Slimka, la lumière au bout du tunnel
Suivi avec grande attention au sein de notre rédaction depuis ses débuts, Slimka vient de sortir son premier album, Tunnel Vision, le 18 juin dernier. Deux semaines avant sa sortie, nous avons pu passer un moment avec le rappeur suisse qui s’est confié tour à tour sur ses ambitions, sa volonté d’imposer sa vision ou encore l’importance de se forger une identité musicale.
L’arrivée de Slimka dans les bureaux de l’agence Baltimore se fait avec un léger retard. Élancé et chiquement vêtu, les yeux sont masqués par une paire de larges lunettes de soleil et les dents sont ornées de grillz. Il présente immédiatement ses excuses pour le retard, mais ce n’est pas la peine. Sa bonhomie et sa gentillesse sont ses meilleurs avocats. Avenant, intéressé et intéressant, je découvre avec plaisir l’homme qui se cache derrière la grandiloquence toujours amusante de son alter ego musical. Il ne semble pas pressé et avant de commencer l’interview, nous échangeons aussi bien sur l’effervescence de la scène suisse que de notre amour en commun pour Travis Scott. Il est temps de lancer l’enregistrement audio.
Comment appréhendes-tu la sortie de ton premier album, Tunnel Vision, à deux semaines maintenant de la sortie ?
Écoute, j’appréhende super bien, j’ai hâte, tout se passe bien, tous les singles ont été bien reçus. Ça va vraiment être le bout du tunnel.
Il s’est passé un an entre les deux volumes de No Bad. Là tu as mis un peu plus de temps, pourquoi ?
Je pense que je devais prendre en maturité et capter certaines choses qu’avant je ne captais pas. Ça a aussi pris plus de temps parce que c’est un album, pas une mixtape ni un EP. Ce n’est pas un projet que je taffe en un mois. C’est quelque chose que je travaille depuis deux ans maintenant.
La différenciation entre album, mixtape et EP, elle est toujours importante pour toi ?
Pour moi oui ! Après certains s’en foutent, ils travaillent des albums qui peuvent être super en un mois seulement. Pour moi, quand tu fais un album, tu dois prendre ton temps et essayer d’amener un concept pour que les gens puissent s’accrocher au projet.
Du côté des auditeurs, as-tu l’impression qu’on fait toujours autant attention au format ?
Je pense que oui ! Mais il y a tellement d’auditeurs aujourd’hui qu’il y en a pour tout le monde. C’est à dire que ma fan base elle peut être très solide, mais à l’intérieur il va y avoir des gens archi impliqués dans les concepts, d’autres qui vont écouter de manière plus distante. J’ai l’impression que les albums concepts reviennent un peu, que ce soit avec Laylow ou SCH. Il y a plein d’exemples.
Dans ta musique, il y a ce truc comparable à Laylow ou Freeze dans le fait de travailler les albums pour qu’une fois intégrés dans la discographie, ils apportent quelque chose.
C’est ça ! Faire quelque chose à nous, créer mon son, mon identité, qu’elle soit musicale ou visuelle. C’est vraiment ça que je développe.
Pour cet album, comment s’est construite cette identité ?
J’ai beaucoup travaillé en résidence avec des artistes et producteurs que je kiffais, que j’avais invité en Suisse. Je suis aussi parti faire du son à Bruxelles. Il y a d’ailleurs beaucoup de morceaux qui n’ont pas fini sur l’album mais qui rentrent dans le processus de création. Même si ces morceaux ne sortent pas, au final, ce sont des mouvements qui me sont grave bénéfiques.
Quand tu fais un morceau et qu’il ne sort pas, cela reste de l’exercice en soit.
Tout à fait ! De toute façon, c’est mon job. Quand je vais dans un studio ou un autre endroit pour faire de la musique, je peux faire juste une maquette mais cela va ensuite peut être m’amener là où je voulais. Ça arrive aussi que parfois j’arrive directement à faire ce que j’avais en tête, mais je ne suis pas bloqué. Quoi qu’il arrive, je suis un artiste, je construis, je suis un architecte.
Avant Tunnel Vision, tu as sorti Tunnel Vision: Prélude et je voudrais savoir quand s’est fait cet EP, avant, pendant ou après l’album ?
Ça s’est fait au tout début du confinement, dès l’annonce du premier confinement. J’ai compris que ça allait me bloquer pour l’album, la promo etc. Donc je me suis dit qu’il fallait que je sorte quelque chose pour introduire l’album en attendant. Cet EP, il m’a permis de montrer ma progression et de poser les bases de ce que les gens allaient entendre sur l’album. J’avais déjà deux-trois sons que j’avais bosser pour l’album et au final, ils se sont retrouvés dedans.
Sur cet album là, j’ai l’impression qu’il y avait eu un gros travail sur le tracklisting et l’enchaînement des morceaux pour vraiment avoir l’impression d’être dans ce tunnel et qu’il n’y ait qu’un chemin à suivre.
C’est exactement ça ouais ! On commence avec cette intro qui est très orchestrale. Ce que je voulais c’est amener l’album de manière théâtrale et que les gens captent qui est Cassim Sall. J’ai pas tout dit non plus mais avec cet album, t’en apprends vraiment plus sur moi et tu comprends qui je suis, mon personnage et ma façon de penser. On a pensé le tracklist aussi pour faire en sorte que je puisse le jouer en live en suivant l’ordre qui est défini dans l’album. C’est comme ça que je voulais le taffer, je me suis dis que je voulais faire un album que je puisse jouer du premier son jusqu’au dernier.
C’est vrai que la première partie est très trap et qu’on bascule ensuite doucement vers quelque chose de plus instrumental.
Voilà ! Exact ! Dès le début on envoie 4 bangers dont le feat avec Di-Meh qui était vraiment trop lourd pour que je n’ouvre pas l’album avec, et on bascule ensuite vers des morceaux plus calmes.
Dans cet album, il y a donc beaucoup d’ambiances, c’est très varié. Est-ce le résultat de toutes tes influences ou as-tu fait en sorte que chacun puisse se retrouver dans l’album ?
C’est un reflet du perso que je suis. Je me considère comme un enfant du peuple. Mon père vient du Sénégal et du Mali, ma mère est austro-allemande donc je suis vraiment citoyen du monde. Et ça c’est lourd parce que ça me permet d’aller dans plein de délires différents. Dans l’album, les sons ne se ressemblent pas mais il y a quand même une énergie et tu sens que c’est « Tunnel Vision ». C’est vraiment ça que j’avais envie de créer. Même « Terrible« qui est très estivale et pop, c’est nouveau pour moi de faire des sons comme ça. Je m’ouvre. Les sonorités sont plus accessibles et je kiffe faire ça. Pour cet album, c’était aussi important que je rencontre des gens qui puissent m’amener sur ce terrain là. Là j’ai taffé avec Benjay par exemple. Il a une vision et il sait m’amener ailleurs. J’ai une totale confiance en lui.
Tu parlais d’ouvrir les sonorités et sur « Tunnel Vision Interlude« , tu dis : « J’espère que tous les non fans deviendront adeptes ».
Exact ! J’espère que tous les gens qui me connaissent déjà, et qui ne sont pas fans, le deviendront avec cet album. J’espère aussi que tout ceux qui vont me découvrir le deviendront.
Juste après tu dis : « Même s’ils ne deviennent pas adeptes, bah en vrai, j’m’en fous ».
Oui ahah ! C’est une question de mentale. Ça veut dire que l’objectif, c’est quand même que ma musique prenne de l’ampleur, le plus possible, mais en vrai, si ces gens là ne deviennent pas fan, ce n’est pas grave. Ça voudra dire qu’ils n’ont pas forcément compris ma vision des choses et c’est normal. C’est un paradoxe dans le sens où j’aimerais avoir plein de fans, mais je veux surtout que ceux qui écoutent et aiment ma musique soient vraiment conquis par ce que je fais.
Je vois ce que tu veux dire. En soit l’idée, c’est que tu n’est pas prêt à travestir ta musique pour plaire.
Voilà ! Je ne vais jamais travestir ma musique. Si je suis amené à travailler un titre avec un artiste très connu qui pourra me rapporter une audience, mais qu’il n’y a pas de connexion entre nous, je ne vais jamais le faire. Peu importe les millions de vues, je suis dans une démarche d’honnêteté. Je suis conscient de qui je suis, de ce que je peux faire et de ce que je veux faire.
Tu parlais du fait d’avoir beaucoup travaillé pour faire cet album. Le ressens-tu déjà comme un accomplissement ou juste une nouvelle étape dans ta carrière ?
C’est un mélange des deux. À chaque fois que je sors un projet, c’est un accomplissement, une nouvelle étape. Ça me fait toujours passer au step suivant. Le prélude, je pense que ça m’avait déjà fait passer une étape, ça a fait grandir mon audience. Cet album, je suis persuadé que ça fera la même chose. J’en suis persuadé parce que je sais qu’on a travaillé pour que ça arrive. Ce n’est pas du hasard, si aujourd’hui les gens connaissent Xtrm Boyz (trio suisse composé de Di-Meh, Makala et Slimka), c’est qu’on a bossé. Il y a plusieurs facteurs: le travail bien sûr, mais aussi une part de chance, savoir être au bon endroit au bon moment…
Certes, mais la chance il faut aller la chercher. Dans un de ses textes, Moka Boka dit : « Doucement mais sûrement, je construis ma chance ».
Je suis d’accord, il faut aussi la créer cette chance. Quand je faisais du foot, on me disait tout le temps qu’il fallait aller la chercher !
Justement, tu disais vouloir être footballeur avant de faire de la musique. On sent que tu as toujours été animé par la volonté de t’accomplir, et ce peu importe le domaine.
J’ai toujours été plein de volonté. Le foot, j’ai commencé à 12 ans. Avant j’ai fait de l’athlétisme donc très vite, j’ai gagné des titres régionaux et j’ai fait les finales suisses du 60 mètres. Ce sont des compétitions, c’est sérieux, c’est exaltant. Ensuite, j’ai fait de la danse, ça a duré 6-7 ans, et j’ai été champion en Suisse avant de faire les finales européennes. Donc j’ai toujours été dans ce truc de gagne, quel que soit le domaine.
En Belgique, ils ont de grandes références de succès international comme Damso ou Hamza. En Suisse, c’est quelque chose que vous n’avez peut être pas encore atteint forcément.
Même la génération de Damso, Caba & JJ, ils avaient des modèles d’autres générations comme Stromae assez récemment ou même Jacques Brel. Il y a déjà eu des icônes qui ont montré que c’était possible. En France, j’en parle même pas. En Suisse, on a pas encore ce truc de star system, on est pas encore rentré dedans. C’est à nous de le créer.
Justement dans le titre « Cassim Sall » tu dis: « C‘est moi qui crée le mouvement, c’est moi qui crée la vague ». On sent que c’est une fierté mais as-tu aussi l’impression que tu as une certaine obligation de montrer la voie aux autres ?
Je pense que c’est déjà ce qu’on a commencé à faire. On a déjà entamé ce travail là et on est pas prêts de le lâcher. De mon point de vue, être un rappeur à Genève, c’est une chance. Rien n’a encore été crée, donc on me voit aussi un peu comme un précurseur de ce mouvement. Il y a déjà une histoire qui a été écrite mais c’est à nous de la rendre encore plus belle et plus profonde. Ça prend le temps que ça prend, mais les choses bougent. On va y arriver tôt ou tard, donc je prends « mon mal en patience » et on continue de taffer, doucement mais sûrement.
Tu parlais de ton écriture, et un de nos rédacteurs avait dit à ce sujet que sans être tapageuse, ton écriture est imprévisible. C’est un aspect que tu travailles dans ce sens ?
Encore pour parler de culture, moi je n’ai pas grandi avec de grands lyricistes ou avec des mecs qui sortaient des punchlines voire même avec ce qu’on pourrait appeler du rap technique. Ce n’est pas ça mon rap. Moi je suis un mec qui rêve, qui fly. Pour moi, mon texte n’est pas obligé de finir avec une rime forcément. Je me force vraiment à ne pas rentrer dans ces cases. Même quand Wejdene fait une erreur de français en disant: « Tu prends tes caleçons sales et tu hors de ma vue », je trouve ça cool. C’est bien les gens qui sont super techniques mais c’est leur délire. S’ils sont bons là dedans, tant mieux, mais il n’y a plus qu’un style de rap.
Dans le titre « Film Fr« , tu dis donc être dans un film français, et j’aurais aimé savoir l’idée que tu y mettais derrière parce que pour moi tu es plutôt dans un film américain.
En fait, c’est un titre que j’ai bossé avec mon frérot PH Trigano et c’était un moment où je venais très régulièrement en France donc j’étais vraiment imprégné de culture française. C’était Slimka in Paris ahah. Et puis même quand j’étais petit moi, j’étais matrixé par Amélie Poulain, ce genre de films. J’avais la topline et quand j’ai trouvé le refrain, on est allé à fond dans ce délire. Ce son, on l’a fait il y a deux ans en fait. Preuve à l’appui ! (Il me montre le mail avec la V1 du titre datant du 9 avril 2019). Tu vois le refrain, il rentrait déjà directement dans la tête !
Ça c’est vraiment une capacité que tu as, je trouve, à rendre des mots simples marquants par ton travail d’interprétation.
Je pense qu’il y a de plus en plus de rappeurs, même techniques, qui vont dans cette direction. Je voyais le frérot Limsa qui avait fait une interview dans laquelle il disait, qu’avant, il aimait être le mec rapide et technique et que maintenant il préférait mettre moins de mots mais au meilleur moment. C’est aussi ce qu’ont fait 13 Block, c’est leur force. Ils trouvent des mots et des gimmicks qui te marquent. Même si ce ne sont pas des punchs de philosophes, ça te marque par l’interprétation.
Pour en revenir à « Cassim Sall« , c’est un morceau que je lie beaucoup avec « S.O.S« , que ce soir dans l’écriture et l’interprétation.
Clairement oui ! Je voulais sur l’album un morceau qui soit dans le même esprit que « SOS » mais qu’il soit encore plus personnel. Un titre où vraiment je parle de moi, je fais du storytelling. À la prod, c’est Yeeshi, un beatmaker vraiment très chaud. J’avais posé une première fois sur sa prod, mais le morceau commençait sans les drums, comme les interludes. Sauf qu’on s’est dit que sur ce morceau, on devait amener quelque chose de plus deep, donc Loubenski a fait les arrangements, il a ajouté des violons et des petites voix. C’est un de mes titres préférés.
Pour finir, je vais faire référence à une interview que tu nous avais accordé à Dour il y a quelques années où tu disais que ton feat rêvé c’était Tame Impala. Je trouve ça marrant parce que justement dans « SOS » tu dis: « Avant, je parlais mal de Tame Impala » et je voudrais savoir si c’était toujours le cas.
Tame Impala c’est vraiment la musique quoi. Ce genre de groupe, je kiffe. C’est bien le rap, la trap, je kiffe, c’est lourd, on s’amuse. Mais il y a des trucs qui sont plus majestueux et qui peuvent t’emmener plus loin je trouve.
C’est vrai que dès que Kevin Parker est sur un titre, et ça vaut aussi pour James Blake, tu sens qu’il ont cette capacité à emmener la musique plus loin.
Ça, c’est aussi grandement grâce à des gars comme Travis qui ouvrent les portes. James Blake, il a déjà percé, depuis un moment, mais Travis nous a permis de voir qu’on pouvait faire du rap avec ces gars là. Travis, c’est une de mes plus grosses sources d’inspiration. Je me rappelle l’avoir vu en concert bien avant qu’il n’explose. Il était programmé dans un festival en Suisse à 14h et nous, c’était la première fois qu’on voyait ce type en vrai, parce qu’on avait déjà écouté ses projets et qu’on avait adoré. Au premier morceau, il nous a sauté dessus parce qu’on était tout devant dans les pogo, et ça m’a marqué de fou. Je pense que c’est aussi pour ça que j’ai cette énergie là. Parce qu’avant de faire des concerts, j’étais du côté du public. Je me suis calmé maintenant, je ne saute plus dans la foule comme avant, je n’ai plus l’insouciance du début ! (rires)
Un grand merci à l’agence Baltimore pour avoir organisé cette rencontre et pour leur accueil chaleureux.
Les photos qui ornent l’article ont été prises par le talentueux Augustin JSM.