Impossible de ne pas parler de Slowthai depuis Nothing Great About Britain, son premier album aussi dérangeant que renversant dans sa musicalité. Le rappeur de Nottingham s’est en effet rapidement démarqué de ses pairs britanniques par ses textes engagés et sa mise en valeur d’une Angleterre oubliée. Tyron est cette fois-ci une œuvre très introspective, une réelle plongée dans les vices bipolaires de Slowthai. Allant de la folie pure à la remise en question positive, Tyron est un disque paradoxal mais avant tout humain.
Se lancer dans une écoute de Slowthai est toujours un moment fascinant. Le rappeur a l’art de construire ses albums autour de thèmes et d’interprétations linéaires, rendant l’analyse très intéressante. Pour Tyron, qui est son prénom, Slowthai a choisi de découper son album en deux parties distinctes par leur typographie.
D’un côté nous avons la face démoniaque représentée par des majuscules. De l’autre, la face plus reposante, où Slowthai met au clair ses sentiments, représentés par des titres en minuscules. L’album compte 14 titres mais chaque partie est numérotée de 1 à 7. L’album peut donc s’écouter de plusieurs façons, non sans rappeler le concept d’un certain DAMN.
La face macabre
Je tire au sort et commence donc par la première face. Les démons apparaissent. Je tombe sur « 45 SMOKE », une introduction sauvage, sans répit. Slowthai ne perd pas de temps et crache insultes et vérité sur le beat. Il prend même un flow démoniaque à un moment inattendu, de quoi nous foutre une belle frousse. Skepta rejoint ensuite le rappeur sur “CANCELLED”. Accompagné par une flûte traversière, ce deuxième morceau est une attaque directe à la censure. C’est tout un arsenal d’invectives que lâchent les deux anglais. Skepta s’attaque aux groupies tandis que Slowthai fait un “fuck” au Oscars et autres cérémonies qu’il considère comme truquées. Une référence cinématographique qu’on retrouve également dans le clip du morceau avec des allusions à de nombreux films d’horreurs (The Shining, Les Griffes de la Nuit).
Cet anarchisme se retrouve ensuite dans “MAZZA”. Le rappeur y parle de drogues dures et le morceau (en featuring avec A$AP Rocky) est sublimé par un clip. Ce dernier laisse place à la fantaisie des deux créateurs avec des yeux grossissants, une paranoïa et même de la horrorcore dans la production. On ressent en effet un semblant de Memphis dans Tyron. Notamment avec l’enchaînement de “VEX”, “WOT” et “DEAD”. 808 assourdissantes, voix off screwed et textes macabres en sont la preuve. De plus, Slowthai rajoute sa touche avec ses essoufflements de voix, ses paroles dures mais réelles et ses fantasmes personnels.
J’arrive finalement à “PLAY WITH FIRE”, un titre de transition qui nous conduit vers un côté plus anxiogène du rappeur. Il y raconte la négativité dans sa ville, Nottingham, par des histoires de jeunes désemparés par la justice. Ainsi s’achève la face sombre de Tyron pour laisser place aux confidences, le réel moteur de cet album.
Un apaisant verger
Le choc est brutal. Après avoir passé l’épreuve de la face macabre, le rythme devient plus lent. Les sens sont apaisés et Slowthai devient automatiquement calme et conscient de son état. La cover, abordant un pommier enfantin et le cadavre de Slowthai à sa souche, prend ainsi tout son sens. En effet, le rappeur se livre davantage sur des passages sombres de sa vie avec une nostalgie émouvante.
Je commence donc par “i tried”, un morceau voué à la survie. Slowthai raconte comment il s’est projeté vers le haut afin de mourir le mieux possible. Une lutte plutôt particulière donc. L’instrumentale change également de ton avec un synthé et des voix enfantines semblables à un morceau de J.Cole. Le rappeur reste ainsi “focus” sur ses ambitions. Il aborde son manque familial et son éducation par la rue dans “terms” et s’accorde une mélancolie pluvieuse dans “push”. Slowthai revient notamment sur des bases qui avait marché dans son premier album avec une guitare acoustique et une insouciance provinciale.
“nhs”, deuxième single du disque, est lui une référence à toute la période Covid. Le clip y présente des scènes de vie courantes de l’Angleterre populaire comme les longues files d’attente pour faire ses courses, les bars et même Slowthai sur son trône de papier toilette. On notera également la référence à “Simon Says” de Pharoahe Monch dans le refrain entêtant du morceau.
J’arrive ensuite à “feel away”, morceau phare de l’album. En hommage à son frère, mort à la naissance, Slowthai raconte ici les tourments de l’accouchement, de l’amour et des relations conjugales. Avec James Blake au refrain, ce titre est caractérisé par une ambiance unique. En prime, le clip est d’une originalité fantastique. On assiste à un accouchement de Slowthai, une dégustation de son propre corps et la perte de sa femme qui le quitte pour un médecin. Une métaphore de la vie souvent difficile à Nottingham.
J’arrive ensuite à la conclusion de l’album avec “adhd”. C’est peut-être le point noir du disque car étant le titre final, il tire vers une facilité assez troublante pour Slowthai. On retrouve bien entendu les sujets de l’ennui et de l’amitié déjà présents dans l’album mais la production est cette fois-ci moins marquante. Cependant on y ressent une transition vers la face macabre avec un flow plus crade de la part du rappeur. C’est reparti pour un tour.
S’ouvrir au monde
Clairement, il y a une filiation artistique entre Tyler, the Creator et Slowthai. On peut même dire que si Tyler The Creator n’avait pas existé, Slowthai aurait eu bien plus de mal à persister dans la musique. En miroir de Tyron, on distingue l’influence remarquable d’Igor. Si sur Nothing Great About Britain, Slowthai montrait un visage plus rock voire punk ; sur Tyron, il se tourne autant vers de l’électro mexicaine que vers une pop anglaise toujours saupoudrée de rap.
Même dans les featurings, Slowthai marque un grand coup : aucun ne se ressemble. Il sort de sa zone de confort en se tournant vers tous les styles musicaux sans travestir sa musique. Citons Skepta pour le côté grime, James Blake pour l’apport acoustique, A$AP Rocky pour l’expérimentation ou encore Dominic Fike pour l’ambiance trash. Au niveau de la production, c’est SAMO (un pionnier de l’électro mexicaine) qui signe trois titres de grande classe. S’aventurant pour la première fois en terre européenne, le compositeur n’a pas fait douter Slowthai en signant “CANCELLED”, “MAZZA” et “nhs”. On retrouve aussi Mount Kimbie, un duo londonien à l’origine positionné sur l’électro, qui a composé “feel away”. Le défi de Slowthai est donc réussi. Il s’est entouré d’influences éloignées pour les faire entrer dans son hip-hop et on ne demande pas plus.
Le rappeur porte également son esthétique à un stade supérieur. Sur Nothing Great About Britain, on assistait à une plongée dans l’Angleterre mineure avec des couleurs très opaques et un univers white trash. Tyron va cette fois dans un axe fantaisiste avec l’étonnant “feel away”, le minimaliste “nhs”, le cartoonesque “MAZZA” et l’hilarant “CANCELLED”. Slowthai s’ouvre donc à un large public en touchant de nombreux univers mais en gardant son aspect contestataire et révolutionnaire. Il rappelle même un certain Eminem par son caractère “j’emmerde tout le monde” et son attachement provincial.
Tyron est sans surprise une grande réussite pour Slowthai. Déjà auteur de singles à succès, l’anglais a su répéter son attrait novateur tout en se diversifiant. L’humeur à double tranchant du rappeur nous conduit vers un disque honnête à l’esthétique recherchée. Il ne vous reste maintenant qu’à choisir entre le macabre et l’apaisement.