Shay Lia : « J’ai l’impression d’avoir fait ma place »
Rencontre avec Shay Lia, l’une des stars montante du R&B, à l’occasion de la sortie de la version Deluxe de Dangerous, son dernier EP.
C’est en 2016 que l’on découvrait la voix de Shay Lia, sur le mythique « Leave Me Alone » de Kaytranada… Amis dans la vie, ils collaboreront de nouveau ensemble sur plusieurs morceaux comme « Chances », « Cherish » ou encore l’excellent « Blue » avec le groupe Badbadnotgood. Néanmoins, elle s’illustrera également avec d’autres producteurs comme Sango sur « The Cycle » ou STWO sur « Feels ». Si la jeune djiboutienne n’avait jusque-là pas encore sorti de projet solo, c’est parce qu’elle avait pour impératif de finir ses études à Montréal avant de se lancer définitivement dans la musique. Diplôme désormais en poche, c’est en mai dernier qu’elle nous présentait son excellent premier EP Dangerous. De passage à Paris pour le début de sa tournée européenne, nous avons eu la chance de nous entretenir avec elle le jour de la sortie de la réédition de Dangerous, enrichi pour l’occasion de quatre tracks inédits.
BACKPACKERZ : Ton premier vrai projet Dangerous est sorti en mai dernier. Comment as-tu vécu la sortie et tout ce qui s’en est suivi ?
Shay Lia : Très positif, tout ce que j’espérais personnellement. Le but du projet était de me prouver que j’étais capable d’en sortir un car j’avais jusque-là sorti des petites chansons sur plusieurs années qui n’avaient pas forcément de rapport les unes aux autres. Je voulais me prouver que j’étais capable de maîtriser mon son et mon image donc je pense que, de ce point de vue-là, j’ai réussi mon pari. C’est une bonne introduction, j’ai l’impression d’avoir fait ma place, même si c’est bien sûr à développer.
Justement, si je te pose cette question, c’est que j’avais l’impression qu’avant Dangerous, tu étais vraiment associée à Kaytranada et d’autres grands producteurs. Est-ce que tu sens que les choses ont changé et qu’on t’identifie mieux en tant qu’artiste maintenant ?
Oui, je pense. C’est normal aussi, car à l’époque de SounCloud, c’était la mode d’avoir des associations vocaliste/producteur. Le problème, c’est que les gens ne réalisaient pas ma valeur ajoutée aux collabs et que c’était moi qui écrivais. Par exemple, Kaytra n’écrivait rien et n’était pas en studio avec moi. Pour Dangerous, j’ai fait exprès de prendre plein de gens différents pour montrer qu’il y avait une cohérence parce que ça venait de moi. Je pense que ceux qui me connaissent comprennent maintenant mieux mon univers et mon projet.
Tu disais d’ailleurs dans une autre interview que c’est la direction musicale qui avait été le plus difficile à trouver. Tu peux nous en parler ?
Oui en effet, la direction musicale n’était pas facile à trouver car il y a plein de styles différents dans le R&B, et il fallait décider comment je voulais me présenter. Après, je n’avais pas de pression vu que c’était le premier, d’autant plus que j’étais encore à l’école au moment où je l’ai fait. Au niveau des sujets et de mes textes, je t’avoue que c’est assez instinctif. Ce sont juste des sujets qui me parlent sur les humains, nos émotions, notre ego, notre amour… c’est assez inépuisable, ce sont mes sujets de prédilection pour l’instant en tout cas.
Quelle était l’idée principale derrière le fait de te lancer avec un EP ? Tester des choses ? Préparer le terrain avant un LP ?
Ce n’était pas de tester des choses, je l’avais déjà fait avant avec toutes les chansons que j’ai sorti avant l’EP. L’idée était de structurer et de me rapprocher de la profession. En fait, il y a une grande différence entre écrire, s’amuser et avoir des chansons connues car ce sont les amis qui les sortent et vraiment travailler en équipe, être indépendant, avoir un plan et une direction… Se présenter à des équipes aussi, ça revient toujours à l’idée de présentation.
A l’occasion de la sortie de la réédition de Dangerous avec 4 titres inédits, je te propose qu’on se penche sur chacun d’entre eux individuellement. Commençons par « Blue », produit par Kaytranada et Badbadnotgood initialement, sur lequel tu as invité Shaun Ross, qui est surtout connu pour être mannequin. Comment est venue cette collab ?
Il m’avait contacté sur Instagram quand il a découvert « Blue » en tant que single, car elle était sortie avant Dangerous et que je la mette dans le projet. C’est la seule, d’ailleurs, que j’ai voulu intégrer car elle avait un caractère super musical et intemporel qui allait bien avec le projet. Et bref, on avait plusieurs amis en commun avec Shaun donc on a développé la relation, et quand je suis allée à Los Angeles en novembre et en février, on s’est rencontré et j’ai pu le voir en studio. Le fait qu’il fasse de la musique était un peu un secret à l’époque, mais je l’ai trouvé excellent et j’ai adoré son identité. Comme je cherchais des idées pour la réédition, j’ai trouvé ça marrant de lui proposer, étant donné qu’il aimait déjà beaucoup cette chanson. Il a accepté et ça donné ça.
Parlons à présent du superbe track « Voodoo » avec Buddy, que l’on apprécie beaucoup chez BACKPACKERZ. Est-ce que tu pourrais nous raconter l’histoire du titre original et du remix avec Dam-Funk ensuite ?
À l’origine, la chanson devait se faire avec Kaytra mais il y a eu un souci avec le beat. J’étais quand même convaincue du potentiel de la chanson et de mes mélodies donc j’ai demandé à plein de personnes différentes de recomposer la prod, et c’est le Canadien Evan Miles qui a réussi à le faire à la perfection, avec de vrais musiciens. Je trouve que ça donne une super identité que je n’aurais même pas soupçonné avant.
Et Buddy, je l’ai rencontré à Coachella en 2017, quand Kaytra m’a invité à performer avec lui. Tout le monde le connaissait mais j’avoue n’avoir aucune idée de ce qu’il faisait à l’époque… Pas longtemps après, il a sorti le projet Ocean and Montana avec Kaytra, et de là on est resté en contact, d’autant plus que j’étais vraiment devenue fan entre temps. Quand j’ai eu l’instru de « Voodoo », je lui ai envoyé un message sur Insta en me disant que j’avais rien à perdre et il a tout de suite accepté, même mon délire du dialogue à la fin, il a joué le jeu. C’est vraiment un gars super humble, c’est un honneur pour moi qu’il ait accepté.
Pour le remix avec Dam Funk, ce n’était pas spécialement lié mais on s’est dit qu’il comprendrait le style. C‘est un producteur emblématique de la West Coast, avec notamment tous ses projets avec Snoop Dog. On n’était vraiment pas sûrs que ce serait possible, mais il a accepté. C’est ça qui est cool avec cette industrie : il y a des gens qui par principe ne te regarderont pas car tu es trop petit, et d’autres qui en ont rien à faire et veulent juste faire de la bonne musique. Au contraire, ils recherchent des choses authentiques qui les inspirent donc peu importe leur niveau, ils vont le faire si ça leur parle. C’est vraiment flatteur pour moi qu’ils aient accepté de bosser avec moi car ce sont des gens que je respecte et qui sont aussi très respectés dans l’industrie.
Et comment ça s’est passé pour tes deux autres titres inédits, « So Brand New » et le tubesque « Find a Way », que personnellement j’adore ?
« Find a Way » s’est faite à Los Angeles, elle a été composée et produite par Junia-T qui est un producteur canadien, et écrite par une de ses amies, qui est aussi devenue une amie après. Ils me l’ont fait écouter un soir à Los Angeles et je l’ai adoré tout de suite. C’était la première fois que je réinterprétais une topline. C’était intéressant à faire, ça m’a emmené dans des mélodies que je n’ai pas forcément l’habitude de faire, ça débloque des trucs. Au final, c’est ma préférée de la réédition !
« So Brand New », c’est une chanson que j’avais fait à l’école pour m’amuser mais que j’avais encavé depuis des années car elle était sur un autre beat qui existait déjà. J’ai recontacté un artiste de Los Angeles, dont je savais qu’il comprendrait le style super funk, et il l’a fait à la perfection. Je trouvais que c’était l’occasion et que ça allait aussi avec le projet. C’est ça l’avantage des ré-éditions, c’est qu’on peut s’amuser un peu.
Tu as sorti assez peu de clips jusqu’à présent mais il y a quelques semaines, on a eu la joie de découvrir celui de « Good Together ». Pourquoi avoir clippé ce morceau en particulier ?
Ma présence sur YouTube est encore en développement, j’ai assez peu de clips mais je veux vraiment sortir des choses dont je suis fière. Pour moi, c’était super important que le clip soit aussi bien que la chanson car c’est une de mes préférées.. Du coup, j’ai bossé avec une femme qui s’appelle Carass. C’est la première fois que je bossais avec une femme derrière la caméra, j’ai adoré car c’est bien les garçons, mais c’est mieux les filles ! C’est elle qui a eu le concept, pas moi, même si j’ai eu des choses à dire évidemment dans les couleurs. Oui parce que je vois des couleurs quand j’écoute de la musique et là, je voyais la chanson en orange. Pour l’univers en tout cas, elle s’est inspirée du style de Childish Gambino.
On te voit beaucoup danser dans le clip : c’est une vraie passion pour toi ?
Effectivement, c’est mon premier medium par rapport à la musique. J’ai toujours aimé ça, ça me donne de l’énergie et confiance en moi. J’ai grandi à Djibouti et je ne sortais pas trop quand j’étais petite. On habitait à côté d’une grande base militaire, des femmes de militaire s’ennuyait un peu et donnait des cours de danse pour s’occuper. C’est tout ce qu’on avait car c’était pas un pays peu développé dans tout ce qui est artistique.
Au fait, je t’ai re-découverte sur la Boiler Room de Kaytranada, qui date quand même de 2013, et tu en parlais il n’y a pas longtemps dans un post Instagram. Tu peux nous raconter ce moment devenu iconique ?
C’était l’époque où Kaytra faisait beaucoup de soirées à Montréal, c’était un super délire avec du très bon R&B quand d’autres faisaient plus de la trap. Cela faisait déjà un moment qu’on se connaissait, il m’a invité à la Boiler en me disant que j’avais intérêt à danser ! C’est drôle car personne ne se regarde dans la vidéo car on se connaît tous. Du coup, c’est assez extrapolé, vu que c’est filmé. Mais oui, la vidéo est à 10 millions et les gens adorent ce truc ! Le jour où cette vidéo sera devenue anecdotique, ce sera le signe que j’aurai suffisamment fait de bruit avec ma musique.
D’ailleurs, pour conclure, c’est quoi la suite ? Un autre EP, un album, une nouvelle tournée ?
Il y aura sûrement un nouvel EP… des tournées aussi ! Je n’ai jamais tourné aux États-Unis mais ce serait logique que je le fasse. Mais oui, pour la suite, il y aura plus de scènes et de festivals. Tout ce qu’il y a à développer, on va le développer !