Rhymefest, nouvel homme fort de Chicago (mais pas dans le rap)
Alors que certains vétérans du rap s’efforcent encore de sortir des nouveautés, d’autres choisissent de s’orienter vers une autre voie, c’est le cas de Rhymefest. Focus sur un parcours d’artiste semé d’embûches.
Started from the bottom…
Rhymefest est né à Chicago dans un milieu défavorisé. Sa mère, qui n’avait que 15 ans lorsqu’elle est tombée enceinte, a été quelque peu absente durant son enfance. ‘Fest quitte ensuite l’école à 15 ans pour dédier la majeure partie de son temps à la musique. C’est à cette époque que Che Smith (son vrai nom) rencontre un certain Kanye West en fréquentant les block parties locales. Les deux adolescents se prennent d’amitié l’un pour l’autre à travers leur musique respective. Rhymefest connaît ses premiers faits d’arme dans les battle raps. C’est notamment lors de l’une de ces joutes verbales qu’il sera opposé à un jeune rappeur blanc de Detroit, aujourd’hui connu dans le monde entier. Rhymefest finit par atteindre l’apogée de son succès en 2005, lorsqu’il remporte un Grammy Award pour avoir co-écrit les paroles du single « Jesus Walks » de Kanye West.
Thank you Mr West
Grâce à cette récompense, Rhymefest signe un contrat en maison de disques et sort son premier album Blue Collar en 2005. Malgré des invités de marque et quelques bons morceaux, l’album ne s’est pas vendu comme espéré. Plongé dans l’ombre, Che regarde au fil des ans son ami Kanye exploser les charts album après album. Après avoir participé à l’écriture de My Beautiful Dark Twisted Fantasy, Rhymefest décide d’investir l’argent gagné afin de réitérer l’expérience musicale : il sort en 2010 El Che, un second album entièrement auto-financé. Le succès n’est pourtant toujours pas au rendez-vous.
Alors que la crise économique commence à frapper Chicago, Rhymefest décide de se présenter comme conseiller municipal afin d’aider les quartiers défavorisés de Chi City. Il parvient même à terminer deuxième aux élections en récoltant 45 % des votes. Malheureusement, l’argent investi dans la campagne politique représente une grosse somme, si bien que lui et sa femme ne peuvent plus payer leur loyer et son contraints de vendre leur voiture. Heureusement, Kanye travaille alors sur son nouvel opus Yeezus. Rhymefest met une fois de plus la main à la patte pour le ghostwriting et parvient à acheter grâce à cela l’ancienne maison de son père. Il semblerait ainsi que la position de Rhymefest vis-à-vis de celle de Kanye est plutôt paradoxale : d’un côté, il est toujours resté dans son ombre alors qu’il a participé à l’écriture d’une grande partie de ses textes, mais de l’autre, il n’aurait certainement pas eu l’occasion de sortir des albums ou gagner des récompenses sans avoir Yeezy à ses côtés pendant toutes ces années.
En 2016, c’est la consécration : Rhymefest gagne un second Grammy Award ainsi qu’un Oscar aux côtés de Common et John Legend pour sa contribution au titre « Glory », issue de la bande originale du film Selma.
Donda’s House
Chicago est depuis quelques années le théâtre d’un sinistre spectacle. En 2016 la ville a connu plus de 600 meurtres et pas moins de 3 700 fusillades qui ont laissé des blessés.
Une nuit d’août, alors que Rhymefest, assis dans sa voiture, gribouille quelques rimes sur son calepin, un homme ouvre sa portière passager et le braque avec une arme à feu, réclamant le portefeuille du rappeur. Quand Che Smith se rend au poste de police local pour déclarer le vol, il est accueilli par deux policiers qui n’en ont visiblement rien à faire : l’un joue sur son téléphone, l’autre lui dit de rentrer chez lui. Cet événement lui fait prendre conscience de l’urgence de la situation à Chicago. Après avoir posté une vidéo de l’échange avec les policiers sur les réseaux sociaux, Rhymefest sort dans la foulée le morceau « Cops & Robbers » dans lequel il dénonce les abus de pouvoir des forces de l’ordre et les violences policières. Il décide alors de s’investir plus activement encore dans la vie politique et sociale de Chicago.
Depuis 2013, Che Smith et sa femme œuvrent au sein de la fondation Donda’s House. Cette association, fondée par Kanye et Rhymefest, a pour but de promouvoir l’art et donner des opportunités de carrières aux jeunes qui s’intéressent à la musique. La devise de la fondation est un hommage à Ms. West : « Is that your truth ? ». Cette phrase que Rhymefest lui-même a entendu lorsqu’il venait rapper ses nouveaux morceaux chez son ami Kanye. Cette phrase qui l’a poussée à s’interroger sur son statut d’artiste et ce qu’il transmet à travers sa musique. « Ces histoires de drogues et d’armes à feu, les as-tu vraiment vécues ? »
C’est via la prisme de ce leitmotiv que Che Smith donne aujourd’hui des conférences sur les violences liées aux armes à feu, ou enseigne la musique aux jeunes au sein de Donda’s House. En novembre dernier, il a même racheté la maison d’enfance de Kanye West (la véritable Donda’s House) pour en faire le centre de la fondation et même y installer des studios. Mais en gardant une grande lucidité, Rhymefest se questionne sur la légitimité d’un cinquantenaire à enseigner la musique actuelle à des jeunes.
Montrer l’exemple
Grâce à toutes les actions qu’il a mené pour faciliter les relations entre communautés au sein de sa ville natale, Che Smith s’est attiré les éloges de personnes influentes dans la sphère politique de la Windy City. Le Chicago Times l’a même élu personne la plus influente de la ville en 2016. Lors de la campagne présidentielle, ‘Fest avait également invité Donald Trump à venir visiter les quartiers de la ville afin de lui montrer qu’on ne se faisait pas systématiquement tirer dessus en se promenant dans la rue. Le nouveau président des Etats-Unis avait annoncé à l’époque vouloir aider la communauté afro-américaine de Chicago (qui représente un tiers de la population de la ville) face aux nombreuses vagues de violences.
Si Rhymefest n’est certainement pas le seul artiste activiste à s’impliquer pour essayer de pallier les problèmes de sa ville, il a probablement inspiré certains de ses amis rappeurs et concitoyens qui oeuvrent eux aussi pour la prospérité de la ville de Chicago. Vous avez ainsi pu voir Chance The Rapper s’associer à la National Association for Advancement of Colored People afin d’ouvrir des bureaux d’inscriptions aux listes électorales avant ses concerts et ainsi inciter les gens à aller voter.
Common a lui aussi lancé sa propre association caritative, la Common Ground Foundation qui, de façon un peu similaire à Donda’s House, a pour but de développer l’expression et la créativité des jeunes Chicagoans à travers divers programmes s’adressant aux lycéens.
D’autres choisissent la musique pour exprimer leur soutien à une communauté, comme l’a fait le jeune prodige de Chi City Vic Mensa avec son titre « 16 Shots », brûlot engagé contre les violences policières suite à la mort d’un jeune noir de 17 ans.
Si l’oeuvre musicale de Rhymefest ne marquera peut-être pas le hip-hop au détriment de son grand ami Kanye West, il est fort probable que sa grande implication dans le milieu caritatif et politique lui attribuera un statut de véritable « star » à Chicago. Savoir mettre de côté la célébrité et sa vie d’artiste pour se mettre au service de ceux qui en ont besoin, c’est le choix plus qu’honorable qu’a fait Che Smith. En continuant dans ce sens il se pourrait qu’on retrouve Rhymefest au sein d’administrations plus importantes dans les années à venir.
Cet article a été élaboré à partir d’une publication du site Billboard