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SiR : « Tout est une question de timing »

Fin août deux mille dix-neuf. L’été touche à sa fin, déjà. Une douce nostalgie envahit nos pensées, et se glisse sous l’épiderme avec les derniers rayons du soleil. Les souvenirs de vacances se trouvent une place dans nos esprits, bien rangés jusqu’à l’été prochain. Bientôt, le retour au bureau, la rentrée des classes. Stop, pas si vite. Depuis son ouest américain, un artiste refuse de lâcher prise, bouscule le cycle des saisons, et part à la recherche de l’été évanescent. Cet artiste, c’est SiR.

En proie à une profonde mélancolie, le chanteur californien dévoile Chasing Summer. Un album mâtiné de soul et de RnB, porté par l’hypnotique single « Hair Down », en duo avec Kendrick Lamar. Envoûtés par sa voix, on plonge tête la première dans l’univers de ce storyteller d’exception. Armé de métaphores, il y raconte son quotidien, entre romance et désillusion, alignement des planètes et mauvais timing. Plusieurs leitmotivs qui traversent cet album mystique.

Loin de sa Californie, en plein hiver parisien, le natif d’Inglewood a pris un moment pour évoquer cet album hors du temps, et la suite qu’il compte lui offrir. Il est revenu sur le rôle décisif qu’a joué son grand frère D Smoke (vainqueur du concours Rhythm + Flow) dans sa découverte de l’écriture. Sans compter son lien à la musique, et ceux qui l’unissent à ses confrères du label Top Dawg. Le vague à l’âme s’estompe, et révèle un artiste intelligent, qui cultive l’amour de ses proches et de la musique. 

 

© JuPi

Ton style est à la fois RnB, néo-soul et hip-hop. Comment le décris-tu ?

Les trois choses que j’écoute le plus, avec le jazz ! Il y a un fort sens de la musique dans mes sons, ça vient de ce qu’on a écouté petits. Ma mère était fan de Stevie Wonder, j’écoutais les disques de Billie Holiday et de Nat King Cole. Tout ce qui est jazzy ou funky me parle. Nous, on a grandi en écoutant les Jackson Five. Il y a plein de choses différentes qui m’inspirent. John Mayer, par exemple, est quelqu’un que j’admire, en tant que parolier, car il sait donner plusieurs sens à une histoire. J’emprunte à de nombreux genres, mais la base, c’est le hip-hop, le RnB et la soul. Bien sûr !

Tu as été en studio avec de nombreux producteurs de Los Angeles, tels que Iman Omari, Mndsgn, ta cousine Tiffany Gouché. Que t’ont-ils appris ?

La famille avant tout ! Bien plus que des producteurs, ce sont mes amis, je les considère comme mes frères. Tiffany (Gouché, ndr), c’est ma petite cousine, donc le plus important, c’est de s’aimer et de prendre soin l’un de l’autre. Ils m’ont fait prendre conscience que c’est une chance d’avoir autour de soi des gens si talentueux, qui t’aiment pour ce que tu es, et qui ne sont pas seulement obnubilés par la musique. La scène de L.A., tout le monde se connait. Dès qu’on se retrouve, c’est pour créer de la musique exceptionnelle, même si on ne s’est pas vus depuis dix ans. Chaque fois qu’on se voit, on fait de grandes choses. Il n’y a que de l’amour entre nous. L’écoute de leur musique m’a appris tellement de choses. Tous sont de très bon musiciens et c’est génial que nos chemins s’entrecroisent.

L’album Chasing Summer compte plus de featurings que tes autres projets. As-tu, justement, eu la volonté de regrouper les gens que tu aimes ?

Absolument, je veux m’ouvrir d’avantage ! Même si je fais tout pour inclure les autres, je suis très autonome, donc ce n’est pas toujours facile. Là, on a juste voulu offrir le meilleur produit. Notre seul but, c’était d’obtenir la meilleure musique, sans faire de sacrifices. J’ai ouvert ma porte et beaucoup ont franchi le seuil. Ils m’ont beaucoup aidé et je leur en suis très reconnaissant. Travailler avec de nouveaux producteurs m’a stimulé, et sur le projet d’après, j’ai envie qu’il y ait encore plus d’artistes différents. Surtout des musiciens, car ce sont ceux qui ont le plus besoin d’attention. De nos jours, il y a beaucoup de producteurs et très peu de musiciens. C’est un art qui se perd.

Les choses n’arrivent pas selon tes plans, mais quand elles sont sensées arriver.

Chasing Summer est sorti juste avant l’été 2019. « Hair Down », ton single avec Kendrick Lamar, était une des tubes de l’été dernier. As-tu tenu à produire un album estival, ou est-ce simplement la vibe de L.A. qui a déteint sur cet album ?

La sortie de cet album ne s’est pas déroulée comme prévu. Rien n’arrive par hasard, tout est une question de timing. En général, les choses n’arrivent pas selon tes plans, mais quand elles sont sensées arriver. L’album était sensé sortir en plein été, et il n’est sorti que le dernier jour de l’été. Alors j’ai changé le nom : Summer est devenu Chasing Summer. De toute façon, c’était plus cohérent avec le thème de l’album, qui raconte une histoire, un voyage. Finalement, c’était mieux comme ça.

© JuPi

Tu dis que rien n’arrive par hasard. C’est drôle, car l’album parle de timing et d’alignement des planètes. Par exemple, dans « You Can’t Save Me », tu dis « Guess I was at the wrong place, at the wrong time, with the right one. » (J’étais au mauvais endroit, au mauvais moment, avec la bonne personne.) Penses-tu que tout est une question de timing ?

Complètement ! La vie m’apprend que j’ai moins de contrôle sur les choses que je ne le pense. Bien sûr, j’espère des choses, et la volonté est quelque chose de puissant. Ce que tu penses et ce que tu dis a de grandes chances d’arriver, j’en suis persuadé. J’ai donc une forme de contrôle sur ce qui m’arrive. Mais je crois aussi qu’on marche sur un chemin qui est déjà tracé. Les choses peuvent évoluer, mais il y aura toujours ces mêmes choix à faire. En bref, je ne contrôle pas là où je me trouve, mais je contrôle qui je suis. Alors, je n’y pense pas trop, je prends les choses comment elles viennent. Hier, à la fin du concert, j’ai fumé sur scène. J’aurais pas dû, car j’avais encore des chansons à chanter, et en même temps, je sentais que j’allais le faire, j’en avais envie. Alors tant pis.

Lorsqu’on parle de l’album, tu évoques un voyage, une histoire. À notre sens, c’est d’abord une histoire d’amour. Peux-tu nous en dire plus sur ce voyage, et comment tu te sens aujourd’hui ?

L’album s’est fait à une période où je voyageais beaucoup, où je découvrais beaucoup de choses. D’habitude, je reste chez moi, avec ma famille. En tant que rappeur de studio, je ne me déplace pas tellement et je mets rarement les pieds en boite. Durant tous ces voyages, j’ai compris que le monde était très différent de l’idée que j’en avais. Être sur la route et rencontrer des gens, me retrouver dans des impasses et devoir apprendre de mes erreurs, ça m’a transformé. Ma musique n’en a été que plus honnête et les gens s’y sont identifiés, car beaucoup d’entre eux ont traversé les situations que je décris. Tout ce que j’ai voulu, c’est être sincère, et ça s’est ressenti.

En parlant de sincérité, tu as un don pour raconter des histoires honnêtes et touchantes. Pourtant, certains événements sont romancés. Comment trouves-tu l’équilibre entre réalité et fiction ?

Exact, tout n’est pas vrai ! J’observe énormément. J’aime observer les gens, scruter la pièce en silence. Ça m’aide à trouver des idées. La plupart vient d’expériences personnelles. Quand ce ne sont pas les miennes, ce sont celles de mes amis ou de ma famille. Ou alors, c’est quelque chose que j’ai vu, ou lu. Tout vient de mon entourage, je n’invente rien. Il s’agit toujours de choses que j’ai vues de mes propres yeux. C’est naturel. D’ailleurs, c’est ce qui m’amuse le plus dans l’écriture : trouver une façon intelligente de dire des choses honnêtes, et que l’on puisse voir de quoi ça parle, sans que je le dise explicitement.

Tarantino, je suis un énorme fan, et de manière générale, je suis très cinéphile.

Quand tu dis que n’importe qui doit être en mesure de voir ce que tu dis, ça nous fait penser que ton travail est très cinématographique. Qu’il s’agisse de la musique ou du visuel. 

Merci !

Ton titre « Mood », par exemple, est très tarantinesque. T’inspires-tu beaucoup du cinéma ou des bandes originales de films ?

Oui, oui, à fond ! D’ailleurs, si on m’avait laissé faire, il y eu plein de chansons dans ce style. Tarantino, je suis un énorme fan, et de manière générale, je suis très cinéphile. Il y a longtemps, j’ai même écrit un son qui s’appelle « Tarantino ». Reservoir Dogs, c’est un de mes films préférés. Le premier que j’ai vu, avant Pulp Fiction. L’usage qu’il fait de la musique dans certaines scènes m’a marqué au fer rouge. La scène où il danse autour du mec avant de lui couper l’oreille, c’est une des meilleurs scènes du cinéma. Tarantino est une énorme influence, c’est sans appel. Génial que vous l’ayez capté !

© JuPi

Un de tes plus grands talents est l’écriture. Or, ta mère, elle aussi, écrit des chansons. Qu’est-ce qui t’a forgé, en tant qu’auteur ?

Ma mère. Et mes frères. Toute ma famille chante, on a grandi à l’église. Ma mère y prêche et joue toutes sortes d’instruments. Vu que tout le monde autour de moi faisait de la musique, je n’ai pas voulu en faire immédiatement. Il a fallu attendre la majorité. À vingt-deux ans, je m’y suis mis. J’ai commencé grâce à mon grand frère Daniel (Anthony Farris, mieux connu sous le nom de D Smoke, ndr), qui était hyper fort. Il avait une voix magnifique, ça m’a donné envie. Il m’a mis Pro Tools (logiciel de musique assistée par ordinateur, ndr) entre les mains, ce qui m’a permis d’enregistrer mes premières chansons. Le premier son était horrible. Il m’a dit : « Cool, mais tente plutôt tel et tel truc » et m’a expliqué la structure d’un morceau. J’ai continué seul dans mon coin, jusqu’à devenir accro. Ensuite, j’ai décidé d’étudier l’ingénierie sonore à la fac, tout en continuant à écrire. L’écriture s’est transformée en passion. Mes frères, eux, travaillaient déjà dans l’industrie du disque. Ils écrivaient pour d’autres gens.

J’ai commencé la musique grâce à mon grand frère D Smoke, qui était hyper fort.

Oh, ils ont commencé en tant que ghost writers ?

Exactement ! Disons que ça marchait pour eux, mais pas du tonnerre. Notre musique est très spécifique, c’est une niche. Impossible de filer ça à n’importe quel artiste. Mieux vaut la sortir-soi même. Le comprendre nous a pris du temps et été le premier à me lancer. Daniel a suivi, puis Tiffany, et ça a pris. Ensuite, à force de construire, on a finit par voir les choses prendre forme. Mais la base, ça reste l’écriture. Lorsque tu observes notre parcours, tu sens qu’on a toujours cherché à raconter une histoire, titre après titre. L’histoire, c’est le point de départ. Même les sons qui parlent de cul racontent quelque chose. Et il faut que ce soit imagé, très important. Merci de le dire, c’est le plus beau compliment qu’on puisse faire à quelqu’un qui se prend la tête là-dessus.

De rien. Tout à l’heure, tu as parlé de D Smoke, ton grand frère, qui a gagné la première édition du concours de talents Rhythm + Flow, diffusé sur Netflix. Qu’est-ce que ça a changé pour vous deux ? 

Quel incroyable sentiment ! Daniel est l’un des rares qui le méritent, à mes yeux. C’est quelqu’un de bon. Il a toujours pris soin de nous. Lorsque nous étions pauvres et qu’il avait un bon travail, il ramenait l’argent à la maison. Quand il a signé son premier contrat d’édition, c’est lui qui payait les factures. J’ai vécu chez lui quand je n’avais nul part où aller. C’est amplement mérité. Lui, c’est le visionnaire, celui qui a le plus travaillé. Moi, je suis juste un gars du cru. Daniel est celui qui nous a poussé à donner le meilleur de nous-même. Sa victoire me met du baume au cœur. J’ai seulement treize mois d’écart avec lui, et nous avons un troisième frère, qui a onze mois d’écart avec nous.

Ah, donc vous étiez très proches ?

Soudés, tous les trois. Et très compétitifs ! On a toujours souhaité que chacun y parvienne, à tel point que… (Il s’arrête.) Quand j’y pense, à ce moment précis de nos vies, c’est la meilleure chose qui pouvait nous arriver. Son album Black Habits a été un grand succès. Il n’y a que de l’amour, je suis heureux pour lui.

A voir également D Smoke – Black Habits

© JuPi

La compétitivité, j’imagine que c’est quelque chose que tu as également développé avec le label Top Dawg Entertainment, chez qui tu es signé. 

Avant de signer, j’étais à ça de jeter l’éponge. De là à ne plus rien sortir, peut-être pas, mais j’étais pas loin de changer de voie. J’étais fauché, plus une thune. Alors j’ai trouvé un travail pour gagner ma croûte. Et pas que des clopinettes : j’ai touché soixante mille (dollars, ndr) en vendant des instruments. Quoi que je fasse, je suis bon dans ce que j’entreprends. C’est mon tempérament. Peu importe le métier, si je m’y consacre à fond, je réussis à me dépasser. Alors, j’ai mis la musique de côté. Pile au moment où j’ai signé avec Top Dawg, on venait d’offrir un poste de gérant. À ce moment-là, je ne m’y retrouvais plus dans la musique, dans l’industrie du disque. Ma signature a été un électrochoc : je m’y suis remis tous azimut. Maintenant, ça continue de me motiver. Tous les artistes progressent, c’est un cran au-dessus, et ça me force à être la meilleure version de moi-même. C’est une évidence.

Ma signature chez Top Dawg a été un électrochoc.

En plus de ça, tu as signé quelques temps après chez RCA. Qu’est-ce que ça a changé ?

D’emblée, l’objectif, c’était RCA. J’en ai longuement discuté avec Top (Anthony Tiffith, CEO du label Top Dawg, nrd). Jamais nous n’avons imaginé de meilleur partenaire pour mettre en valeur notre marque, tout en restant fidèles à la musique. Pas de surprise, donc, juste une question d’alignement.

Une fois de plus.

Oui, et j’en suis reconnaissant. Tout le monde est bienveillant chez eux. Ils se sentent concernés et respectent la musique. Honnêtement, je le pense. Ça m’a aidé et je ne peux pas rêver mieux. Beaucoup d’artistes se retrouvent à signer dans un label qui les met au placard ou n’a aucune estime pour leur art. Alors, je me sens chanceux d’être entouré de gens qui croient en moi. Mes échanges avec eux m’ont aidé à formuler mes idées et ma vision, savoir qui je veux être en tant qu’artiste, quels risques je suis prêt à prendre. Le projet suivant va être dingue.

Puisque tu parles de vision, quel est le stade d’après ?

Difficile à dire. Aujourd’hui, on cherche le meilleur son. Tout commence par là, et le son va se révéler par lui-même. J’ai envie que ce soit uptempo (à un rythme rapide et entraînant, ndr). Beaucoup de nos œuvres sont un équilibre entre des chansons très lentes et des vibes plus marquées. J’ai envie qu’il y ait des réminiscences de Quincy Jones et Michael Jackson, tout en restant west coast. Parce que je viens de la côte ouest. En tout cas, je veux un tempo plus rapide et une atmosphère différente. Chasing Summer est un bon album, avec des passages cools, mais triste dans l’ensemble.

D’accord, mais cet album est quand même chaleureux et très soulful !

Très soulful, oui ! Maintenant, je pense qu’on peut concevoir un autre type de chaleur. Le côté sunshine, et non plus le côté « j’ai froid, prends-moi dans tes bras », tu vois ? Alors, on va changer notre fusil d’épaule. J’ai hâte d’entendre comment ça va sonner. Pour l’instant, je n’en ai pas la moindre idée. Quand ça sera le cas, on vous mettra au parfum.

Merci, on a hâte !


Interview réalisée en binôme avec Élodie Sophie. Merci à Jennifer Arfi.

Florian Perraudin-Houssard

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