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Replongez dans « La Fièvre du Suprême NTM » avec P-J Cléraux et Vincent Piolet

Pouvez-vous commencer par revenir sur la genèse de ce projet commun ?

Pierre-Jean : On peut être tout à fait transparent sur le truc. Quelques mois après avoir terminé mon premier bouquin, j’ai commencé à faire quelques propositions de sujets à notre éditeur « Le mot et le Reste ». J’avais envie d’écrire sur le rap français et comme j’ai été bercé par NTM pendant toute mon adolescence… J’ai donc commencé à entamer pas mal de recherche et à choper quelques personnes. Mais en fait, pendant ce temps-là, Vincent était déjà sur un projet similaire de son côté.

Vincent : Oui, j’avais déjà parlé un petit peu de NTM avec « Le Mot et le Reste », mais sans plus. Je ne m’engageais pas trop avec eux. Je commençais limite à écrire tout seul de mon côté. Et au bout d’un moment, j’interviewe Fred Versailles, l’ingé du premier maxi et du premier album, et il commence à me dire : « Mais c’est bizarre, tu m’as déjà appelé il y a un mois ». Je crois qu’après, c’est Wilfrid Azencoth, le photographe du premier, qui me dit : « Mais je t’ai déjà dit ça ». Et à un moment, c’est Vrej Minassian qui m’explique : « Vous êtes au courant qu’il y a un gars qui s’appelle Pierre-Jean Cléraux qui fait exactement la même chose que vous ? ». Le pire, c’est quand je me rends compte qu’on était de la même maison d’édition … J’ai donc fini par appeler Pierre-Jean pour lui proposer de faire le livre ensemble. Et voilà.

Vous ne vous connaissiez donc pas du tout avant cet appel ?

PJ : Pas du tout. J’ai lu le premier bouquin de Vincent au moment où je me suis lancé sur le projet, en mai 2017. Et quelques semaines plus tard, je reçois un appel d’Yves Jolivet, le patron du « Mot et le Reste », qui me dit : « Mais tu sais qu’il y a Vincent qui bosse aussi sur NTM? Il faudrait peut-être que vous vous mettiez d’accord ».

V : Mais franchement, on a eu de la chance … Je pensais que Pierre-Jean allait peut-être m’envoyer balader. Parce que même en termes de méthode de travail, ça pouvait être compliqué. Et puis en fait, tout ça s’est fait super facilement.

PJ : Ouais c’était cool.

V : Et puis on avait exactement la même vision du truc. On ne voulait pas faire un truc Wikipédia ou un truc comme avait déjà pu le faire Olivier Cachin. On voulait vraiment voir l’envers du décor.

On avait tous les deux une approche un peu documentaire dans la façon dont on abordait nos recherches ou nos interviews.

PJ : Ce qui est chouette et j’insiste vraiment là-dessus, c’est qu’en fait tous les deux, on a une formation universitaire. Et ça se sentait dans la façon dont on voulait faire le bouquin, dans la façon dont on abordait nos recherches ou nos interviews. On avait tous les deux une approche un peu documentaire. Ce qui fait que c’était hyper simple de travailler ensemble.

Alors pour rentrer dans le vif du sujet, vous commencez tout d’abord par raconter comment s’est constitué petit à petit le groupe qui ne se résume alors pas à Kool Shen et JoeyStarr.

V : Ce qui m’intéressait, c’était bien entendu de parler des deux protagonistes principaux, mais aussi de bien montrer qu’à la base, ils commencent à 50. Comme beaucoup au début, c’est-à-dire de 1982 à 1984, c’est uniquement la danse. Ils finissent par lâcher petit à petit avec la fin des soirées en 85-86. Et c’est là où commencent à apparaitre les différents crews avec les tagueurs et graffeurs. JoeyStarr et Kool Shen, eux, sont plutôt tagueurs. Ils accompagnent les graffeurs, mais ce sont plutôt des vandales. Ils défonçaient tout. Ce qu’ils aimaient typiquement, c’était de rentrer au dépôt à Châtillon sur la ligne 13 et tout retourner. Mais toujours dans un esprit de groupe. Puis on finit par arriver à Suprême NTM qui est uniquement la partie rappeur de tout ce posse. Et effectivement, ils ne sont pas que deux au début.

Il y a un truc qui saute un peu aux yeux quand on lit le début de votre livre. On a presque l’impression qu’ils se lancent dans le rap par pure provocation, par défi. Alors qu’à la base, ils voyaient le fait de rapper en français comme une sorte d’hérésie, ils finissent par se retrouver mêlés dans une sorte d’énorme concours de circonstances qui les mène assez rapidement au sommet du genre en France. Partagez-vous cette analyse ?

PJ : En fait, c’est ça. Un concours de circonstances … peut être … sûrement. Mais après, le mot défi, on est en plein dedans …

Ce qui est quelque chose de très hip hop …

PJ : Ouais carrément. Mais de toute façon, c’est comme ça depuis le début. C’est-à-dire que le carburant de ces mecs-là, c’est d’être meilleurs que les autres. Mais ça a été valable dans toutes les disciplines. Et c’est vrai qu’avant de se mettre à rapper en français, ils trouvaient ça complètement ridicule. Leur culture, c’est le rap US. Pour eux, c’était une sorte de resucée un peu loupée. Mais à mon sens, ce qui prime, c’est l’expérience de Joey quand il est hébergé par Solo à La Roquette, parce que ça part quand même beaucoup de Joey à la base. Et quand il voit Solo balancer des lyrics, ça commence d’abord par le faire sourire … Mais très vite, il commence aussi à gratter un peu dans son coin. Et je pense que le truc part de là.

V : Ils ont tout abordé en compétition. Mais ils l’ont dit assez souvent. Ils font de la danse, ils veulent être les meilleurs ; ils font du graff, ils veulent être les meilleurs ; ils font du rap, ils veulent forcément être les meilleurs. Et limite, ce n’est pas qu’être les meilleurs, c’est vraiment écraser les autres… Genre leur premier concert, ils ont voulu passer en premier quoi et ont dit :  » Nous on passe en premier, on est les plus forts ». Alors qu’ils n’avaient jamais fait de scène !

Et à partir de là, tout va très vite.

V : L’aspect qui a énormément joué en leur faveur, c’est à partir du moment où Joey commence à connaître le milieu de la nuit parisienne. Parce que pour se retrouver avec le mari de Nina Hagen, Franck Chevalier, comme premier manager, avoir Mondino comme connaissance, pouvoir rentrer au Zoopsie, participer aux soirées Roger Boite Funk, connaitre Massadian via Solo qui organisera « Rap à Paris », leur première scène, ce n’est pas donné à tout le monde!

PJ : Oui c’est vrai, le truc se fait là. Joey c’est le côté un peu shine de NTM. Tout de suite, il a très vite trainé dans le milieu de la nuit parisienne. Kool Shen était quelqu’un d’un peu plus banlieusard, beaucoup moins parisien. Chez Joey, ça a été assez rapide, notamment grâce à Solo. A l’époque, Joey se retrouve un peu à la rue et est hébergé par Gigi et Solo qui vivent ensemble à la Roquette. Ils sortent beaucoup et se font beaucoup remarquer. Ils ont donc été très vite identifiés et portés aux nues par des personnes un peu stratégiques qui avaient de bons contacts.

Et même si on avance un peu jusqu’à la signature chez Epic, vous expliquez que c’est grandement lié à la maman de Lady V qui y bosse et œuvre en interne pour promouvoir le groupe de sa fille. On a vraiment l’impression que certes, ils le font par défi, mais ça explose aussi tout de suite pour eux de manière un peu fortuite. 

PJ : Effectivement, avec le recul, quand on y repense, c’est énorme parce que Puydauby (Philippe, DA chez Epic), quand je lui ai parlé au téléphone, il m’a dit que c’était quand même grâce à son assistante Patricia Sullé, la mère de Lady V. Elle a fait un petit peu de lobbying auprès de Puydauby mais aussi auprès de Laurence Le Ny qui était patronne d’Epic à l’époque. Les deux femmes étaient très amies et la petite anecdote, c’est que le jour où NTM passe sur Canal, il y a Patricia Sullé qui dit à Laurence Le Ny : « T’as vu Virginie ? ». Elle lui répond : « Mais Virginie … Ta fille … c’est elle qu’on a vu sur Canal ? ». Et ça s’est vraiment enclenché à partir de là. Donc oui, c’est un concours de circonstances. C’est sûr. Mais il y a le talent aussi derrière.

Oui bien sûr qu’il y a le talent parce qu’il faut quand même assurer derrière. Tu peux avoir l’alignement des planètes, tu peux bénéficier de l’explosion, mais tu peux aussi te crasher. Et eux réussissent parfaitement à surfer sur le truc pour percer. Et percer si bien qu’ils finissent par sortir leur premier album, Authentik, qui marque par le sentiment d’urgence qui s’en dégage.

V : J’ai vraiment grandi avec. J’étais à l’école primaire au moment de sa sortie donc ça m’a vraiment marqué pour le coup. Et ce qui ressortait des cours de récréation, c’était vraiment le côté hardcore avec des BPM super rapides. Et puis c’était hyper choquant pour l’époque, un véritable ovni. Car contrairement à eux d’ailleurs, moi je suis venu au rap par le rap français. Je n’étais pas Public Enemy, machin … non non, moi c’était Rapattitude

J’aime l’aspect ovni du premier. C’est clair que des fois les mecs ne rappent pas trop dans les temps. Ça va trop vite. Parfois, tu ne comprends pas tout. Mais ce qui est bien, c’est l’énergie.

La claque, elle est d’autant plus énorme quoi.

V : Je ne vous cache pas que ma claque, ça avait été Benny B … Les mecs font des scratchs dans tous les sens. Ils tournent sur la tête. Mais bon, ils sont un petit peu rigolos parce qu’ils passent quand même sur France 3. Ça reste des petits gentils quoi. Alors quand NTM arrive et dit : « Nous, on nique ta mère par devant, par derrière». Gamin, j’ai pris ça … Ça m’a complètement retourné. Et forcément, ça a contribué aussi à mon éducation musicale. Car à partir de là, je vais commencer à gratter un petit peu. Je vais commencer à écouter du rap US. Donc pour moi, c’est une vraie madeleine de Proust.

PJ : Mais comme le dit Vincent, c’est un ovni dans le rap français. Tu avais Fred Versailles qui était à la réalisation. Il n’avait jamais bossé sur des disques de rap. Donc tout était à faire de A à Z. Et c’est lui qui a un petit peu cadré ce premier album d’un point de vue technique sur les sonorités et la production. Même si les productions venaient de DJ S, il essayait d’avoir un rendu qui soit le plus clean possible tout en gardant l’identité du groupe. Et ce qui est intéressant aussi, c’est qu‘il marque parfaitement l’identité qui va coller à la peau du groupe par la suite : le hardcore et le message social. Pas forcément revendicatif d’ailleurs, mais juste un constat qui, comme le disait Joey, est souvent un constat d’urgence. Et je trouve qu’ils arrivent à brosser un petit peu l’ensemble des thématiques avec une prise de recul assez intéressante. De manière un peu maladroite parfois, avec des formulations un peu alambiquées …

Mais ça fait aussi partie du charme du truc. Un peu comme les carences techniques que tu peux retrouver à certains moments. Je trouve qu’Authentik vieillit par exemple beaucoup mieux que le deuxième album, justement grâce ce côté instinctif.

V : J’ai un peu ton avis. J’aime l’aspect ovni du premier. Il a vraiment une énergie un peu foutraque. C’est clair que des fois, les mecs ne rappent pas trop dans les temps. Ça va trop vite. Parfois, tu ne comprends pas tout. Mais ce qui est bien, c’est l’énergie. On utilise plein de mots compliqués. Ils y vont quoi … Après le deuxième il y a surtout « Police » et « J’appuie sur la gâchette ». Mais à la limite « Police », il aurait dû être sur le premier. On retrouve un peu la même énergie.

PJ : Mais le deuxième, c’est un peu quelque part une déception pour eux par rapport au premier. C’est-à-dire que commercialement il se vend, mais il se vendra bien mieux après lorsque le troisième fera office de levier pour le relancer. Il y a eu un raté au niveau du marketing et de la communication. L’argument marketing c’était : « NTM ne passera pas à la radio », sous-entendu : « Nous on est vraiment underground et on va y rester ». Et quelque part, ils ont un peu payé ce truc là. Et puis, il y avait aussi des titres qu’on pourrait qualifier de « polémique » comme « Police » et « J’appuie sur la gâchette » …

Le deuxième album, c’est aussi le début des problèmes. Il commence à y avoir des tensions avec DJ S qui ne propose pas suffisamment de prods en quantité et en variété au goût de Kool Shen. Il y a quelques remous dans le groupe où certains dénoncent les différences de traitement entre les deux têtes d’affiche et les autres. Vous racontez les absences récurrentes de JoeyStarr qui n’est pas trop présent lors des sessions d’enregistrement. Tout ça joue aussi peut-être un petit peu sur le rendu final.

PJ : Sûrement oui. C’est vrai qu’il y a eu des tensions en interne mais comme dans pas mal de groupe en fait. Du moment où tu commences à sortir un petit peu des sentiers battus et à être un peu connu, ça crée forcément des désaccords. Et ça s’est même terminé pour Yazid et DJ S. Après tu vois, quand on dit que DJ S n’allait pas assez vite en terme de production, c’est qu’il ne produisait pas assez de morceaux ou des couleurs pas assez différentes.

V : Il en faisait 3 et il fallait rapper sur les 3 quoi.

PJ : C’était un peu au compte-gouttes. Mais après c’était aussi dans l’esprit de Kool Shen, et je parle vraiment plus de Kool Shen pour le coup, d’aller chercher des prods ailleurs. C’était vraiment un trait de sa personnalité que d’aller s’inspirer de ce qui fonctionnait. C’est un mec qui fonctionne au flair.

Oui effectivement, vous expliquez que ce sont aussi les débuts de Kool Shen aux manettes. Sans aller jusqu’à la prod, il s’intéresse de plus en plus à comment ça se passe et peut-être qu’effectivement, ça alimente un peu cet œil critique qu’il peut avoir vis-à-vis de DJ S.

PJ : Tout à fait. En fait, c’est ce que dit Volodia, l’ingé-son qui bosse sur le deuxième et le troisième album. A la fin du deuxième album, Volodia m’a dit : « Cet album-là, Kool Shen et moi, on l’a fait ensemble. On l’a fini à deux ». Et effectivement, Volodia a joué un rôle hyper crucial dans la réalisation du deuxième et du troisième album. Ne serait-ce qu’en matière de temps pour poser les voix ou au niveau du rendu du son.

Parlons un peu de leur troisième effort, Paris sous les bombes, que vous assimilez au fameux album de la maturité du groupe. Il est celui qui finit de les faire connaitre au plus grand nombre. Et vous expliquez très bien les facteurs qui expliquent cette mainstreamisation du groupe : la loi Carignon qui oblige les radios à passer du contenu français, la sortie de La Haine qui participe au fait que le rap soit de plus en plus populaire et enfin la présence du single « La Fièvre » qui est un véritable raz de marée à l’époque. Comment le présenteriez-vous ?

PJ : C’est influences new-yorkaises à fond.

V : Ils sont allés faire leurs courses aux prods … mais paradoxalement il ressort une unité musicale assez forte sur cet album. Le troisième, c’est souvent l’album préféré des fans qui ont grandi avec NTM parce que justement, tu as ce côté boom bap new-yorkais à la sauce française. Moi, personnellement, sur cet album-là, ce que j’aime beaucoup, c’est le traitement des basses. On rejoint un son new-yorkais avec une basse très ronde, très forte … C’est un album qu’on écoute d’une traite. Il a une vraie couleur quoi.

PJ : Ouais je suis d’accord avec toi. Après on a effectivement des têtes de gondoles comme « La Fièvre » qui n’était pas du tout destiné à être un single à la base. Mais je pense qu’au niveau des radios, c’était ce qu’il y avait de plus entendable. Et comme Christophe Lameignere a beaucoup poussé auprès de NRJ pour que ce soit diffusé … Mais ce n’était pas si évident que ça.

Ça a été une porte d’accès incroyable pour toute une génération ce titre.

PJ : Ouais c’est clair. D’ailleurs, je ne peux pas m’empêcher de faire un rapprochement entre « Je danse le Mia » et « La Fièvre ». Dans le sens où IAM et NTM se font connaître du grand public grâce à des morceaux un peu légers … Il y a un truc aussi qui est intéressant en termes de réédition sur ce troisième album, c’est la collaboration avec Nas sur « Affirmative Action ».

Alors justement, j’aillais y venir. Vous expliquez précisément comment ils réussissent à retourner complètement en leur faveur une opération commerciale pro-Nas à la base. Mais surtout vous revenez dans le détail sur les tournages du clip à New York et à Paris.

PJ : C’est beaucoup Nicolas Nardone qui nous en a parlé. Il arrive sur la fin de l’exploitation du troisième album et il assiste un peu à tout ça. On connaissait déjà un peu ces anecdotes-là via le bouquin de Joey, Mauvaise Réputation. Il parle beaucoup de ce qui s’est passé à New York, un peu moins de Paris. Mais on n’avait pas le contre-champ d’une tierce personne qui vienne corroborer ces propos. Et en fait, c’est énorme ! Quand Nardone me l’a sorti au téléphone, j’étais mort de rire.

V : On n’avait pas non plus toute l’histoire sur l’aspect business dans ce que racontait JoeyStarr.

Et puis en plus, ça colle tellement au personnage qu’on imagine parfaitement bien la scène.

PJ : Ouais c’est clair. Et puis, il faut savoir qu’à l’époque Joey est cul et chemise avec DJ Spank et ils se défonçaient beaucoup … Et voilà, il arrive complètement défoncé parce qu’il y a Nas et qu’il veut lui rendre la monnaie de sa pièce. Il n’a pas du tout aimé son comportement de diva à NYC. Il veut donc lui pourrir le tournage et le faire chier jusqu’au bout. Et c’est génial parce que maintenant qu’on le sait, on fait attention et on se rend compte du truc. Je pense par exemple qu’ils ont atténué un petit peu la couleur du clip pour ne pas qu’on remarque trop son état.

Vous revenez ensuite sur leur dernier album studio, Suprême NTM, pour lequel vous avez pas mal d’anecdotes promos incroyables. Il y a tout d’abord l’histoire de la fausse copie pirate de « Seine Saint-Denis Style » qui finit par atterrir chez Skyrock. L’arnaque est complètement énorme …

V : Alors cette histoire-là c’est Pierre-Jean qui l’a chopé auprès de Vrej Minassian. J’en avais un petit peu entendu parler, mais je pensais que c’était bidon …

PJ : Elle est complètement énorme. A tel point que quand Vrej a l’idée de faire cette copie-là, il va en parler à son patron qui lui dit : « OK mais si tu te fais gauler, c’est toi qui prends … ». Il décide donc d’imprimer les vinyles chez un petit disquaire en France pour éviter tout traçage. Il les file ensuite à Nardone qui connait apparemment suffisamment bien les Puces pour savoir qu’en passant par tel ou tel contact, il y ait de grandes chances qu’une copie finisse par atterrir sur le bureau de (Laurent) Bouneau. Et ce qu’il faut aussi savoir, c’est qu’à l’époque, l’attachée de presse de NTM s’appelle Zaïa Haddouche. Et Zaïa c’est quelqu’un qui a une personnalité … une grande gueule quoi. Et donc forcément, c’est le personnage tout indiqué pour aller gueuler auprès de Skyrock pour leur dire de tout couper. Et ça marche super bien. D’ailleurs, je ne sais pas si Bouneau va lire le bouquin, mais il n’est pas au courant … C’est-à-dire que là, s’il lit le livre, il va se dire : « Je me suis bien fait enfler à l’époque ».

Deuxième coup qui pour moi marque le plus la promotion de cet album, c’est la création du magazine « Authentik ». Pouvez-vous nous en dire deux mots ?

V : Ils continuent sur leur lancée top niveau street marketing. Ils se sont calqués sur une opération qu’avaient fait les Beastie Boys aux US. Ils avaient décidé de mettre en place un magazine qui ne parlerait pas de rap. Et ça, c’est encore une fois une idée de la maison de disque. De toute façon, Kool Shen disait toujours à Vrej : « Il faut me proposer des choses qui n’ont jamais été faites avant, sinon ça se passera mal entre nous ». Et puis il faut dire aussi qu’avec Sear, ils sont tombés sur la personne idoine pour mener des entretiens qui sautaient du coq à l’âne … JoeyStarr aimait tellement l’exercice qu’il l’accompagnait tout le temps en interview. Et ce qui était intéressant, c’est que le magazine a complètement cartonné. Il devait en faire qu’un numéro au début. Et ça a tellement marché que, très vite, la Fnac leur a demandé d’en faire un deuxième …

Et toute cette opération leur a coûté zéro franc en plus …

V : Oui, la partie la plus intéressante, c’est qu’ils ont vendu des pages de pub à des concurrents pour financer l’opération. A l’intérieur d’Authentik qui était un truc Sony, ils vendaient des pages pub pour des albums Universal. Encore une fois, c’est un coup de génie en termes de marketing. Mais c’est pour ça que toute cette partie-là est quand même très très développée dans le livre pour le quatrième album…

PJ : On parlait de street marketing, mais ça allait bien au-delà de coller des affiches sauvages dans les rues … Ils allaient faire des interviews dans des radios étudiantes. Ils enregistraient même des jingles destinés à ces radios où ils faisaient les guignols et tout. Et en fait, ils ont pris un plaisir immense à parler avec la base. Ils voulaient rester ancrer au sol. C’était vraiment leur manière de se développer. Et c’est très fin de la part de la maison de disque aussi d’avoir mis les moyens là-dedans.

L’album marque donc la fin du groupe. Pouvez-vous revenir sur les relations devenues particulièrement tendues entre JoeyStarr et Kool Shen à la sortie de cet album et pendant tout le NTM Tour 98 ?

PJ : Je pense que Vincent sera d’accord pour dire que de toute façon, au-delà de la relation, il faut mettre en avant que c’était un groupe qui était assez complémentaire. Ils ont des personnalités assez différentes. Mais l’un sans l’autre, ça ne marche pas. Après oui, il y a eu plein d’histoires. Je pense qu’effectivement, la tournée 98 a exacerbé pas mal de tensions, avec l’affaire de l’hôtesse de l’air qui n’a pas dû arranger les choses. Ça a même dû bien saoulé Kool Shen parce qu’en termes de développement…

V : En fait, ils devait réaliser un de leurs rêves en faisant un concert à la maison, au Stade de France. Mais la ville a lâché le truc à cause de tous les problèmes juridiques de JoeyStarr, ce qui a mis un gros coup d’arrêt à Shen. Mais ce qu’il faut avoir en tête, c’est que ça prend apparemment beaucoup d’énergie de travailler avec JoeyStarr … De toute façon, dans le livre, on voit bien cette espèce de perfectionnisme d’un côté et l’autre aspect complètement spontané. Et le côté perfectionniste, il était vraiment partout, dans le moindre détail.

Oui, je pense notamment à l’anecdote où Vrej explique que c’est Kool Shen qui lui a montré comment récupéré les infos sur les ventes dans le logiciel de gestion de la maison de disque par exemple …

V : C’est ça. Il était partout quoi. Bon après, il a voulu faire autre chose et c’est lui qui a mis ce coup d’arrêt. Chose que JoeyStarr a très mal vécu d’ailleurs, parce que c’est quelqu’un qui vit beaucoup les choses dans l’émotion. Il a vécu ça comme un véritable abandon.

Je crois même pouvoir m’avancer en disant que c’est le premier livre de critique musicale sur un artiste de rap français.

Le docu de Sear, Authentik, un an avec le Suprême, dont vous parlez dans le livre est effectivement assez évocateur sur le sujet. On ressent bien la tension qu’il y a pu avoir durant la tournée 98 … mais surtout côté Kool Shen pour qui c’est devenu purement professionnel.

PJ : Il y a l’entourage aussi. Ils ont deux équipes quelque part. Ils se mélangent entre eux, mais tu sens qu’il y a quand même deux clans. Et encore, je pense qu’on n’est pas au courant de tout. Après, on n’a pas trop gratter là-dedans parce que ce n’était pas ce qui nous intéressait le plus. Mais c’est vrai que symboliquement, tu te rends compte que quand ils montent sur scène, c’est un truc de fou. T’as deux moitiés qui se rencontrent et ça marche super bien. Mais à côté de ça, dans la vie privée, ce ne sont pas des gens qui se voient beaucoup. Même au niveau des goûts musicaux, ils ont quand même des goûts un peu différents …

Oui, vous symbolisez très bien ce truc-là en faisant le parallèle entre « That’s My People » et « Ma Benz ». Et effectivement, il suffit de se pencher sur B.O.S.S. et IV My People pour s’en rendre compte. Ils ne sont à ce moment-là plus vraiment sur la même longueur d’onde, même musicalement parlant.

PJ : Tout à fait, ce sont des projets très différents. Du côté de B.O.S.S., tu as un truc un peu plus ragga, soundsystem jamaïcain. Et puis du côté de Kool Shen, on est vraiment sur un truc très orthodoxe, très rap français. Ce sont deux mondes différents.

Vous concluez en rappelant qu’au final toute la carrière discographique de NTM ne s’étale que sur huit ans à peine. Et pourtant vingt ans plus tard, ils restent toujours l’une des références en matière de rap français …

PJ : Ouais c’est un truc de fou quand même. En fait, tu sais, quelque part, ils ont dépassé le stade du rap. Parce que c’est devenu un peu transversale. Ils ont réussi à se mettre dans la poche les mecs qui faisaient du rap, les mecs qui faisaient un peu de variet’, les mecs qui écoutaient du rock … Et tout cela, ça a formé une espèce de consensus autour de NTM. Et puis au niveau de ce qu’ils laissent dans le patrimoine français, ils ont dépassé leur sphère purement hip hop.

V : En fait je pense que ce qui a complètement contribué à leur mythe, c’est le fait de s’être arrêté au sommet. En faisant ça, ils ont figé leur image sur toute une partie de leur public sans aucun déchet. Les gens ont un souvenir qui restera gravé en eux quoiqu’il arrive.

Avez-vous un dernier mot pour la fin ?

PJ : Le bouquin est aussi une manière de rendre hommage aux personnes qui ont travaillé avec eux et dont on n’entend jamais parler. C’était la forme documentaire qu’on voulait lui donner. On était focalisé sur le côté artistique et sur tout ce qui gravite autour. Maintenant, je pense qu’il y a une carence dans la production littéraire en France sur le rap français. Même si ça commence à venir … C’était même étonnant qu’il n’y ait pas encore eu de bouquin sur NTM en dehors du circuit officiel.

V : Je crois même pouvoir m’avancer en disant que c’est le premier livre de critique musicale sur un artiste de rap français. Il n’y en a pas d’autres. Les autres ce ne sont que des bios, des commandes ou des livres d’entretien.

Christophe Freitas

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