Comment la scène Trap antillaise va conquérir l’hexagone
Les influences du continent nord-américain sur les Caraïbes ont rapidement amené les jeunes antillais à écouter du rap. Originellement terre de zouk, de biguine et de kompa, elle voit apparaitre depuis quelques années une scène trap locale en passe de s’imposer au delà du territoire antillais, notamment en métropole.
D’Atlanta aux Caraïbes
Bien des années avant de gagner le public caribéen, la trap puise son origine dans le rap sudiste des années 2000 à Atlanta, au sud des Etats-Unis. Initialement utilisée pour désigner les lieux où se déroulaient les trafics de drogue, c’est dans ces « trap houses », maisons désaffectées hébergeant le trafic de drogue, que ce nouveau genre musical a vu le jour. En témoigne la web-série Arte Lost in Traplanta, qui raconte, sous l’angle de la fiction, la naissance de la trap et comment elle a infusé la musique jusqu’à aujourd’hui.
Par son origine et par les messages qu’elle véhicule, la trap a longtemps été combattue par les autorités qui reprochaient aux artistes d’être à l’origine de la violence dans certains quartiers. Souvent confondue avec la drill dont le rythme est plus lent et qui s’accompagne d’un tempo modéré, la trap se distingue par son contenu lyrique répétitif, ses mélodies sombres, ses basses grasses et ses nappes de synthé.
Violence et réalité de la rue
Les paroles, souvent très crues, de la trap traitent de la violence, de la drogue ou encore des exploits des caïds des quartiers les plus sensibles. Elles trouvent ainsi un écho certain dans les îles caribéennes qui voient leurs taux de chômage et d’homicide augmenter chaque année en raison des guerres de gangs qui sévissent au sein de la population.
Les trappers antillais, à l’image de leurs voisins américains, n’hésitent pas à arborer liasses de billets, chaines en or ou armes lourdes devant l’objectif. Au-delà de la musique, ils adoptent un certain style de vie et montrent à travers les clips tournés dans de véritables ghetto, une réalité sociale qui témoigne d’une précarité bien réelle. Si la trap aux Antilles subit l’influence des Etats-Unis, elle possède pour autant sa propre identité, puisant dans ses racines et son riche patrimoine musical local.
Cette référence omniprésente à la rue tant dans les paroles que dans les clips, l’artiste Tiitof l’illustre parfaitement dans son clip « Toujours Dans Le Bloc » sorti en janvier. Comme partout à travers où elle s’est imposée, ce qui fait l’originalité de la trap, c’est qu’elle n’est pas seulement un courant musical mais un véritable style de vie.
La trap made in West Indies
Aidée par les plateformes de streaming et très écoutée par les jeunes, c’est en 2012 et avec une décennie de retard que la trap a d’abord conquis les Antilles avant d’arriver en métropole.
La trap version créole a été mise en avant par des artistes issus des quartiers sensibles de Point-à-Pitre, Baie Mahault ou Fort-de-France. Elle reflète leur quotidien et leur permet de jouer un rôle de paroliers pour les gangs, qui sont souvent mis à l’honneur. Les trappeurs peuvent ainsi raconter la réalité du ghetto et les problématiques auxquelles sont confrontées les jeunes, attirés par l’argent facile.
Parmi les avant-gardistes de la trap on peut citer Gambi G, membre du célèbre groupe Guadeloupéen Chienlari, actuellement emprisonné pour 12 ans et connu notamment pour son titre « Nou si block », sorti en 2009. On retrouve aussi l’artiste Lyrrix et son morceau « Monde an mwen » ou en encore Yungspliff, compositeur depuis 2011 et à l’origine du tube de l’été 2015 « Yo Wonte » de Lutin et Reyel Ay ». Ce dernier est également compositeur du titre « All Eyes On Me » interprété par Jahyanai King et Niska.
Souvent pointés du doigt par la presse locale en raison des activités illicites qu’ils pratiquent, ces artistes rencontrent un réel succès auprès du jeune public insulaire qui se reconnaît dans les textes rappés en créole. Ainsi, la trap made in West Indies s’avère être un marqueur identitaire puissant tout en rendant cette communauté plus visible sur le plan local mais aussi et outre-Atlantique.
https://www.youtube.com/watch?v=PdN_wyioSNA
Des Antilles à la métropole
Récemment, de plus en plus de jeunes artistes sont sortis de l’ombre grâce aux plateformes d’écoute en ligne. C’est le cas de Marginal, Mercenaire, Tiitof, Bruce little, Jozzi ou encore Meryl qui a récemment été l’invitée de Planète Rap sur Skyrock pour la promotion de sa première mixtape Jour Avant Caviar. Jeune rappeuse Martiniquaise et longtemps dans l’ombre de grands artistes tels que Soprano, Niska ou SCH, elle s’est faite connaître du grand public grâce à son titre « Béni » sorti en 2019, dans lequel elle décrit la difficulté du monde qui l’entoure et comment elle en tire sa bénédiction.
Suivirent plusieurs singles, dont le titre « Ah lala », qui compte désormais plus de 7 millions de vues sur YouTube. Meryl, étoile montante de l’île aux fleurs, a su s’imposer dans l’univers très masculin de la trap en s’imprégnant de ses racines et en maitrisant l’art de concevoir des mélodies capables de s’exporter à grande échelle.
Longtemps marginalisée, la trap à la sauce créole s’exporte désormais en métropole en se faisant une place dans les radios spécialisées rap. C’est aussi en rejoignant le label All Points (filiale de Believe), l’un des fleurons de l’industrie musicale française que ces artistes (c’est le cas de Meryl et Tiitof) parviennent à faire sauter les barrières et à s’imposer dans la scène trap hexagonale.
Face à ce succès, certains artistes iconiques de dancehall se sont essayés à ce style musical afin de conquérir un public plus jeune. C’est le cas de Kalash avec son album Diamond Rock, sorti fin 2019 mêlant dancehall vocodé, trap créole et reggae. Il en va de même pour Admiral T, adepte des sound systems et de la culture reggae-dancehall qui a récemment sorti un son avec le rappeur Drexi intitulé « Awogan ».
En mixant des influences insulaires et continentales et grâce à leurs performances lyriques et leurs styles singuliers, ces jeunes artistes ont forgé l’identité de la trap en créole. Profitant de l’engouement international pour cette nouvelle culture, les trappeurs antillais ont su s’exporter au delà de leur frontière et ainsi arriver jusqu’aux oreilles d’un nouveau public qui partagent des conditions de vie similaire à des milliers de kilomètres des Antilles.
Comme le dit Jean-Louis Capitolin, Maitre de conférences à la Faculté de droit et d’économie de la Martinique, « si la musique renseigne sur une société, elle constitue surtout un moyen, parfois essentiel, d’affirmer son appartenance à un groupe ethno-culturel et d’en défendre le patrimoine ».
Cette chronique est une contribution libre de Clara Boukais que nous avons choisi de publier. Si vous aussi vous voulez tenter d’être publié sur BACKPACKERZ, n’hésitez pas à nous envoyer vos articles via notre page de contact.