Soulection, la succes story d’un label 2.0
Qui aime la Beat Music et suit ce qui se passe dans l’actualité musicale ne peut avoir manqué le label Soulection. Et même si c’était le cas (shit happens), il est certain que ses oreilles ont déjà été taquinées par l’un de ces artistes – Sango, Esta., Abjo ou encore le français Evil Needle pour n’en citer que quelques uns – dont l’inspiration musicale a façonné l’identité sonore du label. Alors que le label californien sera de passage à Paris pour une nouvelle Soulection Party dans le cadre du festival FUTURE!, on a décidé de passer à la loupe une des plus belles success story que l’industrie musicale aura vu fleurir à l’ère numérique.
Bien sûr tous les goûts sont dans la nature mais cette team de passionnés et de débrouillards inspirés à réussi à catalyser, à la manière des maisons de disques qui florissaient dans les années 50 à 70, les talents de leur époque. Facile à écrire, plus encore à lire mais tellement difficile à réaliser quand on voit l’étendue de la proposition musicale actuelle et combien la médiocrité y a sa part. C’est d’ailleurs en adoptant ce point vue d’une curation musicale indispensable que Joe Kay a posé les premières pierres de ce qui deviendra plus tard le Soulection Radio Show avec un podcast qui s’appelait à la base Illvibes.
Retour sur le succès de l’aventure Soulection et sur les nouveaux modèles qu’il draine, à cheval entre l’avant-gardisme et un mouvement de hanche calé sur le beat qui régit l’industrie musicale depuis l’avènement de l’économie numérique.
Beat, Rhymes and Life
Finalement Soulection, c’est une bête histoire de communauté. Une communauté dont le ciment est la passion pour la musique et qui a la particularité de ne reconnaître aucune frontière ; qu’elle puisse être politique, économique, voire même culturelle. Soulection se revendique d’une clé de voûte unique, un langage universel et commun : l’amour de la musique. Derrière ces bons mots, il y a quand même des initiateurs qui ont su proposer un modèle jusqu’alors inédit en s’appuyant sur les outils à leur disposition.
A l’origine Joe Kay mixait simplement les morceaux qui inspiraient ses soirées et qu’il débusquait sur les comptes MySpace de ses producteurs préférés. Il apparait donc clairement que l’aventure Soulection est indissociable de l’émergence de l’ère numérique puisque tous ses outils d’expansion et mécaniques de recrutement et de promotion usent de ce biais. Mais en sachant épouser la finalité de cette révolution : rapprocher les hommes de passion commune d’abord via les réseaux connectés puis dans la réalité lors de shows regroupant des dizaines de milliers de fans.
À la base, le levier numérique permettait de débusquer les pépites tapies dans les méandres de l’Internet. Le producteur ou le beatmaker inspiré qui soufflait un son qui faisait la liaison entre le hip-hop et l’électro et dessinait les contours de l’émergente Beat Scene dont Flying Lotus, Ta-Ku, Elaquent ou encore le français Onra étaient les premiers représentants comme nous le rappelait Emmanuel Forlani, co-dirigeant de Free Your Funk et premier organisateur à avoir amené les soirées Soulection à Paris :
J’ai pas mal suivi la scène « post J Dilla » à partir de 2006/2007, que l’on appelait à l’époque la Beat Scene et qui comprenait aussi bien Flying Lotus, Ta-Ku, Dibiase, Knx, Afta-1, Shigeto, Elaquent, Gaslamp Killer, les labels Alpha Pup, Tokyo Dawn….et dont Onra quelque part était le seul représentant français. Soulection a commencé à faire parler de lui plus tard comme une sorte de version 2.0 de cette scène…sortant de l’aspect purement Beat pour inclure des éléments plus Soul et R’n’B….ils faisaient partie de la myriade de labels/collectifs qui essayaient d’éclore…
E. Forlani
La Beat Scene assume ainsi la déclinaison plus trap d’une musicalité dopée à la MAO et dont les beats downtempo très travaillés sont l’héritage direct de J Dilla. Adossé à des beats hip-hop rafraîchissant à l’aide de volutes de basse des musiques parfois traditionnelles au rythme langoureux, la musique traquée par Joe Kay et ses premiers acolytes (Andre Power et le Français Guillaume « 96 » Bonte, futur fondateur du label Cosmonostro), n’avait pas encore vraiment de nom mais de plus en plus de fans.
Les premiers mixes postés par Joe Kay, qu’il diffusait sur une web radio locale de Long Beach, Californie (K Beach Radio), lui valent une jolie notoriété et lui permettent justement de rassembler ses premiers fidèles en compilant dans des mixes les perles qui ont flatté ses oreilles. Et après 300 émissions de radio, c’est encore Joe qui raconte le mieux la genèse et l’ADN de Soulection :
Soundcloud et les premières compiles
En diffusant son show radio sur SoundCloud (à partir de juillet 2013 et la 137e émission), Joe Kay possède deux avantages : d’abord il est en connexion directe avec les centaines de tracks qu’il joue dans son émission mais surtout, la plateforme naissante lui permet d’atteindre producteurs et auditeurs sans difficulté. Une belle anecdote illustre parfaitement ce postulat : celle qui a fait de l’Australien Ta-Ku l’un des premiers fers de lance de cette nouvelle aventure.
En 2011, alors que le « néo-label » vient tout juste de sortir sa première compilation – sur laquelle on retrouve une vingtaine de beatmakers dont le français GETEYE – Joe Kay est contacté par le beatmaker australien Ta-Ku, qui vient de réaliser une mixtape qui regroupe tous les morceaux que ce dernier a été capable de produire en 24 heures. Quelques semaines plus tard, Soulection release cette compilation de 13 morceaux qui sortira le talent de Ta-Ku de l’anonymat et poliront davantage l’image avant-gardiste et rafraîchissante de la franchise.
Passé de San Diego à L.A, le label commence alors à devenir le centre de quelque chose d’intéressant, qui secoue la boue artistique et attise l’intérêt d’une communauté de « beat nerds ». Sans bouger de son bout de Californie, Kay a amorcé un mouvement qui draine ses premiers fans comme nous l’expliquait Evil Needle, seul représentant français de l’écurie Soulection :
« J’ai été contacté par Joe Kay sur Soundcloud en 2010. Il avait écouté mes sons et voulait que je lui file quelques morceaux pour son podcast Illvibes, à l’époque dispo sur podomatic.com. Il m’a alors parlé de son projet Soulection qui était à l’époque un show radio couplé à un label. Il me proposait aussi de release un EP avec eux car il venait de lancer le Bandcamp Soulection pour la tape de Ta-Ku. A l’époque il n’y avait rien du tout dans cette vibes beat music. Les seuls artistes qui évoluaient dans ce style étaient pris pour des geeks : FlyLo, Samymiam, Dibiase, Afta-1, Elaquent… Donc évidemment, le projet de Joe Kay de rassembler et célébrer tout ça m’a plu. »
Evil Needle
Ta-Ku – « Another Day »
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Soulection, navire amiral de la Beat Music
L’esprit de communauté est au centre du process créatif de Soulection. C’en est même le ciment qui abat les frontières de genres, de couleur ou de culture. Seuls comptent le talent et l’inspiration artistique. Et justement, il est intéressant de constater que le succès de Soulection est aussi dû au style musical dont il fait la promotion : la Beat Music. Ce style musical, dont Soulection est la référence, entretient une ascendance directe avec le hip-hop et notamment la science du rythme d’un certain J Dilla. Basée sur des rythmiques plutôt downtempo et des influences aussi diverses que le hip-hop, la soul, la samba, les musiques folkloriques brésiliennes, haïtiennes ou même népalaises et qui, en en décomposant en syncopes électroniques leur essence, a tout pour charmer les oreilles taquines et appréciant les jeux de pistes.
Pas de frontières on vous dit. L’exemple le plus marquant est certainement celui de Sango. Originaire de Seattle, biberonné au hip-hop des années 2000 dont il a appris seul à décomposer les nappes sur Fruity Loops, sa signature inspirée du rythme baile funk est maintenant indissociable de l’intégration dans sa musique de sonorités brésiliennes qu’il est allé chercher sur les collines surpeuplées des favélas de Rio, d’où il a ramené la série des Da Rocinha, qu’on vous recommande très chaudement.
Sango – « Agorinha »
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D’une web radio et d’un groupe de mélomanes et amateurs de nouvelles vibes, les créateurs ont réussi à constituer un label, entre-temps devenu garant d’une curation et d’une acuité musicale respectées aux quatre coins du monde. C’est d’ailleurs sur cette observation que la team Soulection des débuts n’a pas hésité à lancer ses premières soirées. Face au succès de l’émission de radio et à l’explosion de sa notoriété sur les réseaux sociaux, la marque Soulection est devenue un label de qualité et un signe fédérateur pour toute une communauté.
Et avec un roster d’artistes présents sur les cinq continents, l’idée d’organiser une tournée mondiale n’a pas tardé à germer dans l’esprit des curateurs du label. En adoptant une attitude d’amateurs de belles choses qui chatouillent les oreilles et parlent au corps, les créateurs de Soulection se sont donnés une image (portée par pas mal de spontanéité et une belle couche de marketing bien pensé) de gens cools, de curateurs avisés, de personnes qui se battent pour vivre de leur passion et finalement faire écho à une philosophie de vie bohème bien ancrée dans l’air du temps.
Sans compter qu’on parle de faire la fête et que la pieuvre Soulection est capable d’organiser simultanément plusieurs soirées dans le monde vue l’étendue de son roster et l’universalité que représente sa musique. Ce réseau d’artistes nichés aux quatre coins du monde est d’ailleurs un autre élément remarquable de Soulection. Voyez plutôt…
Un modèle économique dont le numérique est l’engrais
On reconnaît bien souvent la pertinence d’un modèle, surtout en matière économique au nombre de concurrents qui se déclarent. Soulection a inspiré espoirs et réussites et ses initiés sont nombreux. Si le terme de concurrent est un peu impropre surtout dans une industrie dont la clé de voûte, au départ, est le partage d’une passion, disons qu’il est indéniable que l’histoire de l’émergence d’une radio au rang de label a inspiré beaucoup de passionnés dont nous sommes certainement.
Mais d’ailleurs, c’est quoi le « modèle » Soulection ? Après avoir commencé par passion, les fondateurs du label (Joe Kay en tête) se sont aperçus qu’avec la transformation de l’industrie musicale, ce sont la scène et les soirées qui sont les activités les plus rémunératrices. S’il est très difficile de chiffrer les bénéfices et donc de quantifier la pertinence et la portée du modèle adopté par Soulection, on sait que l’entreprise prospère et ce grâce à de grandes tendances :
- Miser un maximum sur la scène et l’organisation de soirées
- Diffuser les Soulection Radio Shows sur une plateforme à forte visibilité (SoundCloud et même Beats 1 depuis peu)
- Créer une marque forte avec un univers et une identité visuelle « universelle »
- Développer un merchandising à des prix « premium »
- Adopter une attitude disruptive par rapport aux anciens modèles en proposant des compilations gratuites ou en « offrant » régulièrement la discographie complète du label
Mais difficile d’expliquer le succès de Soulection uniquement par de simples observations sur leur stratégie marketing. La vraie force du label est aussi (et surtout) d’avoir réussi à imposer un sceau de qualité comme pouvaient l’être Stones Throw ou le label Rawkus à la fin des années 90. Ce qui est intéressant dans l’oeuvre de Soulection, c’est que bien que les artistes évoluent dans des univers parfois très distincts, il existe une vraie continuité artistique entre les nombreuses releases du label.
Aussi, en prenant la partie de ne « pas vendre sa musique », Soulection a fait le choix de s’appuyer sur sa marque et sa communauté, plutôt qu’uniquement sur ses « produits ». La véritable valeur du label n’apparaît ainsi pas uniquement dans son catalogue mais également dans sa notoriété, les valeurs qu’elle incarne et dans sa communauté. Et les marques et sponsors ne s’y trompent pas à l’image du célèbre Stussy avec qui Soulection a collaboré en 2014 pour une compilation regroupant les artistes de l’écurie de L.A. CQFD, l’ADN est préservé et la musique devient un nouveau moyen de communiquer pour les marques.
« A l’époque la Beat Music était très peu connue. Ils ont réussi à créer une vraie marque fédératrice de tout ce mouvement, au delà du label. Tout est très clean du logo aux shows qui sont très éclectiques donc à force ça a fini par intéresser beaucoup de monde, du public, aux artistes en passant par les sponsors. »
Evil Needle
The Sound of Tommorow ?
Si Soulection est devenu une véritable marque, on pourrait aller jusqu’à dire qu’elle est un label au sens plein du terme. Et le plus beau, c’est que c’est la qualité de ses curations qui en assure la pérennité. Cette approche est radicalement différente de ce à quoi les maisons de disque hypocondriaques nous ont habitué. Joe Kay, Andre Power et d’une certaine manière, Guillaume Bonté ont créé une communauté d’amoureux de musique, de diggers, d’artistes iconoclastes au service d’un hip-hop 2.0 qui va maintenant chercher ses samples au delà de la soul, du funk, du jazz et meurt d’envie de le partager. En rompant avec les modèles précédents ou en épousant leur époque, ils ont su renouveler le genre tout en mettant en avant une nouvelle scène musicale. Le tout presque par accident. Par la passion et la force de pénétration des réseaux sociaux.
S’ils ont depuis appris à gérer leur succès en s’organisant – avec une team qui atteint désormais une bonne dizaine de personnes comme nous l’explique Evil Needle – le succès qu’ils ont rencontré était escompté mais probablement pas à cette échelle. Tout est singulier dans la réussite de Soulection : la manière dont cette histoire s’est construite, la « magie » de rapprochement que permettent les réseaux web, la promotion d’artistes et d’une musique nouvelle, la rapidité et l’échelle de cette expansion, et surtout comment la passion a conduit quelques personnes inspirées à vivre de ce qui les fait voyager.
Les prochains projets sont difficiles à imaginer. Tout simplement parce que l’exercice est très particulier. Cela dit, quand on considère le chemin parcouru en quelques années, on est en droit de se demander comment Soulection va continuer. En organisant des soirées ? En brandant leur marque ? En proposant, à la manière de Dre, du matériel de musique ? En créant des franchises dont l’activité de curation et de mécénat dépasserait le cadre du hip-hop ? Difficile à dire. Pour le moment, on leur souhaite longue vie, de belles idées et de la réussite. Ce qu’on se met dans les oreilles en dépend aussi.
Le label Soulection en 20 tracks
Et pour compléter cet article, notre DJ résident Gentle Rain a compilé pour vous une playlist non exhaustive de 20 tracks qui ont marqué l’histoire de Soulection, depuis sa création dans la chambre de Joe Kay à San Diego et jusqu’au studio flambant neuf de Beats 1… Bonne écoute !
Gagnez vos places pour la Soulection Party à Paris
Comme expliqué en début d’article, le label débarque à Paris ce vendredi 24 mars pour une nouvelle soirée qui aura lieu au Faust et qui verra se relayer aux platines Sango, Esta, Joe Kay, Hannah Faith ainsi que The Whooligan.
En tant que partenaires du festival, TBPZ est heureux de vous proposer de gagner vos places pour la soirée ci-dessous.
Pour participer, rien de plus simple :
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Les gagnants seront tirés au sort et prévenus par réponse d’e-mail jeudi 23 mars.
Infos et réservation : Event Facebook
Remerciements : Emmanuel Forlani, GETEYE et Evil Needle.