SCH – JVLIVS Prequel : Giulio

En ces temps d’olympiades parisiennes, nombreux et nombreuses sont les athlètes qui se battent contre l’inlassable avancée du temps. Dans le rap, ce phénomène est rare; voire inexistant lorsqu’il est question d’une tête d’affiche au large succès commercial. Si les tickets pour participer aux Jeux Olympiques ont déjà été distribués, SCH s’essaye tout de même à ce périlleux exercice sur ce nouveau projet. Pour rappel, le premier volume de la saga JVLIVS est sorti en 2018; il y a maintenant six ans. Ainsi, toute l’ambition de SCH repose sur sa croyance en sa capacité à retrouver et à recréer une atmosphère musicale datant d’avant 2018. 

Or, six ans plus tard, SCH a à la fois changé de statut mais aussi de personnage. Si SCH était déjà plus que connu en 2018, la sortie du premier tome de JVLIVS l’a installé comme l’un des tauliers du rap français. En ce sens, SCH, capable de fulgurances sur un album entier, ne cessait de se démarquer grâce à l’extrême cohérence de sa direction artistique. En effet, JVLIVS venait cristalliser le temps de dix-sept morceaux tout l’univers de la mafia italienne qui irriguait depuis le début la musique du numéro 19. 

Un SCH bifrons

Pourtant, seulement deux ans plus tard, un tournant semblait s’être opéré. Après la sortie en 2019 de l’excellente mixtape Rooftop, SCH faisait son retour en 2020, pour la première fois en groupe. L’heure était à la célébration du rap marseillais, qui à force de travail, avait su conquérir l’oreille de nombreux et nombreuses auditeur·rice·s réticent·e·s à la première heure. Si SCH s’était toujours réclamé de Marseille, sa musique, alors si différente, semblait incompatible à l’ambitieux projet de Jul. Force est de constater que l’on s’était trompé. 

Suite au succès phénoménal de “Bande organisée”, SCH entrait dans une nouvelle dimension. Désormais connu de toutes et tous et associé en premier lieu à ce hit aux antipodes de ce à quoi il nous avait habitué, SCH avait là l’opportunité de devenir une figure pop du rap français. Ainsi, le mystérieux personnage masqué par le voile JVLIVS dévoilait subitement un nouveau visage. Entre “Fade up” avec Hamza, son partenariat avec Betclic, sa participation à Nouvelle École, sa vidéo avec Loris sur YouTube ou encore ses innombrables collaborations, SCH était devenu autre. Ni mieux, ni moins bien. Simplement différent. 

Un disque plein d’enjeux

Si ses sorties solos demeuraient qualitatives sur le plan musical (JVLIVS II et Autobahn), la crédibilité de son personnage d’antan n’était plus. Quelque chose sonnait faux derrière cette dualité entre un SCH rieur, constamment avec le sourire et ce personnage mafieux qui se voulait inquiétant et mystérieux. Dès lors, sortir le tome III dans ces conditions aurait relevé du suicide pour ce disque aux airs de classique dans la grande discographie de SCH. 

En somme, JVLIVS Prequel : Giulio posait trois immenses défis à SCH. Sera-t-il capable de remonter le temps tant musicalement que dans l’histoire ? Dans quelle mesure, réussira-t-il à nous faire oublier le temps de l’écoute la disjonction entre ce personnage et son côté pop ? En quoi représentera-t-il une rampe de lancement digne de ce nom pour JVLIVS tome III ?

Une D.A minutieuse signant le grand retour de la saga JVLIVS

Loin d’être dupe dans la conception de cet album, SCH avait sûrement pris conscience de ces trois défis. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ont été admirablement surmontés. Comment aborder ce sujet sans commencer par la pierre angulaire de toute la stratégie derrière ce projet ? En effet, pour défendre le disque en amont de sa sortie, SCH avait décidé de dévoiler un court métrage long de 19 minutes, du nom de l’album. Or, ce court-métrage a tout d’une pièce maîtresse. S’il permet au premier abord de se replonger dans l’univers JVLIVS, sa portée est tout autre. En réalité, ce court-métrage écrit par SCH en personne et réalisé par Kevin Hilem donne des clés de lecture inédites quant à la compréhension de l’ensemble de la saga. En témoignent la chronologie soudainement détaillée, l’esthétique vestimentaire rappelant le SCH d’entre 2014 et 2018 ou encore les explications concernant son lien avec l’Italie. 

De plus, cette œuvre atypique se superpose à merveille avec le début de l’album. En ce sens, le titre “Le baptême” ouvre le projet par une naissance compliquée passée en soins intensifs. Or, cette naissance n’a rien de classique : elle marque la naissance du personnage fil conducteur de la carrière de SCH, voire d’une esthétique faite de douleurs accompagnée par une instrumentale épique. D’ailleurs, dans le court métrage, on peut entendre : “Les cris de sa pauvre mère ne faisaient qu’annoncer l’arrivée du déluge. On a dit de son père qu’il était né dans le Vésuve, lui est né dans une marre de sang”. Ainsi, c’est tout un univers qui renaît de ses cendres derrière un SCH des grandes occasions.

Une épopée temporelle et géographique

Depuis le début de sa carrière, SCH a toujours été un client plus que sérieux au micro. Ici, il ajoute une corde à son arc en s’improvisant son propre imitateur. En effet, que ce soit dans la voix rauque ou dans les flows, il se rapproche de son style si caractéristique de l’époque Deo Favente/JVLIVS tome I. Par ailleurs, la hargne dans sa voix met en lumière la situation dans laquelle il se trouvait à ce moment précis de l’histoire; c’est-à-dire lorsqu’il avait encore tout à prouver.
Enfin, SCH alterne habilement, aussi bien en musique qu’en images, entre Marseille et Naples. A cet égard, des titres comme “Cannelloni” ou “Balafres” avec sa guitare méditerranéenne témoignent subtilement de cette étroite relation qui le lie au pays à la botte.

 

Donc, grâce à une justesse déterminante sur tous les tableaux (imagerie, scénario, interprétation, cohérence musicale…), SCH a réussi à relever ces défis qui n’avaient rien d’évident sur le papier. L’habillage JVLIVS étant de retour, il pouvait alors miser sur ses plus grandes forces qui ne lui font que rarement défaut. 

Des points forts, toujours plus forts 

Comme dit précédemment, SCH est de retour à un niveau stratosphérique dans l’interprétation. Or, ce niveau va de paire avec une démonstration de rap pendant 17 morceaux. Qui aujourd’hui peut prétendre réaliser un album d’une heure sans featuring en étant impressionnant sur la totalité des morceaux ? À force de travail, SCH semble avoir développé une palette de flows incommensurables : “l’artisan que j’ai en moi n’a jamais compté les heures” (sur “Balafres”). De fait, l’album est rythmé par de nombreuses prouesses au micro qui permettent de sublimer les quelques instrumentales un peu plus classiques du projet.
Globalement, ce dernier est porté par l’aspect cinématographique, retrouvé, des instrumentales et des interludes. Résultant d’un casting all star de producteurs (2K on the track, Gancho, Seezy, BBP, Heezy Lee, Geo on the track, Zeg P …), les instrumentales donnent une profondeur et un corps à l’histoire, tous deux essentiels à sa crédibilité.

De plus, les interludes interprétées par Gérard Surugue (connu pour son doublage des Affranchis) sont tout simplement exceptionnelles. L’écriture nous y tient en haleine tout en ajoutant de la poésie à un monde obscur où la tension règne en tout temps : “En premier, on fait revenir l’oignon et l’ail jusqu’à ce qu’ils soient translucides, comme des paroles chuchotées dans l’ombre. (…) On remplit les cannellonis avec le mélange de fromage, comme si on injectait de la loyauté dans chaque tube (…) Ce jour-là, au sous-sol de la maison, un invité moins attendu partageait l’espace, loin des festivités qui se déroulaient à quelques pas seulement. Là, en bas, un tout autre récit se jouait. Un récit de peur et d’incertitude. Un drame silencieux, sous la symphonie des éclats de rires en surface.” (extraits de “La recette”).
Si à cela on ajoute un SCH des plus railleurs sur certains passages : “je fais twerker cette jolie bitch sur les genoux d’un rappeur engagé” (sur “Prequel”), on obtient tout bonnement certains des meilleurs morceaux de sa carrière dans des styles très différents. “Prequel”, “Beaux arts” et surtout “Calabre” et sa guitare électrique en font clairement partie. 

 

Ainsi, à cette D.A pertinente s’ajoute un SCH pointilleux. Malgré cette capacité à capitaliser sur ces points forts historiques, l’album n’est pas totalement parfait. 

Des limites structurelles 

Il est temps de se l’avouer. Si JVLIVS dispose depuis le début d’un habillage riche et cohérent, le scénario demeure relativement flou après trois opus. En réalité, JVLIVS ne se veut pas être une histoire. Il est surtout la chronique d’un personnage naviguant entre un fantasme mafieux et Julien qui se cache derrière SCH.
Certes, le court-métrage a aidé à comprendre la chronologie de l’histoire et certains de ses éléments. Néanmoins, n’est-ce pas là le signe que le propos défendu à travers ce triptyque demeure quasiment illisible ? Finalement, ce reproche n’a rien de spécifique à ce volume. Il n’est là que la conséquence d’un parti pris artistique où l’on peine parfois à discerner certains éléments et où l’on s’accroche aux quelques bribes de contenu narratif pour essayer d’y trouver un sens.
Au-delà du contenu, l’intensité dingue de ce projet retombe quelque peu sur des morceaux plus classiques comme “Quoi” ou “Hells Kitchen”. S’ils demeurent bien réalisés dans leurs styles respectifs, il n’est pas sûr qu’ils soient du calibre de ce que SCH peut proposer sur le reste de l’album. 

Une grande réussite 

Pour conclure, JVLIVS Prequel : Giulio reposait sur un coup de poker. Or, ce dernier a été joué de bout en bout d’une main de maître. Grâce à ce projet, SCH semble avoir retrouvé l’allant qu’il avait perdu et qui lui sera nécessaire de conserver avant la sortie du tome III. En ce sens, il gagnerait peut-être à s’absenter quelques temps pour cultiver l’attente et l’aspect mystique qui règne depuis maintenant quelques années sur la conclusion de cette saga d’ores et déjà historique dans le rap français.
Ainsi, JVLIVS Prequel : Giulio vient s’ajouter à l’impressionnante discographie de SCH. Une fois de plus, il confirme qu’au jeu du meilleur rappeur français des dix dernières années, il n’est pas qu’un simple outsider. Attendons maintenant BĒYĀH pour trancher …

Hugo Branche

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