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SCH et ses « stigmates » livrés au sort inéluctable de JVLIVS

Si quelqu’un se posait encore la question de qui pouvait prétendre au titre de MVP* en 2024, il semble, qu’au fil des mois, ce débat ait tendance à tomber dans une patente obsolescence. Dans le viseur des critiques il y a un an à peine, plus à tort qu’à raison, SCH avait décidé de remettre les pendules à l’heure en mai dernier. En effet, JVLIVS prequel : Giulio (dont l’analyse détaillée est disponible juste ici), avait rouvert avec brio la trilogie centrale de la carrière de l’artiste phocéen. Alors pourquoi s’arrêter si bien lancé ?

Si surfer sur ce nouvel élan semble logique, l’annonce de la sortie de l’opus final de la saga JVLIVS pour le 6 décembre prochain a d’abord pu en surprendre plus d’un. Néanmoins, SCH compte bien capitaliser sur la renaissance de l’engouement autour d’un personnage mystique qui semblait démuni de toute sa magnificence il y a de ça quelques mois.
Synonyme d’une fin de cycle, JVLIVS III : Ad finem est introduit par une œuvre hors du commun. Effectivement, le clip du premier morceau intitulé “Stigmates” porte une ambition rare tant ce dernier est riche en références. Véritable mosaïque de la saga JVLIVS, “Stigmates” offre de nombreuses clés de lecture d’une trilogie qui restait extrêmement cryptique jusqu’alors. 

*Trophée qui récompense le meilleur joueur (Most Valuable Player, ou MVP) de la saison en NBA

Un SCH plus introspectif que jamais

“La jeunesse me laisse un arôme de sang dans la bouche”. C’est ainsi que s’ouvre le premier couplet. En gros plan, SCH y figure tête baissée sous la douche, dont les cheveux détachés peinent à dévoiler ses épaules. Si visuellement cette scène fait directement écho à la pochette d’Anarchie, elle permet à l’artiste marseillais de porter un regard rétrospectif sur sa carrière depuis 2016.

En ce sens, un premier couplet introspectif dresse le portrait d’un homme meurtri à la frontière entre Julien et JVLIVS. Dès lors, les stigmates se dévoilent à l’écran au rythme du texte sur le corps d’un SCH plus sincère que jamais. Si le personnage de JVLIVS semble avoir transcendé ses ambitions initiales dans JVLIVS II, rien n’assure que l’homme se cachant derrière cette épaisse fourrure si caractéristique ne soit pas profondément éprouvé par cette réussite à l’arrière-goût sanglant. 

Pour la première fois, JVLIVS regarde ses actions, autrefois glorieuses, avec remords : “Je dis que je suis quelqu’un de bien : c’est relatif”. Par cette subtile référence à l’introduction éponyme d’Anarchie (“On dit que tout va bien. Tout est relatif. Je dis que je suis quelqu’un de bien. Tout est relatif.), SCH boucle la boucle avec ses premiers projets. Ainsi, ces clins d’oeils bien sentis offrent une valeur ajoutée à ces disques qui commencent à avoir un certain âge, tout en faisant sens avec la direction prise par la trilogie JVLIVS.

Alors oui, certains diront que les textes sont les mêmes. Toutefois, les contextes, eux, ont bien évolué en huit ans. En effet, le ton solennel suggère une prise de conscience soudaine des impacts de ses actes. En témoigne d’ailleurs, une fois de plus, le parallélisme entre un SCH plein de charisme, python autour du cou, entouré de 2 flammes dans le clip “d’A7” et un Julien assis avec un simple marcel, triste, devant une marre de flammes prêtes à l’engloutir.


JVLIVS aurait-il joué dans Shining ?

Ainsi, aussi bien dans les textes que dans les images, SCH met en exergue par ses comparaisons le revirement radical qui s’opère en lui en profondeur malgré des situations qui sur le papier semblent analogues. En ce sens, le rythme effréné de la vie de JVLIVS (qui ici se superpose avec celle de SCH), faite de sang et d’une quête inlassable de pouvoir a profondément atteint la santé mentale de Julien. Il déclare d’ailleurs : “ma vie m’a rendu parano”.

Ce thème de la folie n’a rien de nouveau dans la musique de l’artiste marseillais. De fait, le titre “Parano” lui était déjà dédié sur JVLIVS II. Pour autant, ici, ce sujet prend une toute autre ampleur grâce à la direction artistique géniale du clip « Les hommes aux yeux noirs » (Kevin Wilhem et Wiktor Piper). Après le court-métrage réalisé pour la sortie du prequel, SCH insiste sur son amour pour le cinéma en servant le propos du morceau. On le retrouve tapant des centaines de fois sur une machine à écrire un seul et unique groupe nominal.

De toute évidence, cette scène fait référence à “Shining” de Stanley Kubrick dans lequel Jack Torrance écrit des milliers de fois sur sa machine à écrire la même phrase : “All work and no play makes Jack a dull boy”. Signe d’un travail mêlant aliénant et folie pour Jack, le parallèle coule ici de source. Ad finem. Voici le groupe nominal qui peuple seul ces feuilles de papier. Signifiant “jusqu’à la fin” en latin, le titre du tome III n’a pas été choisi par hasard. En ce sens, Julien serait hanté par son personnage de JVLIVS au point d’être incapable de se rendre compte de cette accumulation de stigmates quitte à se battre pour son empire jusqu’au bout. Jusqu’à la fin.

 

Un SCH au bord du naufrage

Il est d’autant plus légitime de parler de folie lorsque l’on regarde l’état de ce qui l’entoure. Sur son passage, les murs se fissurent, le miroir se brise, le lustre s’écroule. Par ailleurs, SCH invoque la symbolique de la mort avec l’orage, la nuit noire et le corbeau. Ainsi, tout son environnement s’effondre pas à pas autour de lui. Exactement comme s’il était la dernière pièce à tenir debout dans un empire fait de ruines.
De fait, la présence de la pochette encadrée de JVLIVS I sur un mur défraîchi du manoir n’est pas anodine. Si cela pourrait laisser sous-entendre que cette relique du passé est une des dernières dans cette villa que l’on pouvait jadis aisément imaginer faste, cette théorie est confirmée par deux scènes où SCH contemple ce tableau avec nostalgie ; comme si ces heures glorieuses étaient déjà derrière lui.

SCH définitivement prêt à partir

En dépit d’un certain refus de la réalité, JVLIVS est bien conscient qu’il n’a pas le vent en poupe. Presque tragique, le registre de la mort est omniprésent dans cette première partie du morceau. Tout d’abord, en référençant l’excellent morceau “Interlude présent sur Rooftop (“moi et mes reufs pas destinés à crever vieux et pieux”), cela lui permet de revenir habilement sur les tragiques événements de cet été : “Des fois, je me dis que je serai jamais vieux, des fois je me dis que je serai jamais pieux.” Pour rappel, SCH avait échappé à une tentative d’assassinat à laquelle deux de ses proches ont succombé.

Au-delà de la réalité, JVLIVS semble plus proche de la mort qu’il ne l’a jamais été. À nouveau, SCH utilise subtilement la symbolique pour appuyer le propos. À  travers plusieurs plans, SCH fait écho au “Radeau de la méduse” (1818-1819) de Géricault. Dans ce tableau, le peintre romantique fait l’éloge de la mort romanesque par le biais de l’histoire du naufrage d’une frégate au large de la Mauritanie. De la même manière, JVLIVS est le dernier debout dans un environnement mortifère où la seule option considérable est le naufrage.

Un forme de génie artistique en action

SCH aurait-il eu des rêves prémonitoires dès le Prequel ? Sur “Calabre”, il rappait : “Je traîne quelques stigmates ineffaçables. Que Dieu me pardonne de mener cette croisade. Lourd est le fardeau, opaque est le revers de la médaille mais je suis venu en radeau”. 

En somme, c’est tout le génie artistique de SCH qui est mis en exergue sur cette séquence. Du visuel aux textes, en passant par les ponts entre différentes œuvres culturelles, qu’elles soient siennes ou picturales, l’ensemble donne une richesse incroyable à ce clip. Ainsi, le recul soudain de JVLIVS, couplé à la symbolique, semble indiquer un retrait de cette vie désormais trop tumultueuse pour Julien. Qu’en est-il réellement ?

Julien, prisonnier de JVLIVS

Ce qu’il en est réellement se décide en l’espace d’une scène longue de 5 petites secondes. Après déjà 3mn30 de mise à nu, SCH brandit son arme face à son miroir reflétant cette personne chez qui la fragilité n’a rien d’habituel. À tel point qu’il décide de tirer sur cette image de lui-même que JVLIVS cherche tant à fuir.

Dès lors, le morceau et le clip changent complètement de stratosphère. Fini la sensibilité, la fragilité et l’apologie de la mort. Place à une agressivité retrouvée, à un charisme débordant et à la fourrure de la pochette de JVLIVS I. En ce sens, la vidéo coïncide avec la musique. Les changements d’instrumentales de Seezy (connu pour ses collaborations avec Vald), de flows et de grains de voix marquent cette dualité au sein du même morceau. À cet égard, les plaies qui continuaient de s’ouvrir jusqu’alors se referment les unes après les autres. Serait-ce là un signe que celles-ci n’étaient que dans la tête d’un personnage toujours aussi solide en surface ?

À minima, toutes ses failles se dissipent sous une prestance indéniable et une fourrure toujours aussi iconique. En témoignent des paroles désormais bien plus classiques pour un extrait de la trilogie : “Et cette putain de cabine, quand j’y rentre, on dirait que je leur en colle un sur la tempe (…) Je lui parle de love les deux doigts dans la bouche.” On aura reconnu l’ouverture du projet Autobahn sur un morceau dont le titre (“Magnum”) est peu enclin à toute forme de négociation : “je lui parle d’amour les doigts dans la bouche.”
Donc, la fragilité sous-jacente de Julien est totalement dominée par la nécessité pour JVLIVS de livrer ce personnage si codifié, sous peine de tout perdre.

Un isolement qui n’a rien de rassurant

En effet, cette fragilité, JVLIVS, fait bien plus que la renier. À la fin de la vidéo, un homme amoché est amené à s’asseoir de force au bout de la table face à JVLIVS. Or, cet homme n’est autre que Giulio, le cousin italien de JVLIVS. On l’avait notamment aperçu dans les clips de “Prêt à partir” ft. Ninho, dans les escaliers de “Cannelloni” mais surtout dans le court-métrage précédant la sortie du Prequel. Giulio y défiait notamment JVLIVS de venir essayer de reprendre les terres familiales en Italie. Il semblerait que ce différend ait pris une tournure bien différente de celle proférée par Giulio. Se muant en “loup noir”, outro de JVLIVS II : Marché noir (les notes de piano sont reprises sur “Stigmates”), SCH et JVLIVS semblent prêts à n’en faire qu’une bouchée pour conclure la vidéo.

Une fin tragique, pour un JVLIVS mué en héros grec

À bien des égards, ceci est alarmant. Alarmant tout d’abord quant à la santé mentale de JVLIVS que nous avons déjà bien détaillée. Alarmant car JVLIVS est totalement isolé lors de cette entrevue. Ses acolytes, d’abord attablés avec lui, semblent être happés par une force supérieure, comme si ce n’était plus que des fantômes entourant JVLIVS. Ceci viendrait donner encore plus de poids à la référence à Géricault. Alarmant enfin quand on sait que la rhétorique de la mort fait office de fil conducteur à l’ensemble du morceau.

Et ce d’autant plus que cette dernière ne s’arrête pas là. Les 3 pochettes révélées pour JVLIVS III : Ad Finem dévoilent un JVLIVS gisant dans une fontaine de sang, à l’image de Tony Montana dans “Scarface”. Cette fontaine n’est autre que celle d’ores et déjà présente sur les pochettes de JVLIVS Prequel et de JVLIVS I. En somme, la mort du héros de la saga semble écrite là où tout a commencé. À l’image des protagonistes des plus grandes tragédies grecques, il ne lui reste donc plus qu’à accomplir son destin.

L’un des tout meilleurs clips de l’année 2024

Pour conclure, “Stigmates” est un véritable pilier de la saga JVLIVS. SCH y délivre un morceau exceptionnel où le texte et les flows se superposent pour ne former qu’un. En réalité, il en va de même pour Julien et JVLIVS qui semblent plus unis que jamais… Mais sûrement pour le pire. Par ailleurs, les multiples références permettent de porter un regard rétrospectif sur la toile que SCH tissait depuis des années et dont il nous manquait de trop nombreuses clés de lecture.

Ainsi, des premiers éléments de réponse figurent au sein de cette vidéo. Celle-ci permet à la discographie de SCH de prendre une ampleur nouvelle grâce à une interconnexion fascinante entre ses différentes œuvres, issues ou non de la trilogie JVLIVS. De plus, cette interconnexion dépasse les frontières, souvent bien trop imperméables, du rap en introduisant des références. En effet, les divers ponts cinématographiques et picturaux soulignent une dimension centrale de la symbolique. Bref, le rendez-vous pour le 6 décembre est pris et SCH continue de marquer 2024 d’une empreinte qui risque de devenir extrêmement indélébile. 

Hugo Branche

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