Fourmillant d’idées, ayant à cœur de faire évoluer sa musique, on a déjà pu constater, dans sa jeune carrière, la volonté d’explorer les ambiances et trouver la façon idoine d’exprimer ses sentiments. Surfant alors sur la vague de son succès grandissant, sean se pensait immortel et intouchable. Mais tôt ou tard, la réalité vous revient en pleine tête. Si les auditeurs se réjouissent de la sortie d’un nouveau projet, il faut prendre conscience que MP3+WAV est une mixtape entachée d’un véritable coup dur. Une histoire que le rappeur a accepté de nous raconter, se faisant tutoyer des sentiments extrêmes: d’une tristesse profonde est née une rage de vaincre infaillible.
Le projet que tu vas sortir est né d’une histoire particulièrement difficile. Peux-tu nous expliquer la situation?
Le 14 juillet dernier, le studio dans lequel il n’y a que nous qui travaillons s’est fait cambrioler. Le lendemain, je me réveille difficilement parce que j’avais un peu fais la fête la veille et je vois que j’ai plein d’appels manqués d’un de mes potes. J’apprends en le rappelant ce qu’il s’est passé et la journée est devenue assez bizarre. On est allé sur les lieux du cambriolage, on a attendu la police scientifique et on s’est rendu compte que les lieux avaient en plus été vandalisés… On a vraiment tout perdu, que ce soit notre musique ou notre matériel. Dès cette journée, on a rebondi directement en se disant qu’on allait pas jeter les morceaux qu’on avait fait depuis presque un an. Sur nos mails, on a récupéré ce qu’on a pu, ce qui était un peu exploitable, donc les 8 sons finalement présents sur la mixtape. On a ensuite réfléchi à comment les sortir. Au début, on avait envie de les sortir très rapidement, dans les semaines qui suivaient mais on s’est ravisé. On a pu y penser et on est arrivé à cette idée de 8 lyrics videos avec Lokmane. On a rebondi comme ça et c’est un peu comme Untitled (Unmastered, sorti en 2016) de Kendrick, c’est un projet de transition.
Cet événement ressemble plutôt finalement à un coup de boost? Cela t’a permis de remettre le pied à l’étrier.
Clairement oui. Je crois énormément au destin et là on est en plein dedans. C’est quelque chose sur le moment qui m’a apporté du mauvais mais sur le long terme, ça m’a rendu plus fort et je sais qu’aujourd’hui j’ai presque deux fois plus la dalle.
C’est ce que tu dis sur l’outro de Symphonie d’ailleurs !
Cette outro là, on l’a enregistré le lendemain chez Roodie. An début, on avait toute une conversation téléphonique comme ça. On avait pour idée de faire tout un storytelling qui suit le projet. Finalement, on a décidé de garder que l’outro parce que sinon ça faisait un peu lourd.
C’est vrai que l’on sent que cette outro n’est pas jouée, qu’elle est sincère. Il y a de la douleur mais aussi un désir de revanche.
Exactement, elle est très honnête parce qu’elle n’est pas écrite. C’est vraiment ce que je ressentais sur le moment. C’est clair qu’il y a cette volonté de prendre sa revanche et charbonner deux fois plus pour le futur. Ça se répercute déjà sur ce qu’il se passe en ce moment. On a revu complètement notre stratégie. Ce projet là, on le sort tel qu’on l’a enregistré mais sur les prochains on va voir un nouveau Sean, qui aura plus la volonté de se mélanger et cet épisode est en grande partie responsable des changements qui vont se faire.
Justement, comment, en tant qu’artiste, se remet-on à créer après un tel évènement? As-tu ressenti une nouvelle énergie dans ta création?
Oui, ça m’a vraiment donné une nouvelle énergie dans la manière dont je fais de la musique. Ça ne m’a pas fait voir les choses différemment non plus. Je pense qu’on reste dans le même lignée sur les sons, on continue de développer l’univers qu’on a mis en place. C’est vrai que ça nous a donné un petit coup de jus. On est allé beaucoup plus au studio, j’ai découvert plein de compos, j’ai aussi fait beaucoup de sessions de compo et depuis septembre je n’arrête pas! C’est toute ma vie le studio.
Comment repense t-on une direction artistique cohérente en récupérant des morceaux dans les mails, à droite à gauche?
Bah pour ce projet MP3+WAV, la cohérence s’est un peu faite toute seule. Le concept, on l’a trouvé dès le lendemain de l’incident. Ce qui est marrant, c’est que normalement tu mixes pour trouver une cohérence, mais là on a rien mixé, la cohérence s’est faite vraiment dans les ambiances et ce que je raconte. Ce projet on l’a juste masterisé, tu peux même entendre des moments où je bégaye parce que les sons qu’on a récupérés, ce sont juste des exports qu’on devait retravailler, limite réenregistrer. C’est ça qui est cool aussi sur ce projet là, c’est qu’il est brut et un peu trash. Rien n’est calculé ou réfléchi, c’est très spontané.
Sur « Immortel », tu dis: « Je pensais que j’étais immortel ». Est-ce une injonction à toi même pour te dire que la vie n’est pas éternelle et que tu as des choses à accomplir ?
Il y de ça oui. Cette phrase résume aussi le temps qui passe comme tu le dis. Mais c’est aussi un sentiment d’immortalité, d’insouciance à un moment dans ta vie où tu te sens surpuissant et intouchable. Ce son incarne ces moments où tu prend conscience de la puissance des choses que tu es train de vivre. Je pensais vraiment que j’étais immortel, parce qu’il m’arrivait tellement de belles choses, mais à un moment tu retournes à la réalité et tu te dis: « Ah, je pensais vraiment que j’étais immortel… ».
Avec qui as-tu travaillé pour la production de l’album?
Il y a une très grosse partie qui a été faite par Roodie. On a aussi bossé avec KCIV, qui a beaucoup bossé avec Columbine et Sutus et qui produit aussi presque tout Joanna.
Dans ta musique, tu laisses aussi beaucoup de place au silence, pour atteindre quelque chose de très aéré.
Pour nous, le silence c’est la plus belle des notes. C’est important d’aérer ses sons et ça a guidé notre façon de travailler. On commence sur des prods très chargées avec lesquelles on pourrait faire presque 4 morceaux. Et au fur et à mesure qu’on avance, on écrème pour vraiment laisser la place à la voix.
« Sunshine » est pour moi un vrai hommage au Travis Scott de Rodéo. C’est une inspiration pour toi?
Clairement, c’est une des plus grandes inspirations pour moi et mon équipe. Surtout dans la façon de travailler. Un peu moins sur MP3+WAV, mais on a vraiment commencé à ramener plusieurs compositeurs et appris à travailler en équipe. En ce moment, on crée vraiment à plusieurs. On fait plein de collab. On va ramener un mec qui joue très bien de la guitare, il va rencontrer Elyo de Panama Bende qui travaille beaucoup avec moi. Lui après va dire à Roodie de s’occuper de la ligne de basse parce que c’est la qu’il est le meilleur. Moi ensuite j’enregistre, on va taffer le refrain, etc. C’est cet esprit d’équipe qu’on est en train d’instaurer et en ça Travis nous a beaucoup inspiré. En fait, si tu veux pousser ta musique, c’est pas dans une chambre que ça va se faire. Mercutio et A Moitié Loup, on a fait ça en très petit comité. Maintenant, ma musique est le fruit de plein de cerveaux.
Il y a aussi cette idée de collage. Associer des choses qui ne paraissent pas forcément propices.
C’est complètement ça. On fait des ballades mélancoliques sur des sonorités hyper dansantes. On essaye de faire en sorte que les gens s’approprient les émotions afin de les toucher au maximum.
Tu te confies aussi sur la difficulté à exprimer ce que tu ressens (« Comment te dire que je saigne »). La musique est-elle une aide pour exprimer tes sentiments?
Bien sûr, la musique est un exutoire, pour moi comme pour beaucoup d’artistes. C’est pas forcément ce que je ressens, c’est aussi ce que je vois, ce que les autres peuvent ressentir. Des fois, je remarque des moments de faiblesses chez certains, des fois ils m’en font part directement, je m’imprime de ces émotions pour essayer de les retranscrire dans mes textes. Au final, je m’inspire peu d’autres artistes ou d’autres musiques. Ma principale source d’inspiration, ce sont mes fréquentations. Une phrase qui peu paraître anodine, ça va m’inspirer un morceau. J’ai cette manie de noter les mots qui me marquent quand je parle avec les gens parce que je sais que 6 mois plus tard, ces mots peuvent donner un refrain.
Il y a donc aussi une grande partie de storytelling, puisque ce n’est pas simplement ta vie que tu racontes.
Tout à fait. Ma musique, c’est un peu la contemplation de notre génération. J’essaye d’avoir une vision panoramique des choses, de tout ce qu’on peut ressentir et être dans cette société. J’essaye de raconter les différentes vies qu’on peut avoir.
Sur « Comme t’aimes », tu te livres sur le fait d’avoir du mal à voir le futur. Est-ce que sortir ce projet est une manière d’éclaircir ton horizon?
C’est en partie cela oui. Mais cette phase, elle est aussi liée à un contexte. Je pense qu’aujourd’hui, le jeune monsieur du monde a du mal à se projeter sur le long terme parce qu’on est beaucoup dans l’instantané maintenant.
Dans « Symphonie », tu abordes un grand nombre de thèmes qui sonnent comme la clôture d’une période de vie. C’est un morceau très photographique en ce sens qu’il résume tout les paysages que tu as traversé.
C’est carrément ça. C’est un de mes premiers sons aussi introspectif, où je parle vraiment de moi, de tout ce que j’ai pu voir et vivre. Tu l’as très bien résumé, j’ai rien à ajouter (rires).
La musique est ta façon de gagner ta vie mais en disant: « Je me sens riche », il y aussi le côté immatériel des expériences vécues.
Exactement, c’est pour ça que je dis avant: « Je me sens vivre » puis « je me sens riche ». Je me sens riche dans tout les sens du terme, évidemment pas qu’au sens matériel. Je me sens riche d’expériences, de moments vécus, de soirées, de rencontres… Sur ce morceau, on a fait en sorte de résumer cette sensation de richesse. A chaque fois que t’entends le mot « sunshine », ça renvoie à un concept différent de la richesse. On a vraiment voulu que le mot te transporte dans un endroit différent en t’amenant à chaque fois des émotions différentes.
Remerciements à Priscilla Adam pour avoir organisé cette rencontre accompagné de son allégresse communicative.
S/o à Hicham, son appareil photo, son talent et son sourire lumineux.
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