Il y a 10 ans maintenant ScHoolboy Q rejoignait le label Top Dawg Entertainment. Notamment après la sortie de sa première mixtape Schoolboy Turned Hustla (2008) qui finit de convaincre Anthony ‘Top Dawg’ Tiffith de le signer définitivement sur sa structure musicale. Longtemps dans l’entourage du label avec de nombreuses collaborations, le voilà donc officiellement chez TDE aux côtés de Jay Rock, Kendrick Lamar et Ab-Soul. La suite de sa discographie vous la connaissez avec sa seconde mixtape Gangsta & Soul (2009) et ses deux premiers albums indépendants : Setbacks (2011) et Habits & Contradictions (2012). Suivront ensuite ses deux premières sorties sur la major Interscope avec Oxymoron (2014) et Blank Face LP (2016). Autant de succès commerciaux qui le mèneront aux sommets des charts et lui offriront un statut de poids lourd dans l’industrie.
Si quasiment 3 ans séparent ce nouvel album CrasH Talk du précédent, ce ne fût pas du tout un choix délibéré. A la fin de l’été dernier, toute l’équipe TDE était dans les starting blocks pour lancer un nouveau projet de Q, jusqu’au décès inattendu de son ami Mac Miller le 7 septembre 2018… Deux artistes très proches qui ont connu en même temps le succès et les conséquences que cela implique. Une exposition médiatique très forte qu’il n’est pas toujours facile de digérer, laissant place parfois à des phases de dépression dont il ne s’en est jamais cachées. Suite à cette tragique perte, ScHooboy Q décida donc instantanément d’annuler le début de la promo de ce nouvel album, préférant reporter à l’année suivante sa sortie.
C’est donc le 26 avril 2019 que parait enfin ce 5ème album du MC de South Central, un projet intitulé CrasH Talk qui cache différentes significations et notamment celle d’un opus dont l’enregistrement ne fût pas si simple. En effet, ScHoolboy Q a déclaré récemment qu’il avait par deux fois recommencé de zéro cet album (je le cite : « They were trash ») avant d’arriver à une version qu’il pensait être définitive mais qui n’a pas du tout emballé Jay Rock et Kendrick, poussant ces derniers à le convaincre de repartir une nouvelle fois de zéro.
Quelques mois plus tard c’est donc une version de 14 morceaux qui nous arrive dans les oreilles pour un timing total de 40 minutes. Une durée très représentative d’une longueur moyenne d’un titre en constance baisse ces dernières années avec notamment la domination du style Trap. Pour la pochette, on notera que son auteur a décidé une nouvelle fois d’y dissimuler sa tête. Cette fois ci ce sera derrière ce mythique brown paper bag américain rempli de billets sur lequel on retrouve aussi l’inscription de la lettre Q qu’il s’est fait tatoué sur le visage au même endroit.
A l’instar des autres sorties du label TDE : qui dit nouveau projet, dit nouvelles attentes et surtout l’obligation de revenir avec quelque chose de différent. Kendrick Lamar en est le meilleur exemple avec ses trois dernières sorties où le réchauffé n’avait surtout pas sa place. Ne vous attendez donc pas à une suite d’Oxymoron ou du Blank Face LP, mais plutôt à un opus reflétant l’état d’esprit actuel de Quincy Matthew Hanley avec un album qu’il a décidé de diviser en 3 parties.
Dans cette première partie, on y retrouve les deux premiers singles clipés mais c’est surtout un autre morceau qui mérite tout notre attention avec « Tales ». Un titre produit par DJ Dahi, G Koop et Jake One dans lequel Q retrace son parcours et notamment ses débuts en tant que dealer. Il alterne humour et propos beaucoup plus sérieux avec un ton dramatique et honnête qui a toujours fait sa force. La fin de ce morceau en est le meilleur exemple: « Probably miss my mom funeral, my daughter a ho / Because the man of the house ain’t the man no more / And the bitch I call my girl, she done found my dope / I sent her in a deep depression ’til her post went ghost ».
« Gang Gang » sert d’introduction à l’album avec cette production de J-Bo & DJ Fu qui incarne la tonalité sonore de ce projet. Un univers tournant principalement autour de la trap, à l’image des deux premiers singles officiels de cet opus. « CHopstix » est clairement une tentative de hit radio avec au refrain Travis Scott qui brode sur quelques mesures autour du mot chopstick. L’inspiration n’est pas la grande qualité de ce morceau, que ce soit la prod de DJ Dahi ou les prestations finalement très banales des deux intervenants.
« Numb Numb Juice » est pour le coup beaucoup plus convainquant avec un ScHoolboy Q qui retrouve le mordant qu’on lui connaît, bien aidé par ce beat co-produit par Nez & Rio, DJ Fu et Hykeem Carter (Baby Keem). Le seul défaut de ce track est peut être sa très courte durée. On n‘aurait pas dit non à un couplet supplémentaire du même acabit que ceux présents sur le morceau, ou carrément à un vrai featuring du camp TDE totalement absent de cette tracklist.
Cette deuxième partie s’ouvre avec la collaboration « Drunk » en compagnie de 6LACK sur un piano très jazzy qui nous offre un moment suspendu dans le temps. Une ambiance down tempo de fin de soirée où les bouteilles vides commencent à s’accumuler sur la table laissant place à des confessions nocturnes orchestrées musicalement par Bēkon, Sounwave et DJ Dahi. Groovy Q revient une nouvelle fois sur le décès de sa grand-mère dont il était extrêmement proche. De son côté, 6LACK arrive encore à nous faire rentrer dans la tête quelques gimmicks marquants dont il a le secret (« Just a lil’ buzz, just a lil’ buzz »).
« Lies » sent bon l’été et la Californie, le trio ScHoolboy Q, Ty Dolla $ign et YG ne nous offrent pas forcément un moment mémorable mais pas de quoi zapper non plus ce morceau produit par Sounwave et Hykeem Carter. Je vois ce titre comme une sorte d’interlude qui va nous emmener au cœur de ce projet en débutant par « 5200 ». Quelques ad-libs de Kendrick Lamar (et d’un corbeau) pour ce morceau concocté par Sounwave et !llmind qui n’est pas sans rappeler l’ambiance qu’on pouvait retrouver sur la soundtrack du film Black Panther, tout ça donne un résultat concluant. Une course musicale effrénée symbole d’un style de vie dangereux assumé par l’auteur.
Who knew failure make you better? My adversities done turned me to a killer
Les trois morceaux suivants sont autant de réussites dans différents styles. La mélancolie est de mise sur les deux productions d’un DJ Dahi en grande forme : « Black Folk » (co-prod Jake One) et « Dangerous ». Le premier titre explore une nouvelle fois le thème des démons intérieurs quand le second est une collaboration avec Kid Cudi sur les effets secondaires dus à la consommation excessive de drogue. Ce dernier morceau est complété et précédé par « Floating » qui là encore nous décrit un état d’intoxication profond suite à la prise de substances psychédéliques. 21 Savage est le partenaire idéal pour ce genre de titre, notamment avec ce type de beat (Cardo et Johnny Juliano), vraiment excellent.
Dans cette dernière partie, on retrouve le duo Cardo et Johnny Juliano pour deux nouvelles productions aussi sombre que la précédente mais toujours très efficaces. Si l’originalité n’est pas au rendez-vous, « Die Wit Em » et « Water » ont le mérite de mettre ScHoolboy Q dans un univers où il est toujours entrainant. Le dernier morceau cité est une collaboration avec Lil Baby (et Cardo au refrain) qu’on n’attendait pas forcément mais qui fonctionne parfaitement il faut bien l’avouer. Chaque écoute de « Water » donne à ce morceau une nouvelle ampleur pour en faire au final l’un des moments forts de cet opus.
Avec « CrasH », on est obligé de se replonger en 1999 avec le morceau « Boom » de Royce da 5’9″ produit par DJ Premier. Pour l’occasion, Boi-1da a décidé de ré-interpréter la prod de ce titre qui samplait originellement le « Forever Is a Long, Long Time » de Marc Hannibal. Une version beaucoup plus lente qui manque peut être un peu de mordant par rapport à celle de R59, puisque le rapprochement et la comparaison sont inévitables. Si le premier couplet ne restera pas dans les annales, le second hausse de suite le niveau en commençant par la nouvelle passion de Q qui a réussi à l’apaiser dans la vie de tous les jours : le golf (« Nigga gotta hit the golf course to get a peace of mind »).
Cet album se conclut avec le morceau « Attention », et quel morceau ! Encore une fois c’est le duo Nez & Rio qui fournit à Q l’un des meilleurs moments de cette œuvre. Sur ses 3 derniers projets, on leur doit les titres : « Man of the Year », « Gangsta », « Torch », « Str8 Ballin », « Tookie Knows II », « Druggys wit Hoes Again » et « Niggahs.already.know.davers.flow ». Que des collaborations excellentes, et ce n’est pas ce morceau « Attention » qui va déroger à la règle. ScHoolboy Q nous offre sur ce titre un long couplet dans lequel il se satisfait d’avoir rencontré et gagné le respect de ses idoles comme Nas, Jay-Z, Dr. Dre ou encore Alchemist.
Il y raconte aussi cyniquement le quotidien tragique de son entourage à Figueroa et Hoover Street, ainsi que son obsession de ne plus être là un jour pour sa fille Joy :
« Got the devil on my side while the Lord been pushin’ me over / I can finally understand why my uncles was never sober / Deadbeat dad on the gas, that gas my motor / Either grab the mic, nigga, grab the same pistola / I can easily tell my story now and climb from this moment / Just imagine Joy hopes if I died next mornin’ ».
Le thème de la mort revient à de nombreuses reprises et sous diverses formes (armes, overdoses, accidents de la route) sur ce projet qui aurait très bien pu s’appeler aussi DeatH Talk.
Avec CrasH Talk, ScHoolboy Q nous livre pour la première fois peut-être, un album sur lequel il n’a plus rien à prouver. Déjà bien installé dans le paysage rap, ce dernier projet est surtout l’occasion pour son auteur de se réconcilier avec lui même sans devoir absolument courir après quelque chose de précis. Il décrit cet opus comme le premier qu’il a finalisé en étant complètement heureux et apaisé. Certains regretteront donc peut être le Q un peu plus excité et torturé des précédents projets.
Si quelques passages auraient mérité un peu plus de relief pour faire basculer certains titres dans une autre dimension, cet album est au final de bonne facture sans devenir toutefois la référence ultime de sa discographie. On peut penser que quelques titres trouveront rapidement un second souffle en live avec un potentiel indéniable. Enfin, CrasH Talk est une sortie qui réussit à nous offrir une nouvelle facette de son auteur, répondant dans ce sens aux cahiers des charges exigeants des projets TDE.
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