JMSN est certainement l’un des secrets les mieux gardé de la soul contemporaine. Présent sur le devant de la scène depuis le début de la décennie, le crooner américain n’a pourtant pas encore suscité la ferveur du public, grand bien lui fasse. Adoubé par Kendrick Lamar, Ab-Soul ou encore The Game, il a fait ses premières armes aux côtés de ces grands noms du hip-hop avant de prendre véritablement son envol. Velvet, son sixième album au compteur, prouve une fois de plus qu’il est un artiste complet et touche-à-tout, résolument peu soucieux des tendances actuelles.
À peine le joli succès de son dernier opus retombé, l’attendrissant Whatever Makes U Happy sorti au printemps de l’an dernier, que revoilà déjà JMSN sous le feu des projecteurs. En bon stakhanoviste qu’il est, le dandy répondant au nom de Christian Berishaj à la ville, poursuit sur sa lancée d’un album par an qu’il respecte (quasi) scrupuleusement depuis 2012 ; exception faite en 2015, parce qu’il fallait bien se reposer à un moment.
Pour son nouveau cru, le multi instrumentiste toujours aussi adepte du DIY explore un peu plus le tournant organique qu’emprunte sa musique depuis 2 ans, initié sur l’album It Is. Si ses productions conservent toujours ces rythmes chaloupés et langoureux qui font tout le charme de la néo soul, il surprend en leurs infusant une esthétique très 80’s. Imprégné de synthés aux mélodies entêtantes et de boites à rythmes un brin kitch, le disque nous ramène aux grandes heures d’une pop aussi décomplexée que glamour.
Sur le papier, cette énième rencontre entre sensualité soulful et groove synthétique avait de quoi être casse-gueule, d’autant plus de nos jours. Loin de nous l’idée de penser que cette association soit incompatible aujourd’hui, (j’en veux pour preuve le dernier Blood Orange qui affirme sublimement le contraire) mais la possibilité de tomber dans la caricature était présente. Surtout au vu du clip clinquant de son single « So Badly », dévoilé en tout début d’année.
Fort heureusement, Velvet n’est à aucun moment un exercice passéiste ou même ringard. JMSN sait parfaitement ce qu’il fait et cela s’entend. Lui que l’on a souvent comparé à Justin Timberlake, pour la seule et unique raison d’être également un artiste blanc à faire du r’n’b, se détache totalement de cette image qui lui colle à la peau et s’émancipe dans ce qu’il aime. Et justement ce qu’il aime n’est certainement pas caresser les bandes FM dans le sens du poil. Par le passé, l’originaire de Detroit a été beaucoup trop brimé par ses maisons de disques pour qu’il ne cède à ses envies et excentricités maintenant qu’il est maître de son art avec son propre label, White Room Records.
De son falsetto plus aiguisé que jamais à ses effets vocaux qui ne sont pas sans rappeler les expérimentations d’un certain Stevie Wonder, l’incursion vintage de JMSN s’avère étonnamment rafraîchissante. Alors que l’auto-tune envahit de plus en plus le r’n’b et resserre les frontières avec le rap, lui se laisse plutôt guider par son amour et sa connaissance d’un r’n’b disons plus « traditionnel » . Ce qui aura le don d’enthousiasmer tous les amateurs de slow jam et de funk en quête d’un album remettant ses genres au goût du jour.
Parce qu’il idolâtre Whitney Houston plus que quiconque, JMSN a fait de l’émotion le leitmotiv de sa musique. Il a cette manière très expressive d’interpréter ses morceaux à défaut parfois de la justesse, qui faisait tout le charme et la beauté de la diva américaine. Lors d’une interview pour Noisey, il y expliquait son admiration pour l’aspect brut et passionné de sa musique :
to know that not every note is going to be the best that you can do, that was what I loved about Whitney Houston. In her takes, there was a passion rather than this perfect
C’est vrai que la retenue ne doit surement pas faire partie du vocabulaire de Christian. Mais cette tendance à l’excès s’estompe tout de même sur ce nouvel album. On retrouve une surenchère de vocalises ici et là ou encore un chant très haut perché qui est par moment superflu, mais il s’agit plus de gourmandise que de maladresse de sa part. Et à vrai dire, ces quelques imperfections ne portent jamais préjudice à la qualité de l’oeuvre. Au vu de l’identité seventies mais surtout eighties qu’arbore le projet, l’interprétation tout en démonstration ne représente pas un défaut. Du côté lyrical, le progrès est, lui, notable. Assez sommaire et conventionnelle à ses débuts, son écriture s’est petit à petit affinée et ne repose plus désormais uiquement sur sa façon de la mettre en forme. JMSN trouve les images parfaites collant à son imaginaire sexy fait de relations torrides et de fantasmes peu avouables. Sur l’endiablé « Inferno » et avec une classe rare, il revisite l’éternel thème du désir charnel :
I feel it burning it up (it’s burning me up)
It’s too much with all this build-up (you know it’s too much)
My insides get so stirred up (it’s burning me up and)
Just watching your body light up (now and all up, ’round, light it up)
Ainsi, il est presque impossible de ne pas penser à Prince lors de l’écoute de Velvet. Cela commence par le titre, qui joue sur le même terrain de l’érotisme que le Kid de Minneapolis en plus de faire écho à l’un de ses morceaux, « Velvet Kitty Cat ». Ça se poursuit avec le soupçon d’irrévérence qui parsème l’album comme sur les titres « Got 2 B Erotic » et « Explicit », aux noms pour le moins équivoques. Enfin, et surtout, l’héritage de feu « Love Symbol » se ressent particulièrement dans ce lot de chansons d’amour débridé à l’interprétation puissante et sophistiquée. JMSN n’atteint peut être pas les mêmes sommets que l’icône de la pop (ce qui semble bien compliqué), mais avec cette copie de grande qualité, il montre l’étendue de son panel d’interprète et de musicien. Et pour pousser la comparaison encore plus loin, rappelons qu’au même titre que Prince, le chanteur s’épanouissant sous le soleil californien est lui aussi autodidacte et compose l’intégralité de ses morceaux. En offrant son opus le plus abouti d’une discographie déjà bien fournie, JMSN prouve qu’à l’instar d’un bon whisky (dont il emprunte son nom, les voyelles en moins, à la fameuse marque irlandaise), il se bonifie avec l’âge.
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