Pour son premier album solo, Masque blanc, S.Pri Noir a tenu à ne pas faire les choses à moitié. Avec 22 titres au tracklisting, des ambiances différentes et une grosse démonstration technique, il a tout fait pour trouver le bon dosage afin de donner sa pleine mesure.
S.Pri Noir n’est pas un rappeur qui mystifie ses auditeurs en se prenant pour ce qu’il n’est pas. Il ne travestit pas la réalité et ce qu’il raconte est bien souvent le fruit de son expérience et de passages de sa propre vie. Sans être totalement autobiographiques, les textes de S.Pri Noir se basent sur ce que le jeune rappeur a pu voir, faire, entendre, vivre. La conséquence immédiate, c’est la dureté qu’ils contiennent. Une émotion qui prend plusieurs formes, celle du fils d’immigrés en colère contre un système qui ne lui laisse aucune place (« Nyméria ») ou la suite logique, la lutte avec l’idée très nette de rien avoir à perdre. Conséquence, s’il faut faire de l’argent, il faut être prêt à tout, même à faire le mal (« Finesse », « Papillon »).
Car pour S.Pri Noir le doute n’est pas permis, l’argent est bel et bien le nerf de la guerre et sa détermination à s’en procurer ne fait que renforcer son envie de s’en sortir quitte à devenir un « Highlander » et avoir plusieurs vies. Parce que le Parisien le sait mieux que quiconque, la crise n’épargne personne, mais lui veut la combattre et viser haut. Pour cela, il est prêt à s’en donner les moyens (« Middle Finger »). C’est d’ailleurs cette ambition qui lui a permis de rebondir. Comme beaucoup, il a connu une adolescence tourmentée entre alcool, les renvois du lycée et le deal. A l’en croire, deux choses l’ont sauvé : le rap (« Juste pour voir ») et un entourage qui croyait en lui, un sujet qui revient souvent et à qui il consacre finalement un morceau entier (« Mon crew »). Le « Narco Poète » a pourtant connu les affres de la délinquance, il ne s’en cache pas et assume même son côté obscur comme dans le titre « Podium » où il rappelle qu’il fera ce qu’il faut pour être sur la première marche, sans peur, sans regrets.
Heureusement, tout n’est pas tout noir chez le Parisien et il sait aussi s’offrir des respirations nécessaires pour ne pas imploser sous la pression. Alors, c’est régulièrement qu’il parle du monde de la nuit, des boîtes et de leurs ambiances. Les prods se font alors plus US et le flow accélère au fur et à mesure que les BPM augmentent comme dans « Mickael Jackson » ou « Gavaria ». Il n’hésite pas non plus à faire des tentatives reggae comme sur « Baby Gal » ou gipsy sur « Chico » offrant ainsi une autre façon de rapper des thèmes qui reviennent sans cesse, comme une obsession.
Mais là où S.Pri Noir est sans doute le meilleur, c’est quand il raconte une histoire et on peut se demander pourquoi il le fait si peu alors que les morceaux où il devient storyteller sont sans doute les meilleurs de l’album. Il y a notamment « Seck » à l’ambiance africaine qui colle parfaitement au thème, une histoire d’immigration, celle d’une jeune fille qui quitte l’Afrique pour s’installer en France. Un récit triste très bien raconté qui n’est sans doute pas très éloigné de celui de sa propre histoire familiale. Même exercice pour « La belle et la bête », un titre où une jeune fille rêve d’amour avant de se faire manger par la bête : alors qu’elle voulait s’émanciper, elle devient une fille facile.
Quand il laisse derrière lui les histoires de quartier, S.Pri Noir développe une plume impressionnante et réussit à écrire quelque chose de très profond, des mots derrière lesquels on sent littéralement la douleur, les cris et les larmes. Autre sujet qui revient, moins souvent, mais qui reste malgré tout récurrent, les femmes et les difficultés avec l’amour, qu’elles soient amoureuses (« Love ») ou avec du caractère (« Elle l’a »). Si ce sujet est bien moins prégnant que celui de la rue et de ses affres, S.Pri Noir ne se dérobe pas et l’aborde plusieurs fois, essayant, ainsi, de faire le tour de la question.
Musicalement, la plupart des prods sont très épurées, très noires, créant une ambiance particulière même si certains sortent complètement du cadre avec des influences africaines, électro, gipsy ou reggae, ce qui permet aussi à S.Pri Noir d’adapter son flow. Mais, dans l’ensemble, elles gardent une certaine cohérence et donne une unité au disque. Elles sont assez brutes, planantes voire hypnotiques et donnent toujours cette impression sinon de noirceur tout au moins d’une certaine mélancolie. Le vrai bémol est sans doute le nombre de tracks. Avec 22 titres, S.Pri Noir livre un disque fourni et bien rempli qui aurait cependant sans doute demandé un peu moins de morceaux similaires afin d’épurer un tracklisting sans doute un peu trop dense.
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