sensualité qui miroite à la surface. Mais pas de quoi bouder notre plaisir. La plume du doux rêveur devrait s’affiner à l’avenir tout comme son appétit actuel pour le bidouillage sonore.

Trouver sa voie/x 

A force de prêter ses services pour d’autres, on a du mal à discerner distinctement les contours de la personnalité du talentueux Steve Lacy. Justement, lui se voit comme un caméléon prêt à trouver la place juste dans n’importe quelle situation, c’est ce qu’il expliquait il y a peu dans une passionnante interview pour  i-D :

« J’aime à penser que je suis un caméléon, qui s’adapte à toutes les situations qui se présentent à lui, que ce soit musicalement ou dans la vie. » 

Pour célébrer son 21ème anniversaire et la majorité qui l’accompagne, Steve fait preuve d’une certaine assurance pour un premier album éclectique à l’ambiance décomplexée, bien que sa timidité et sa retenue se fasse encore sentir. Au même titre que Syd et Matt Martians lorsque The Internet n’était un duo, le jeune crack de l’équipe devrait suivre les traces de ses compères quand ils ont décidé de sortir de leur chambre d’ado pour s’ouvrir à d’autres horizons. En effet, le processus créatif en vase clos commence quelque peu à atténuer la fraîcheur de sa musique. Une chose est sûre avec cet Apollo XXI, c’est que nous sommes en train d’assister sous nos yeux à la naissance d’une future légende !

Simãozinho

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