Deux bons mois plus tard, le 21 février, est sorti l’EP Phoenix. Une date pas choisie au hasard par le rappeur de Safi, correspondant au 21ème jour du deuxième mois de l’année 2021. Un chiffre suprême dans la numérologie symbolisant la perfection, l’intégrité et toute la puissance de l’unité. Posons le décor, ou du moins le fond vert. L’interview s’est faite par écrans interposés en darija (langue-toit rassemblant plusieurs variétés d’arabe dialectal parlées au Maroc) grâce à la précieuse aide de Chaimae Charifi. Cela a permis à Small X de se livrer à cœur ouvert, de parler de son retour dans sa ville natale, de la nouvelle génération du rap marocain et de la précarité de l’industrie musicale au Maghreb.
Depuis le morceau “Kssiri” avec Dosseh, qui veut dire “accélère” en darija, tu penses avoir pris de la vitesse dans ton ascension artistique ?
Quand le morceau « Kssiri « est sorti, je faisais toujours partie de Shayfeen (duo qu’il formait avec Shobee). C’est quand j’ai décidé de me lancer en solo que ma carrière a pris une vitesse nouvelle puisque je ne pouvais plus me baser sur la notoriété, notamment médiatique, de Shayfeen. J’avais eu pour challenge de tout recommencer à zéro ou presque. Les chiffres de streaming de mon nouvel EP Phœnix sont, pour moi, la preuve que je suis sur le bon chemin : l’expérience de plus de dix ans avec Shayfeen m’a énormément appris sur moi-même – l’artiste et l’humain – mais, aujourd’hui, j’ai plus de liberté artistique en solo.
Si tu avais grandi aux États-Unis, ta musique n’aurait évidemment pas été la même. Mais penses-tu que ta courbe d’évolution aurait été plus rapide ? J’imagine que le rap marocain, et l’industrie en général, a passé un certain cap depuis ces dernières années.
Si j’avais grandi aux Etats-Unis, je n’aurais peut-être pas eu la même manière de penser la vie, mais si on parle exclusivement du talent et de l’énergie d’un Small X évoluant aux US, je crois que j’aurais déjà fait un featuring avec Drake. En réalité, je pense que le marché de l’industrie musicale connaît une nouvelle vie avec la démocratisation du streaming. Naturellement, la connexion entre des artistes marocains et de grands artistes dans le monde pourra se faire si on persévère et qu’on perce à travers cette bouffée d’espoir que représente le streaming musical. Très sincèrement, je pense que le rap marocain est capable d’atteindre une renommée mondiale. Ce qui compte à mes yeux est que les artistes marocains demeurent solidaires dans leurs interactions avec les géants de l’industrie musicale mondiale mais aussi locale.
Cet attrait de l’industrie musicale française pour le rap marocain se manifeste de plus en plus. Notamment avec votre apparition dans la playlist Deezer La Relève. Quel regard portes-tu sur ce phénomène ? Est-ce que tu comptes capitaliser dessus ?
Depuis qu’on a commencé le rap, on a toujours eu cette vision d’exporter notre musique au-delà des frontières. Quand les labels français se sont tournés vers la scène rap marocaine, non seulement ils ont capté la qualité du son mais aussi l’expression visuelle. Ils ont été face à des rappeurs avec une vision artistique fraîche, un nouvel air. En France, j’apprécie beaucoup des artistes comme Laylow, Josman, Wit, Dosseh ou Booba, parce qu’ils sont originaux selon moi. Mais je suis plus branché rap US, UK ou encore scandinave avec Jonas.
Cela dit, les labels français ont beau admettre l’influence musicale que peuvent avoir des artistes marocains sur la scène hip hop française et dans le monde, c’est la manière dont ils traitent ces mêmes artistes qui est problématique. Leur jugement sur nous est politique. Quand ton propre pays ne valorise pas ton art, comment est-ce que tu peux aspirer à ce qu’un pays étranger te traite à ta juste valeur ? La collaboration des rappeurs marocains avec le collectif Naar illustre parfaitement bien cette injustice qui m’attriste profondément. Une belle expérience certes, qui a permis une ouverture du rap marocain sur le monde et, à la suite de la tournée, un intérêt de plusieurs grands labels qui ont pu signer avec des artistes marocains comme ElGrandeToto et Issam. En revanche, alors que l’album Safar avait fini par être vendu à une major, les deals de départ avec les artistes marocains étaient carrément minables, exprimant simplement un manque de respect envers nous.
L’art est quelque chose d’à la fois concret et impalpable. Au Maroc, on dit que l’art n’est au final pas compris, du moins pas pris au sérieux pour ceux qui n’en vivent pas. Pourquoi à ton avis ? Et que faire pour changer cette mentalité ?
La vérité est que tous les domaines au Maroc sont en galère. Nous manquons énormément d’infrastructures de base. Les arts restent donc en arrière-plan, considérés comme superflus. Les artistes se battent pour enregistrer leurs sons et filmer des clips pour qu’au maximum, le public puisse se rapprocher de leur vision artistique. Fuck la société. Merci Internet: voilà ce que je pense. Il est difficile de nager à contre-courant de la société mais on a tous le droit de croire, et ce de manière ferme, que c’est possible. Il faut donc que cette nouvelle génération continue d’apprendre à manier le langage d’Internet, afin de réaliser leur potentiel sur des assises solides, que ce soit dans les arts ou le savoir de manière générale.
Dans le documentaire réalisé par Fatim Zahra Bencherki, on comprend bien que Safi est une petite ville et qu’il faut donc trouver le moyen de s’occuper. La réflexion a donc de l’importance. Quand tu fais de la musique tu fonctionnes plutôt à l’instinct ou tu réfléchis beaucoup en amont ?
Safi est ma source d’inspiration. Je pense que mon EP Phœnix est en grande partie réussi parce que j’ai décidé d’y retourner durant le confinement pour enregistrer la démo chez moi, dans mon studio. Ensuite, en novembre, j’ai pu le finaliser avec XCEP. Pour ce qui est de mon procédé pour créer, c’est quasi instinctif. Tout me vient naturellement. Je ne force rien. Si je suis inspiré, je crée. Durant la maquette de cet EP, j’étais entouré de mes enfants. J’ai travaillé lentement et me suis éloigné de toute source de stress. Je rentrais au studio quand je le sentais et non à la suite d’une injonction quelconque.
Dans ce même documentaire, tu utilises l’image du boxeur pour parler de combativité, de l’idée de s’en sortir. Le morceau « XXL » est-il une preuve que tu n’es plus un poids plume mais que tu boxes maintenant dans la cour des grands ?
Prenons l’exemple de parents qui n’ont pas les moyens pour que leur enfant aille à l’école. Généralement, cet enfant se construit un vrai sens de la responsabilité et comprend que ce dont il rêve ne se réalisera pas avec facilité. Il comprend qu’il doit se battre et compter sur lui-même mais surtout il capte la valeur d’une chose ou d’une opportunité qu’on lui offre. Ces mêmes parents qui sont limités financièrement aspirent pour une certaine sécurité et stabilité pour leur enfant (qui en fin de compte va le maintenir dans une certaine précarité) et ne comprendraient pas que ce dernier prenne des risques.
Ce risque, je l’ai pris à 16 ans parce que j’ai compris que j’avançais lentement dans ce que je faisais mais que j’avançais tout de même. Malgré que je me confrontais à la condescendance du regard des autres, je continuais à donner de la valeur à ce que je créais parce que leur regard est simplement différent du mien. La résilience est comme une suite logique. Avec une vision claire et une belle âme, tu assimiles que si tu donnes à la chose aimée toute ton énergie et ta réflexion, peu importe les obstacles et le temps que ça prendra, tu y arriveras. Finalement, ce n’est pas qu’une question de talent. L’humain l’emporte sur l‘artiste.
L’énergie est un terme qui revient souvent dans ton vocabulaire : transmettre la bonne vibe au public, donner de la force aux jeunes… Saurais-tu me dire quelle énergie contient ton EP Phoenix ?
J’ai grandi dans un quartier chaud où les jeunes préféraient être en prison qu’en dehors. Il n’y a rien à faire dans les rues. Si je n’avais pas rencontré la musique, si je n’avais pas eu l’éducation que j’ai reçu de ma tante, si je n’avais pas été arrosé de tendresse et d’amour, j’aurais pu être comme un de ces jeunes en prison (en plus de la prison identitaire qui ne te motive pas à être ce que tu voudrais être, à aller de l’avant). C’est parce que je sais bien à quel point il est difficile de sortir de la précarité que je suis porteur d’un message qui aspire à motiver les jeunes à se sauver eux-mêmes.
Je suis contre les rappeurs qui encouragent les jeunes à consommer de la drogue ou voler. J’estime que si l’artiste n’a pas conscience (ou qu’il s’en fout) de l’influence négative qu’il puisse avoir sur ces jeunes, qu’il recule. De nature j’ai toujours été une source de motivation. Ce n’est pas quelque chose que je calcule. Mon père, ma tante, ma famille est comme ça. Ma tante s’est sacrifiée, ne s’est pas marié afin de nous éduquer. J’ai eu la chance de comprendre le sens de l’amour.
Ton 1er EP solo Phoenix est sorti depuis le 21 février. Le chiffre 21 a une place importante dans ton projet non ?
Un chiffre qui me suit… Avec la sortie de l’EP le 21 février et qui dure 21 minute, sans préméditation. Personnellement, je l’interprète comme des signes du bon Dieu qui me communique que je suis sur le bon chemin.
Phoenix comptait plus de 1 million de streams 6 jours à peine après sa sortie. Tes attentes étaient-elles si élevées ?
A chaque fois que j’y pense, je remercie Dieu pour les décisions que j’ai prises. Je suis reconnaissant envers ma femme qui a toujours été à mes côtés, à faire des concessions pour que ça marche. Je suis aussi reconnaissant pour le soutien de Hakeem, mon manager, qui est là depuis le début.
A quoi aspires-tu pour la vie de ton EP ? Ainsi que pour ta carrière ?
J’essaie de ne pas trop penser à l’avenir afin de vivre le présent. Les projets musicaux pour les deux prochaines années sont en marche. Avant même de finir Phœnix, je commençais déjà à travailler sur un autre projet. Je n’aime pas tellement parler du futur de ma carrière. Je préfère laisser ma vision artistique le faire pour moi.
Ton mot de la fin ?
Je souhaite que tout se passe pour le mieux et pour tout le monde. Certes, il n’y a plus de Shayfeen parce qu’une vision collective n’égalera jamais une vision individuelle. Deux individus avec deux personnalités différentes et donc deux égos différents ne pourront jamais voir la vie de la même manière. Les meilleurs groupes dans le monde finissent par se séparer. Je ne pense pas qu’on soit mieux que le Wu-Tang Clan ou les Daft Punk. Avec Chouaib, c’est sur la musique qu’on a toujours été d’accord et c’est pour cela que je suis fier de ce qu’on a pu réaliser à travers Shayfeen mais je suis aussi très fier de ce que je réalise en solo, notamment avec ce nouvel EP.
Interview préparée par Maxence Kowalyszin qui remercie Chaimae Charifi d’avoir dirigé, traduit et retranscrit l’entretien et sans qui rien n’aurait été possible.
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