Rilès – Welcome To The Jungle

Avril 2016, les Rilesundayz battent leur plein quand le YouTubeur Seb la frite consacre une vidéo à une jeune rappeur rouennais s’exerçant au mic en anglais : Rilès. Alors surveillant dans un lycée, ce dernier est projeté sur le devant de la scène par la force des choses. La surmédiatisation de l’artiste a entraîné son lot de fans mais bien pire encore, son lot de haters qui ont pris un plaisir à le descendre sur les réseaux sociaux, et en quelques semaines à peine, il était au choix un paria ou une nouvelle idole. On découvre à ce moment-là un jeune homme étudiant en littérature anglaise, dont l’univers est outrageusement inspiré de celui de Russ, de la musique, alternant aisément entre rap et chant, jusqu’à l’esthétique des covers. Un artiste qui pouvait parfois avoir l’air pédant de prime abord, jouant son personnage jusque dans sa communication qu’il faisait en anglais, ce qui lui a d’ailleurs été souvent reproché. Avec un an de sorties hebdomadaires, Rilès nous avait introduit son univers, avant de se retirer durant deux années pour travailler sur son premier album.

WELCOME TO THE JUNGLE

Celui-ci s’annonçait dans la lignée de ce que le jeune rappeur avait pu nous offrir durant les Rilesundayz comme peut en témoigner la superbe release party à laquelle nous étions conviés. La jungle s’est installée en plein Paris le temps d’une soirée à l’esthétique nous plongeant dans l’ambiance de l’album. Accompagné d’un décor exotique, de danseurs, de chorégraphies ainsi que de toute son équipe, Rilès intronisait en grandes pompes son premier long projet. Comme à l’accoutumée, il assure lui-même la quasi totalité de la production, octroyant à l’album une certaine homogénéité. Il réside cependant, sur les apparences, cette forme de vanité et de recherche constante de la complication : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? On le voit sur la cover faire des signes de la main qui se révèlent signifier « help » en langue des signes, et l’acrostiche de la tracklist forme « antequam moriamur » signifiant « avant de mourir » en latin. Bien que connu pour ses acrostiches, ces deux éléments sont des artifices non nécessaires à l’élaboration de l’univers de l’album. Mais que vaut l’album en lui-même ?

Création d’un univers

L’aventure dans la jungle démarre avec une série de titres s’inscrivant dans l’essence de la patte musicale de Rilès, le plus réussi étant probablement « No tears » qui marque le vrai point de départ de l’épopée. Introduit et porté par un chant guerrier, la production aux basses écrasantes qui l’accompagne est martelée par le flow ciselé débordant d’énergie d’un rappeur prêt à en découdre. A l’image du haka maori, le morceau s’apparente à une auto galvanisation pour un artiste s’aventurant dans cette jungle hostile qu’est le rap game.

Toute l’énergie débordante des premiers titres du projet est bien vite tempérée par l’un des morceaux les plus déroutants et les plus réussis de l’album : « E a verdade ». Au milieu de la jungle, Rilès dresse son bivouac et nous envoûte autour d’un feu de camp avec une suave ballade susurrée en portugais. Inutile de comprendre la langue pour être frappé par la douceur du morceau, véritable oasis de fraîcheur au milieu de toute cette force. De légères notes de guitares volatiles sont contrebalancées par les apparitions lancinantes d’une trompette, qui surgissent comme un cri à l’aide.

Avec ce premier long projet, et c’était la tendance depuis les derniers singles, on rencontre un artiste qui se diversifie, qui explore des univers qu’il n’avait alors jamais exploré comme en témoigne « Me falling ». Le morceau relève une fin d’album assez terne. Rythmés par une ligne de basse qui écrase l’oisiveté de la guitare électrique, la production et le flow sont Travis Scottesques. L’utilisation, bien que surprenante, de l’autotune, apporte une réelle plus-value au morceau et participe a former l’exotisme de la jungle luxuriante de l’album.

Aboutissement

Le premier projet de Rilès n’en était pas un à proprement parler. Lancé en 2016, les Rilesundayz ont été une haletante série de sorties hebdomadaires dans lesquelles le jeune rouennais se cherchait, explorait, tentait d’affiner sa proposition musicale, et qui l’ont vu exploser aux yeux du grand public. Des singles donc qui ont connu un succès plus ou moins retentissant, restant cependant dans l’ombre de son homologue américain, Russ. 52 titres qui l’ont amené logiquement à vouloir poser les choses pour sortir son premier projet abouti. Dans « Queen », il nous conte en partie le chemin parcouru, le fait que les Rilesundayz n’étaient que l’échauffement. Le morceau en lui-même est une chimère des différents flows dans lesquels Rilès a pu évoluer : saccadé trap, plus lent, refrain chanté…

Rilesundayz finally grows
Been 2 years in a row
Yeah patience was the key
And now we kicking with the pros

Son évolution est une franche réussite. Il serait impossible d’affirmer, malgré ses défauts, que WTTJ n’est que le premier album de sa discographie tant l’ensemble est cohérent. Le projet est porté par les singles forts que sont « Myself n the sea », « Utopia » mais surtout « Marijuana » dont le clip incarne à lui seul les raisons pour lesquelles Rilès est déjà un artiste accompli. L’esthétique du clip est époustouflante et nous emmène dans un univers déjanté, absurde, entre vastes étendues aux couleurs vermeil, dessins animés, déambulation de Rilès au milieu de rochers de marijuana jusqu’à même un cameo de tonton Snoop Dogg, qui apparaît comme la Dame Blanche lorsqu’on parle de fumette.

La recherche du sophistiqué s’est traduit par une exigence remarquable, exigence qui a abouti à un solide album très plaisant, incarnant parfaitement les talents polymorphes de Rilès. Le défaut majeur du projet reste le déséquilibre entre le démarrage en trombe et l’essoufflement qu’il subit sur la fin, qui aurait pu être évité en disposant différemment les pistes, dont l’ordre fut contraint par cet acrostiche dont on aurait aisément pu se passer. Le jeune Rouennais s’est accordé le temps nécessaire à la conception de cet album, ce temps qui est une composante omniprésente de son univers. Il serait d’ailleurs temps que l’opinion manichéenne que le grand public a de lui cesse, et que ce dernier dépasse les apparences qui lui ont été présentées il y a des années, pour enfin se plonger dans un album méritant une oreille attentive.

Théo Lovestein

Malgré sa myopie, critique d'un oeil avisé. Son père a un jour dit de lui : "S'il passait autant de temps à ranger sa chambre qu'à écouter du rap, on pourrait bouffer par terre."

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