Quelques semaines après la sortie de son très attendu premier album Welcome To The Jungle, nous avons pu échanger avec l’hyperactif Rilès et en profiter pour revenir sur son parcours, sa vision de la musique mais également de la vie en général. Celui qui, depuis le début, enregistre, produit et mixe tous ses projets depuis sa chambre rouennaise, s’apprête désormais à partir pour une énorme tournée des Zéniths français (celui de Paris est déjà complet !) jusqu’à la fin de l’année. Avant cette importante échéance, le rappeur s’est donc livré avec une réelle spontanéité, et nous a offert les clés pour mieux appréhender son art aux multiples facettes, de la musique à la peinture en passant par la réalisation de clips. Rencontre avec un artiste complet et entier.
Quelques semaine après la sortie de ton premier album Welcome To The Jungle, dans quel état d’esprit te trouves-tu ?
J’ai hâte de commencer le second ! Ces deux dernières années, je n’ai pas fait grand chose à part sortir quelques sons depuis le buzz de 2017. Là, c’était vraiment mon introduction “dans la jungle” donc il ne faut surtout pas s’arrêter là et au contraire foncer. C’est la première mise en avant et j’espère que maintenant, c’est parti pour dix ans non stop !
Combien de temps a demandé l’élaboration de ce projet ?
Deux ans, ça a été très long. Un premier album, c’est quelque chose de très symbolique et qu’on ne doit pas regretter. Souvent, quand un artiste commence à percer, on lui réclame très vite de sortir quelque chose dans la précipitation et c’est pour moi le meilleur moyen de compromettre la sortie de l’album. L’objectif était d’être fier de chaque track et qu’ils veulent tous dire quelque chose. Quand je commence une nouvelle instru, je l’appelle toujours BN (pour Beat New) puis le numéro de l’instru. Là j’en suis à BN-563, donc j’ai vraiment voulu aucun compromis, j’en suis vraiment fier.
Cet album a-t-il été conçu dans les mêmes conditions que tes morceaux d’avant, c’est-à-dire dans ta chambre ?
Oui. Beaucoup de gens pensent qu’une fois signé dans un label américain, tout de suite tu pars dans les gros studios avec de gros moyens. Je me suis vite rendu compte qu’il fallait rester proche de l’essentiel. La meilleure musique que je fais, c’est là où je me sens le mieux. J’ai tenté de faire de la musique dans un appartement à Los Angeles pendant trois mois et ce n’est pas là où j’ai été le plus productif, même si j’ai créé de bon tracks que je n’aurais pu concevoir qu’à L.A. justement. Je me suis posé la question de pourquoi chercher à changer radicalement ma manière de faire alors que c’est ce qui m’a fait percer. Donc oui, tout a été fait dans ma chambre, enregistré, mixé, masterisé.
Un premier album, c’est quelque chose de très symbolique et qu’on ne doit pas regretter
Quel regard portes-tu sur le chemin que tu as parcouru ? Comment le qualifierais-tu par rapport à ce qu’on a tendance à observer dans le milieu ?
L’être humain a tendance à voir sa vie sur deux ans dans le passé et deux ans dans le futur. Il faut savoir prendre du recul, relativiser et rester humble par rapport au parcours parcouru et surtout celui qu’il reste à faire. Signer aux USA ne veut pas dire percer aux USA. Je me convainc que ce n’est que le début, que j’ai encore beaucoup de chemin à parcourir et qu’il ne faut donc pas s’arrêter de courir. Si tu t’arrêtes, tu meurs.
Au sujet de ton approche autodidacte justement, quelle a été la plus grande difficulté rencontrée au cours de ton apprentissage ?
La plus grande difficulté de mon parcours est aussi ce qui fait ma force : c’est justement cette approche autodidacte. Quand tu optes pour ce chemin, tu te casses beaucoup les dents, mais vraiment beaucoup beaucoup. Jusqu’il y a un an encore, je faisais tous mes clips tout seul, je faisais la réservation des hôtels, j’achetais mes objectifs, je me prenais la tête sur tous les points alors que j’aurais pu déléguer. Il faut savoir mettre son ego de côté et déléguer aux bonnes personnes. Je suis sensé faire uniquement de la musique, même si j’adore faire les clips, monter etc… je me dois d’être davantage un chef d’orchestre. C’est ce que j’ai appris avec cet album, je dois savoir donner des directives à des gens qui sont là pour être mes bras et mes mains.
J’apprends que quand je me casse la gueule – et je me suis beaucoup cassé la gueule – il faut juste savoir se relever et continuer. Par exemple, je devais sortir le clip de “Thank God” le jour de la sortie de l’album. Ce clip, que j’ai délégué à un réalisateur, ne me convenait pas au final et j’ai pris la décision de ne pas le sortir. Je ne veux faire aucun compromis dans mon travail donc je ne veux pas avoir à me justifier sur le rendu si je ne suis pas en phase. C’est pour ça qu’en signant chez Republic, j’ai négocié pour ne pas qu’on ait à me dicter ce que je dois faire comme type de morceau, etc. Le plus important pour moi, c’est l’intégrité artistique, je me suis donc assuré lors de la signature que cette intégrité soit respectée.
Qu’est-ce que le label t’a justement apporté sur ce projet ?
L’approche professionnelle, de la maturité et de la prise de conscience de comment les choses se déroulaient. Jusqu’il y a peu, je pensais que pour obtenir un article dans un média, il suffisait que le journaliste apprécie ton travail. J’ai réalisé par la suite qu’il y avait aussi une dose de négociation, de calculs et que tout n’était pas si simple, c’est une grande mécanique.
Comment as-tu appréhendé le fait de travailler avec d’autres producteurs ? Comment les connexions se sont-elles faites ?
J’ai mis mon ego de côté, je n’avais jamais travaillé avec des beatmakers auparavant, et là j’ai organisé un beatmaking camp. Je voulais apprendre des techniques des autres. Pendant une semaine non stop, on se levait le matin et on se faisait des challenges, comme par exemple faire une instru en une heure avec deux mots clés. A la fin, nous échangions sur ce que nous venions de réaliser. C’est là que je me suis dit que je pouvais travailler avec d’autres beatmakers pour mes morceaux.
Tu sembles avoir un rapport particulier à la vidéo, en soignant particulièrement tes clips. C’est un média à part entière pour toi ?
Avant de faire de la musique, je faisais des clips pour des potes. Je suis passionné par les techniques de tournage, les objectifs, etc. Je ne veux pas être l’artiste qui commande un clip à une boîte de production. Quand je vois par exemple les nouveaux clips avec les bras robotisés, je trouve ça dingue ! J’ai envie de tester plein de choses, tout le temps.
On peut dire que tu es un enfant d’Internet. Est-ce pour toi la meilleure école ? Celle qui t’offre la possibilité de te modeler selon tes envies ?
C’est le schéma de la graine qui devient un arbre. J’ai commencé en dessinant ma famille, même si ce n’était pas génial. Qui sait, dans dix ans, c’est peut-être ce que je ferai à temps plein. Sur YouTube, j’ai publié une vidéo sur mon ancienne chaîne quand j’étais au collège, qui s’appelait “Effets/Montage Particle illusion” où on testait déjà des effets spéciaux. Et voilà, aujourd’hui je fais mes propres clips. La valeur du temps est super importante. Tous les peintres notent systématiquement la date de leurs œuvres car elles peuvent prendre de la valeur avec le temps. A l’époque de cette vidéo-là, je passais pour un cassos. Dix ans plus tard, quand je fais mes clips avec tous ces effets spéciaux, elle prend toute sa valeur.
Tu as déclaré dans une interview que “le rap français n’a rien à envier au rap US” : tu considères que tu fais du rap français ou US ?
La notion de rap français ou US s’accorde avec la langue dans laquelle tu chantes et le pays dans lequel tu vies. Si les deux sont en adéquation, alors tu peux te définir comme ça. Moi, je pense que je fais du rap et du R&B, et que je chante en anglais. C’est un terme un peu archaïque aujourd’hui, il y a tellement de sous-genres qui se créent, tellement de styles, que tout ça se perd.
C’est intéressant, alors que tout le monde cherche à mettre une étiquette sur les choses…
Dans la musique que je fais, j’aime montrer un côté éclectique sans avoir peur de l’avis de l’autre. J’assume tout ce que je fais et je l’impose aux gens. Le titre “Brothers”, je ne l’ai pas fait exprès mais je n’ai pas mis de basse. Je suis tombé un jour sur une vidéo qui mettait en avant que la basse était l’élément central de tout morceau. Je trouve que ce genre de message conditionne trop les gens et leur manière de faire et qu’au final, tout va se ressembler. Parfois, l’ignorance est une véritable bénédiction car tu y vas au feeling, sans te poser de questions, et c’est aux gens de l’accepter. Dans l’album, il y a un track où je chante en portugais/brésilien, c’est un de mes morceaux préférés, pourtant je suis français. On s’en fout, je n’ai rien à perdre et je ne veux avoir aucun regret.
Comment ton écriture en anglais a-t-elle évolué avec le temps ?
De jour en jour, je pense m’améliorer. Durant les RilèSundayz, je faisais des grosses fautes, même de prononciation. Chaque année, je me filme en train de parler sur un sujet. J’ai retrouvé une vidéo faite en 2016 où je cherchais mes mots, je bégayais, je disais mal les choses. Trois ans plus tard, même si j’ai encore des lacunes, je me suis bien amélioré, surtout côté chant et rap. Après, côté conversation c’est parfois plus dur, il me manque du vocabulaire.
On a l’impression que tu ne cherches jamais la facilité, que tu cherches toujours à te mettre dans une situation délicate, à progresser sur tout.
Je suis en effet parfois trop tourmenté et je cherche trop la difficulté. Il faut savoir que j’ai directement écrit mes premiers textes en anglais par pudeur vis-à-vis de mes parents, pour ne pas qu’ils puissent comprendre. Après, c’était trop tard, la graine était plantée et je devais continuer comme ça.
Tes parents ont-ils écouté l’album ?
Je ne leur ai pas fait écouter, je ne leur ai même pas dit que je sortais un album ! Le premier concert où ils m’ont vu c’était au Zénith, et ils se sont pris une gifle parce que je ne leur parle pas de mon univers. La pudeur, c’est compliqué mais ça me permet d’être honnête dans mes sons du fait que cela ne soit pas en français. Comme on dit, “si tu ne peux pas être le poète, sois le poème”. La vie de chacun est très belle et il faut donc pouvoir le raconter de manière poétique et honnête.
Moi j’avais ce dilemme de vouloir dire des choses, m’ouvrir aux autres sans que mon entourage puisse comprendre, comme quand j’évoque le suicide par exemple. Le fait de m’être caché comme ça vis-à-vis de mon entourage fait qu’aujourd’hui, j’ai une véritable carapace qui me permet d’endurer énormément de choses. Au final, je n’aurais jamais rappé en anglais si je n’avais pas grandi dans la famille et le milieu dans lequel j’ai grandi. Le pire, c’est que je ne suis même pas spécialement fasciné par le Rap US et ses codes, mais je me dois d’assumer cette graine plantée il y a des années maintenant.
Quel est ton rapport avec la France ? Ressens-tu un sentiment de revanche par rapport aux médias qui ne t’ont pas forcément toujours suivi ?
J’ai beaucoup changé ces deux dernières années je trouve. Il faut savoir que par exemple, quand “Brothers” avait 10 000 vues, je l’avais envoyé à Rachid de Konbini et à Clique, en expliquant que je faisais tout tout seul et qu’il fallait me soutenir. Et les retours que j’avais, c’était que c’était bien mais que c’était encore un peu petit. Quand ensuite ça a vraiment percé après la vidéo de Seb La Frite, le premier son que j’ai fait s’appelait “Evil”, dans lequel je dis “Rachid, Laura, tell me how you feel now / Always chasing you for just a paper / Got love for you but you could’ve been first”. C’était une réaction un peu primaire que je n’arrivais pas à contrôler et avec le temps j’ai appris à être humble, ce n’est pas bien d’être dans une énergie négative. Sur Twitter j’étais revanchard, je m’obstinais et ça ne plaisait pas aux gens. Au fur et à mesure, j’ai compris que l’énergie que tu véhicules se retourne contre toi.
Ta pochette reprend le langage des signes. Quelle est la signification de ton message ? Peut-on voir aussi le nombre de mains comme autant de cordes à ton arc (production, rap, mix, vidéo…) ?
Oui, ça veut dire « Help » en langage des signes. Avant cette cover, j’ai beaucoup travaillé avec Denis Sarazhin, qui est un peintre ukrainien. Pour le peu de culture des arts que j’ai, ce que j’aime c’est faire vibrer ensemble ligne de conduite de l’interprétation et la liberté d’interprétation de chacun. Ce que tu me dis sur les mains et les facettes de mon art, ça se rejoint de ouf alors même que je n’y avais pas forcément pensé. A la base, le langage des signes est un rappel de ma personnalité : je ne vais jamais dire les choses mais je vais les faire comprendre. Les mains sont avant tout l’expression des sentiments et, que ça soit pour la peinture ou pour la musique, c’est avec mes mains que je m’exprime et c’est aussi comme ça que je vais demander de l’aide.
Et pourquoi demander de l’aide ?
Parce que c’est dur ! L’industrie est compliquée et j’ai besoin d’être aidé. Sur ma cover je ne demande pas de l’aide, je le laisse savoir. Vu que je fais tout tout seul, je ne vais jamais demander directement de l’aide à quelqu’un, mais si tu veux m’aider, fais-le !
C’est surprenant de demander de l’aide sur la cover de l’album alors que justement, ça y est, tu y es arrivé…
Oui mais on a toujours besoin de l’aide de quelqu’un. Même si j’essaie de me forger un moral d’acier, on reste des humains avec tous le même cerveau, donc j’ai aussi mes faiblesses. C’est un souvenir. Dans dix ans, quand je regarderai cette pochette, ce sera un rappel de l’état d’esprit dans lequel je suis en ce moment : “bienvenue dans la jungle”. La suite sera “la survie”.
Justement, l’album vient de sortir mais on sent pourtant que tu es déjà dans le coup d’après.
Pour moi, l’album ce n’est pas une fin en soit. En réalité je commence juste un épisode. Maintenant ça commence à peine, et c’est là qu’il faut tout envoyer. Là, j’ai environ 30% de mon prochain album et la réaction sur le premier va m’aider à construire le second.
J’ai environ 30% de mon prochain album et la réaction sur le premier va m’aider à construire le second.
Es-tu du genre à rentabiliser tout ce que tu produis ou à l’inverse, es-tu capable de jeter entièrement l’équivalent d’un album car il ne te plait plus ?
L’instant présent est très important. Si tu ne termines pas dans la semaine ton instru, tu ne la finiras jamais. J’essaie plein de choses, je prends du recul et j’essaie surtout de me poser les bonnes questions sans trop penser non plus car à ce moment-là, ça devient un poison. J’ai beaucoup de choses de côté et si ça ne me parle pas à moi, au final, ça pourra parler à quelqu’un d’autre.
Tu t’apprêtes à faire la tournée des Zéniths de France. Quel est ton état d’esprit à l’approche de ce grand moment ?
J’adore la scène, je n’appréhendais pas les Zéniths, mais j’appréhendais la préparation nécessaire à ces Zéniths, notamment une grosse préparation physique. J’avais pas mal ralenti le sport avec la préparation de l’album, et dans le même temps j’ai beaucoup fumé. Après, c’est quoi le but de la vie ? Ce n’est pas de se morfondre sur une situation qui te déplaît. Je devais me préparer, j’ai donc tout fait pour, je suis retourné à la salle et j’ai souffert, mais c’était normal de le faire à ce moment précis.
Dans ma bio Twitter, depuis six ans, j’ai une référence au tardigrade, qui est un insecte incroyable qui s’adapte absolument à tous les milieux. Et bien mon but dans la vie, c’est exactement ça : devenir un caméléon. C’est dur et ça prend du temps, mais si ton mental est d’enfer, tout est possible. La vie offre des possibilités sans limite, il faut juste se motiver. Nous restons en moyenne 80 années sur cette planète, quand nous ne serons plus, il ne restera que de nous notre travail, tes photos, ma musique, et c’est ça qui est important. Je n’ai pas peur de la mort, j’ai été en réanimation : la mort ne fait pas mal. Alors justement, profitons à fond de la vie qui nous est offerte et faisons-en ce que nous voulons !
Entretien préparé et réalisé avec Benjamin Boyer.
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