Auteur de talent, Sofiane Pamart, qui a déjà collaboré avec une bonne partie du rap français, semble inarrêtable. Koba LaD, Vald, Demi Portion, Scylla, le S-Crew… la liste des artistes qui ont eu la chance d’être accompagné par le piano du jeune virtuose donne le vertige. Citoyen du monde, Sofiane ne se fixe aucune limite. Le pianiste compte d’ores et déjà un nombre de singles d’or et de platine qui pourrait rendre jaloux pas mal de monde mais ne parait pour autant jamais rassasié.
Suite à deux albums en collaboration avec le rappeur belge Scylla, c’est en solo que Sofiane semble aujourd’hui vouloir se faire connaitre. Avec comme seule arme son piano, il offre donc à son public un album empli de liberté, d’émotions, de parfums et de couleurs. Nous avons souhaité poser quelques questions à cet artiste multi-casquettes, ainsi qu’à ceux qui ont eu la chance de collaborer avec lui. Notamment Scylla, Médine et Demi Portion. Rencontre avec un artiste que rien n’arrête.
BACKPACKERZ : Sofiane, tu débutes la musique autour de tes 3-4 ans. Quel est ton premier souvenir de musique ?
Sofiane Pamart : Ce sont toutes les bandes originales de musiques de films que j’entendais à la maison et que j’avais alors envie de reproduire. Je pense que le premier, c’est Le Parrain. C’est un thème que j’ai joué super tôt car il me plaisait beaucoup et ensuite, quand tu joues le thème d’un film, il y a la famille qui s’accroche à ça. Du coup tu, le joues aux réunions familiales et autres. Quand tu es un enfant, tu es content d’être valorisé ainsi, encore plus quand on a découvert que j’avais l’oreille absolue.
Justement, on naît avec l’oreille absolue ou ça se provoque ?
C’est un peu des deux. L’oreille, ça se travaille mais il y a aussi une part d’inné. Il y a des gens qui ont tout construit pour y arriver et d’autres qui partent avec des facilités. Moi, je fonctionnais en associant des sons à des notes.
Tu as été au conservatoire jusqu’à tes 25 ans. Que retiens-tu de cette période ?
J’ai fait beaucoup de choses au conservatoire, c’est un cursus très long. On parle souvent de ma médaille d’or, mais en fait, j’ai eu d’autres choses derrière encore plus dures à obtenir, qui sont vraiment spécifiques au milieu. J’ai aussi donné des cours. Aujourd’hui hélas je n’ai plus le temps d’en dispenser. Ça m’a apporté évidemment toute la technique et j’ai eu la chance de côtoyer les plus grands maîtres, qui ont su me transmettre une vie d’amour de la musique. Je cite souvent Henri Barda, qui est un immense pianiste et le plus grand musicien que j’ai rencontré. C’est quelqu’un qui ne vit que pour la musique, qui se tourmente pour la musique, pour le meilleur et pour le pire.
La musique, c’est un peu une histoire de famille chez toi, puisque ta sœur est violoniste et commence à t’accompagner sur certaines scènes. Ton frère est également pianiste. Vous avez beaucoup joué ensemble ?
Oui, tout à fait. Je suis l’aîné de la fratrie, j’ai commencé à jouer du piano et ma mère voulait vraiment que nous fassions tous de la musique. C’est donc devenu un parcours obligatoire pour chacun de nous et c’est vrai que ça apporte beaucoup, quand tu es enfant. On joue en effet ensemble, mais toujours de manière instinctive, spontanée. Parfois je suis sur une composition, ma sœur entend quelque chose qui l’inspire, elle sort son violon et va rajouter une ligne et ça, c’est vraiment une fierté .
À quel âge tombes-tu dans le rap ?
Assez jeune, autour de mes 7 ans avec l’album Prince De La Ville du groupe 113, que j’ai saigné à ce moment-là. Depuis, je n’ai jamais cessé d’écouter du rap.
Je ne veux pas faire une musique morose, je veux rester dans quelque chose de positif.
Il y a quelques temps dans une interview, tu déclarais vouloir être la personne qui rapporterait le piano dans le rap. Aujourd’hui, on peut dire que c’est chose faite. Pour autant, le piano n’a pas toujours eu la même forme dans le rap: il a longtemps consisté en des boucles samplées. Toi, tu as remis au goût du jour l’utilisation du piano avec de vraies compositions. Comment appréhendes-tu ton travail dans le rap ?
Au départ, en effet, j’ai voulu faire ce qui se faisait classiquement dans le rap, avec un travail davantage tourné autour des boucles. Par la suite, j’ai évolué vers plus de « lâcher prise » pour être conforme avec la musique actuelle tout, en gardant une certaine profondeur et sans être relou. Je ne veux pas faire une musique morose, je veux rester dans quelque chose de positif. Je veille aussi à ne pas tomber dans la facilité, à toujours rester dans une certaine qualité d’émotion.
Comment se déroule ton travail en collaboration avec les beatmakers ?
J’ai mes beatmakers sûrs avec qui je bosse beaucoup : Dioscures, Skuna, Seezy ainsi que Loxon. À chaque fois, je vais être l’étincelle de départ en proposant une mélodie ou une suite d’accords. Je vais donc proposer un premier pas, puis derrière, c’est un match qui s’enclenche avec le beatmaker. On s’envoie alors la balle jusqu’à l’élaboration complète du morceau. En général, les beatmakers apprécient de m’avoir avec eux, car ça leur donne un véritable apport extérieur.
Vald – « Journal Perso 2 » (prod. Sofiane Pamart & Seezy)
Est-ce le même procédé que pour l’élaboration de Pleine Lune avec Scylla, à savoir partir d’une émotion pour élaborer la mélodie ? Ou est-ce différent ici ?
C’est soit une émotion, soit juste en posant mes mains sur le clavier. Quelque chose peut en sortir rapidement. Dans tous les cas, c’est dans le dialogue que je travaille. Le beatmaker va réagir à une mélodie que je viens d’élaborer et c’est ça qui va me pousser à encore aller plus loin.
« Il maîtrise son art, il est extrêmement précis en sachant de quoi il parle. Il possède une aisance dans la musique au sens large. Il a su se poser les bonnes questions au bon moment en venant du classique et en ayant des attirances pour les musiques urbaines. Le trait de caractère que j’apprécie le plus chez Sofiane, c’est son ouverture: même lorsqu’il n’est pas d’accord avec un propos ou une esthétique, il est toujours là à se remettre en question vis à vis du sujet avant de s’exprimer. C’est vraiment sa force, ce qui va le faire durer dans le temps et ce qui fait qu’il arrive aussi bien à s’adapter à différents styles de rap : de Scylla à Koba LaD par exemple. Son spectre large d’intervention musicale vient de cette ouverture ».
Du coup, le process semble assez rapide?
Oui, c’est toujours très rapide. Je fais des sessions d’une demi-journée max. Je fais ce travail de composition en plus de ce que je fais en solo, car ce dernier me prend énormément de temps. Comme je suis assez rapide, je peux vraiment me permettre de jouer sur les deux tableaux. Après, il a des artistes pour lesquels je m’engage d’avantage et pour qui je peux consacrer une semaine entière.
Tes dernières compositions semblent avoir pris une nouvelle ampleur : je pense par exemple à Koba LaD, pour qui tu a produit le morceau « Matin », ou encore Vald, avec qui tu enchaînes les single d’or et de platine. Qu’est-ce que cela représente pour toi ?
Déjà sur ce point, je suis gourmand, donc ça va continuer. De plus, il y a un effet boule de neige, un premier succès en appel d’autres et ces derniers en appellent encore plus. Quand j’atteins un objectif et que je finis par l’obtenir, je me fixe d’autres objectifs, sans pour autant lâcher ce que je viens de m’accaparer. Quand je prends un territoire, je ne le lâche pas. C’est donc le cas ici pour le rap. À présent, mon grand défi en solo, c’est de faire que ma musique soit internationale. J’ai vraiment besoin et envie de m’exporter et l’avantage du piano, c’est qu’il n’y a pas de parole. La musique n’a pas de frontière. J’ai déjà pas mal de signaux positifs de l’étranger et c’est sur ça que je vais bosser à présent. Et à côté, continuer de faire des singles d’or avec des rappeurs.
Koba LaD – « Matin » ft. Maes (prod. Sofiane Pamart & MOC)
Concernant ta collaboration sur la durée avec Scylla : comment expliques-tu cette synergie entre vous ?
C’est assez incroyable, on a atteint un tel niveau de connaissance de l’un de l’autre que l’on n’a plus besoin de se parler. On a passé énormément de temps ensemble et aujourd’hui, c’est un acquis. Entre nous, c’est instantané. Aujourd’hui, nous n’avons plus besoin de passer beaucoup de temps ensemble pour produire quelque chose de qualité. Et c’est la même chose sur scène d’ailleurs. Il y a une grosse compréhension artistique entre nous.
Pour Pleine Lune 2, il me semble que, contrairement au premier volume, vous avez quasiment tout fait à distance ?
Exactement, comme aujourd’hui nous sommes vraiment connectés, on a pu faire tout à distance et c’est ce qui a permis de proposer autre chose aux auditeurs. L’aventure de Pleine Lune 1 s’était déjà déroulée, il était important pour nous de revenir avec autre chose.
« Ce qui m’a marqué chez Sofiane avant tout, c’est son intelligence émotionnelle, sa capacité à capter une émotion et la rejouer. C’est ce qui fait la force d’un musicien et il m’a souvent épaté à ce niveau-là. Je me souviens de moments où on cherchait un truc dans une pièce et là j’ai une émotion qui naît en moi et sans que j’en parle encore, il a déjà couché sur son piano cette émotion. C’est une véritable éponge émotionnelle. C’est quelqu’un qui fonctionne par fulgurances, soit ça vient immédiatement, soit ça ne vient jamais. Il ne va pas chercher pendant des heures une note. Son autre grande qualité est son enthousiasme. Il est sans cesse émerveillé par ce qu’il vit et il communique cet enthousiasme et cette force positive autour de lui. »
Ton projet solo est résolument tourné autour du thème du voyage. Comment est née cette idée ?
Elle est née dans le désert avec mon manager et mon frérot Guillaume Héritier, à un moment où j’avais besoin de prendre un peu de recul sur les choses. C’était dans la région berbère du Maroc d’où je suis originaire. On s’est isolé de tout et on a commencé à imaginer des choses. Je n’avais pas de piano et je devais donc mémoriser toutes mes créations. De là, quand j’ai commencé à lui en parler, on a très vite conclu qu’il fallait faire un projet autour de destinations à travers le monde. Il a vraiment une part importante dans mon travail, car il va trouver toute l’extension visuelle des émotion que je vais chercher et c’est super important dans le processus créatif.
Quand tu composes tes mélodies, passes-tu par les partitions ?
Ça part toujours par le piano. Quand je n’ai pas de piano, je mémorise, mais je ne fais jamais de partition. Ecrire des partitions, pour moi, c’est super long. Donc mes partitions, on les transcrit par la suite, car on me les réclame souvent et ça prend un temps fou.
Toute la composition de ce projet ne s’est pas faite dans le désert, si ?
Non. J’avais des thèmes forts en tête et quand je suis rentré et que je me suis retrouvé face à un piano, j’ai pu développer ces thèmes. Ensuite, lorsqu’un thème me venait, il me faisait penser à une ville comme Séoul, par exemple, alors-même que je n’y étais pas encore allé. Lorsque j’ai enfin la chance d’y aller, ça confirme cette émotion, cette ambiance, jusqu’au moment où j’arrive à un édifice qui me plait et me convient.
Du coup, quand tu clippes “Séoul” en Corée, c’est ta première venue dans la ville ?
À ce moment-là, j’ai déjà fait une bonne partie du morceau et je l’ai terminé sur place. Comme dans le clip, il n’y a pas de playback, ce n’est pas gênant.
C’est important d’emmener le plus de gens possible avec toi quand tu veux devenir un phénomène populaire
Qu’as-tu envie que le public retienne de ce premier album solo ?
J’ai envie que les gens se disent que je suis trop chaud au piano et que je devienne leur pianiste préféré, en leur faisant vivre une aventure forte quand ils m’écoutent. C’est important d’emmener le plus de gens possible avec toi quand tu veux devenir un phénomène populaire. Émotionnellement, j’ai envie que tout le monde ait un désir d’évasion, de voyage et de liberté en m’écoutant, que chacun sorte de sa zone de confort. Comme il n’y a pas de parole, ça laisse la place à chacun de mettre ce qu’il veut sur cette musique.
La cover est une référence à tes origines berbère…
Oui, je suis métisse. Ma mère est d’origine berbère, même si elle est née en France. Je suis la seconde génération à naître en France, mais j’ai gardé cette attache forte. Je n’oublie jamais ce qu’il faut pour arriver là où j’en suis. Aujourd’hui, je suis pianiste et quand je regarde d’où venait mon grand-père, qui travaillait dans des mines de charbon, je vois le chemin parcouru. On dit souvent : “from the bottom”. Eh bien moi, c’est plus : “from under the ground”, littéralement. Je n’oublierai jamais mon histoire familiale, on est responsable de ce que l’on fait, mais aussi des vies qui ont eu lieu avant nous et qui ont permis d’arriver où nous sommes aujourd’hui.
Est-ce qu’on peut imaginer que, finalement, c’est cette histoire familiale forte qui te drive au quotidien et qui fait ta force de caractère ? Car ce qui crève les yeux en t’écoutant et en te fréquentant un peu, c’est ce moral d’acier.
C’est la hargne de se faire tout seul de génération en génération. C’est un truc qui m’a marqué depuis que je suis tout petit, ça se transmet dans l’éducation mais aussi dans l’émotion et l’instinct. Mes grands-parents se sont bagarrés, mes parents aussi et à chaque fois, on arrive à un nouveau palier et le but, c’est d’atteindre le palier suivant. Cette hargne qui est en moi, c’est clairement mon histoire familiale qui fait ça.
Tu as encore du temps à consacrer à tes projets entrepreneuriaux ?
J’ai mon label d’édition dans lequel, pour le moment, je n’ai pas signé grand monde, car j’estime qu’il faut déjà arriver à une certaine échelle à titre perso. Les personnes que je vais signer, je souhaite leur proposer quelque chose de très ambitieux, donc je dois faire mes preuves d’abord.
« J’avais fait un son qui s’appelait « Juste Un Piano » puis j’ai découvert son travail avec Scylla. On s’est checké sur les réseaux et je lui ai proposé de faire un son sur l’idée d’un nouveau « Mon Dico ». Il m’a envoyé la piste deux heures après, j’ai posé dans la foulée, tout ça sans jamais le rencontrer. Un artiste hip-hop comme on en fait peu! »
Tu avais aussi comme ambition de réaliser des musiques de film. Où en est ce projet ?
J’avance avec des réalisateurs. Pour le moment, on est à l’étape de se découvrir, on commence des créations mais c’est beaucoup plus long dans le cinéma, là où la musique est plus spontanée.
Tu vas aussi fouler les planches de L’Olympia l’année prochaine avec Scylla.
Je suis trop chaud ! Les lettres rouges et tout… Même si j’ai déjà eu l’occasion d’y jouer, là, ça va être particulier.
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