La promo d’Insomnia s’est faite en grandes pompes quelques jours avant sa sortie. Partout, le trio de MCs avouait avec une totale satisfaction que l’EP serait révolutionnaire. Si le terme groundbreaking album a été repris à tours de bras par ses promoteurs et les médias par la suite, cela impliquait de s’attarder sur ce projet.
En plus du teasing mégalo qui a contribué à nourrir les attentes, le confinement planétaire a sans doute joué en la faveur d’Insomnia. De fait, le rythme des sorties s’est tari, profitant ainsi aux derniers entrants dans l’arène rap.
Alors qu’en est-il d’Insomnia ? Force est de constater que sur le papier, le trio est de qualité. De fait, le projet regroupe les trublions de la scène UK : du doyen de la scène Grime Skepta à Chip, le petit protégé de T.I, en passant par Young Adz, un des membres du groupe D-Block Europe, le cocktail est explosif et prometteur.
Quelques jours avant la sortie officielle de l’EP, le trio a lâché « Waze ». Cette bombe, signée par le producteur Cardo est une excellente introduction. Dans une atmosphère sombre et street, les trois MCs tiennent les murs des blocks et bombent le torse pour remettre les pendules à l’heure.
Les rois sont souverains dans leurs royaumes et pas question que cela ne change. C’est ce que confirme Chip dans un couplet « Tryna sound like A, tryna like Skep’ and the rest tryna sound like Chip, you ain’t been platinum, silver or gold, you ain’t even been bronze, you div », posant ainsi les bases avec beaucoup d’assurance. Car à la guerre comme à la guerre « Round here we don’t hear you’re a king, man will take your throne », il n’y aura pas de places pour tout le monde.
C’est dans cet environnement non surfait que Skepta revient dans un couplet, sur ses réussites en série et ses multiples connexions « I can get Koffee and Justin Bieber » qui ne sont plus circonscrites au rap jeu. Cette même réussite ne l’empêche pas néanmoins d’être simple « I can make a mill’, I get a mop like a cleaner » et de garder la tête froide.
Si de prime abord, certains auditeurs pourraient redouter l’overdose avec Young Adz et sa voix auto-tunée, elle n’est pourtant jamais abrutissante. En plus de s’imposer comme sa marque de fabrique, le jeune talent teste des choses et ça marche vraiment bien.
Des niveaux de maturités artistiques différents cohabitent donc sur ce projet, sur lequel la cohérence et l’unité de style n’est pas à prouver. La trap prédomine, les rythmes sont nerveux et l’influence dubstep omniprésente, avec un tempo qui frôle les 145 bpm. Comme sur le titre à la posture 100% Londres « Mic Check » – sans doute le morceau le plus fort du projet – où à l’insomnie succède l’ivresse d’une ambiance de night club sur fond d’afroswing.
Les références à la culture britannique et londonienne sont légion. Aussi, sur « St Tropez » le trio sample « Paper Planes » de M.I.A et sur « Mic Check » il en profite pour faire une dédicace à Craig David. Même régime pour « High Road » où les MCs s’attardent sur 007 « Can’t they see that if it ain’t Idris, which nigga is James Bond with it? », puis sur le créateur de mode londonien, Alexander McQueen.
Le projet est double-face, puisque se côtoient des morceaux à l’ambiance très noire, mais où certaines mélodies font l’effet d’un nuancier. Au cri de détresse de « Traumatised » qui s’ouvre sur un couplet de Young Adz et cette confession « I never took so much drug », répond des notes de saxo, qui contrebalancent un univers où le syndrome paranoïaque prédomine.
D’autres morceaux comme « Mains » ou « Golden Brown » servent de contrastes, à la manière du Yin et du Yang. Aussi, « Mains » flirte entre pop et trap pour enfanter un flow solaire qui a des chances de devenir it-track de l’été, quand « Golden Brown » s’inscrit dans un univers proche de celui de Rick Ross, comparable à son « Amsterdam ».
Même si l’album est très UK-centric il réunit une liste de producteurs du monde entier. De fait, les crédits donnent le tournis et il est assez surprenant de trouver autant d’unité dans un projets à mille têtes.
La production est internationale. Parmi ceux qui ont répondu à l’appel, on compte The FaNaTiX pour le flow afroswing ou encore les deux frères anglo-nigérians de Sons of Sonix. Le tandem a notamment produit « Side Effets » de Ty Dolla $ign ou encore Gang Signs & Prayer de Stormzy, sur lequel les frères ont signé l’excellent « Birthday Girl ». Sur Insomnia, ils apposent leur sceau sur « High Road » et l’excellent « Sin City » véritable tribune libre pour Skepta.
La liste des cadors de la production ne s’arrête pas là. On peut citer aussi le talentueux beatmaker new-yorkais Money Montage. Ce ponte de la prod s’est surtout illustré dans ses productions pour Dizzy Wright ou DymeADuzin, et a réalisé notamment des morceaux de la série Top Boys. Sur Insomnia, il pose sa pierre à l’édifice et signe « Intro », titre sur lequel Skepta avoue avoir pris le plus de plaisir en studio, d’après ses déclarations sur Twitter.
Si aucun des trois rappeurs ne peut revendiquer la paternité exclusive d’Insomnia et que les bad boys de Tottenham sont résolument dans un esprit d’équipe, il faut bien admettre que Skepta tire son épingle du jeu. Déjà bien établi sur la scène UK, il avait inconsciemment ou consciemment déjà préparé le terrain ces derniers mois.
Pour preuve, ses apparitions étaient multiples et ses dernières collaborations comparables à des pépites. Aussi comme pour asséner qu’il est le patron au UK, il a accéléré ses collaborations. En juillet dernier, il avait posé sur « Back to Basics » d’Headie One et plus récemment il s’était maqué avec AJ Tracey sur « Kiss And Tell » ou encore avec Octavian sur l’excellent « Papi Chulo » sorti en mars.
Sur le fond, Chip est toujours aussi fascinant, Young Adz se révèle comme une jeune pousse à suivre, mais il faut dire que Skepta porte définitivement l’album. Certains morceaux sont taillés pour lui et il excelle sans trop d’efforts, confortant ainsi sa place au-dessus de la mêlée.
Si le terme révolutionnaire est disproportionné, Insomnia est redoutablement bon. Il réunit des artistes hétérogènes, des producteurs de tous les horizons, des flows parfois diamétralement opposés, mais le résultat est réussi. De quoi donner des idées de collaborations à une scène qui n’a pas fini de briller, peut-être que là encore Skepta fera figure d’exemple.
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