Avec cette phrase, tiré de son morceau « Le prix de la vérité » sorti en 2009, Kery James cherche à faire réagir son auditeur en le questionnant sur le pan de la population auxquels les droits de l’Homme s’appliquent véritablement.
Les droits de l’Homme sont indivisibles et interdépendants, cela signifie que l’un ne peut exister si l’autre n’est pas respecté. MC Solaar se ré-approprie d’ailleurs ce concept en rappant : “J’opte pour les Droits de l’Homme, Article 31 : Riposte immédiate si tu n’appliques pas l’Article 1« . Ce premier article, qui est le ciment de la fondation de ces droits de l’Homme, souligne l’importance capitale que tous les enfants qui voient le jour sur cette Terre naissent et demeurent : “libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.”
C’est sa manière de dire qu’à partir du moment où le tout premier article de la Déclaration est bafoué, c’est tout le château de cartes de la dignité humaine qui s’effondre. Il n’hésitera donc pas à se défendre en créant ses propres règles.
Le 7 et 8 mai 2007, la Déclaration de Fribourg est rédigée. Coordonné par plusieurs organisations comme l’UNESCO, le Conseil de l’Europe, ainsi que l’Organisation internationale de la francophonie, ce document vient renforcer les principes très utopistes et peu concrets de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. La Déclaration de Fribourg a également pour but de replacer les droits culturels au centre des préoccupations. Car jusqu’ici, malgré certains articles de cette Déclaration des Droits de l’Homme (article 22 et article 27.1 ci-dessous), les droits d’accès à toute forme de pratiques culturelles sont anecdotiques.
Beaucoup de rappeurs remettent en cause le manque d’accès à la culture, on peut citer Tar-One dans « Ma part de solitude » (2007), qui souligne cette redondance parmi tant d’autres problèmes :
Au système aliénant, aux drogues, au libéralisme
Au manque d’accès à la culture, au désespoir affectif
Et puis aussi à nous-mêmes, moutons qu’on veut rendre compétitifs
S’ils nous poussent à l’individualisme, peut-être bien
Que c’est parce que sans les autres on perd tout ce qu’on a d’humain
Booba traite également de ce sujet dans l’indétrônable classique « Ma définition » (2002) avec cette phase que tous les bousillés de rap entendent passer dans leur tête de temps à autre :
J’voulais savoir pourquoi l’Afrique vit malement
Du CP à la seconde ils m’parlent d’la Joconde et des Allemands
Il se questionne sur les savoirs que l’on inculque aux jeunes, tout en omettant sciemment d’autres faits, d’autant plus importants pourtant, pour les enfants d’origines africaines.
En agissant ainsi, l’Education Nationale accélère le processus d’acculturation chez les jeunes. Comme le dirait A.K.H. dans « Métèque et Mat » (1995) :
Nos peuples se sont acculturés
C’est pourquoi la fierté
Demeure toute seule dans nos sacs
De métèques et mats
On touche alors ici à cette fierté dont parle Chill Phil, celle qui se perd à force de vivre dans une société homogène qui prône l’intégration.
Malheureusement ou heureusement, selon le point de vue de la personne, chaque individu est un produit de son environnement. L’intégration ne peut donc pas avoir lieu à 100%. Le fameux terme d’habitus, définit une manière d’être, une disposition de l’esprit.
Dans le morceau sobrement intitulé « Habitus », Rocé s’adresse directement à l’auditeur en utilisant le pronom personnel ‘tu’. Il explique en quoi cet habitus balise en quelque sorte le chemin que l’on va prendre dans la vie. L’habitus nous colle à la peau comme une malédiction ; impossible ou presque de s’en défaire.
Malgré des capacités certaines, un grand nombre de jeunes des quartiers défavorisés restent collés au banc de leur quartier vu que l’habitus fait le moine.
J’ai la plume pour la haute voltige
Les ailes faites pour l’altitude
Mais d’mauvais habitus dans mon attitude matérialisent ma chute
— La rhum’r’hii, Toujours juste (2018)
Despo Rutti, fidèle à son franc parler, résume dans « Le langage du Mamba » (2018) cette fatalité de manière simple mais percutante : “L’être humain est une éponge, un produit de son environnement.” Niro aussi évoque ce résultat de grandir au sein d’un tel environnement : “J’suis le fruit d’la précarité d’mon quartier, d’sa mentalité.”
Cette relation de cause à effets est traitée par Rohff dans le morceau « Génération sacrifiée » (1999) : “Fais face aux conséquences de ton institution, de ton intelligence et de tes circonstances critiques”. Sur ce même son, le rappeur né à Madagascar développe ce phénomène :
Nous, jeunes du ghettos souffrons d’une douleur atroce
Qui nous vient du fond du cœur, ce qui nous rend plus féroce
Car le contenu de nos cœurs renforce nos conceptions de la vie
Les mauvaises péripéties, nous endurons endurcis, noircis
Renferme notre état d’esprit de rage provoque l’orage
L’habitus a donc davantage de conséquences pour une personne issue des quartiers populaires, notamment du fait que celle-ci se retrouve en marge. Disiz le rappe dans « Banlieusard syndrome » en 2014 : “Tu seras jamais à l’aise en dehors d’chez toi. Y’a peu d’questions où tu réponds pas : J’sais pas”. Parqués dans ces constructions élevées, ces soi-disant « gosses mal-élevés » s’habituent à ce seul et unique décor connu, et n’ont donc aucune idée de ce qu’il se passe en dehors de leur cité. En conséquences directes, on peut parler d’une perte de confiance concernant leur savoir. Et pour éviter de répondre faux à la moindre question, ils se résignent à dire qu’ils n’ont pas la réponse. N’ayant comme bagage culturel que celui acquis dans leur vie, leur expérience, dans un milieu où l’on étouffe dans un « nuage de fumée ».
Par le fait de ne pas se sentir crédible face à certaines formes d’art vues comme élitistes, ils se sentent rejetés d’un système où seulement ceux ayant un bagage culturel jugé important sont acceptés.
Bien évidemment, cette marginalité n’apporte pas qu’exclusivement du négatif, Rohff encore une fois, dans « Le virus » en 2008 écrit : “La marginalité ma culture, je suis fait de ratures. Virus de la littérature, comme en agriculture”. En écoutant ces paroles, on comprend que leurs références sont aussi un atout pour eux. Ils créent le contre-pied avec les moyens du bord. Le rap étant le fruit de frustrations de ces quartiers, il prend une valeur inestimable aux yeux de ces gens mis de côté.
Marginalisée, ma musique est le caviar du pauvre
— Médine, Self Defense (2008)
Pour un grand nombre d’auditeurs de rap, cette musique est davantage qualitative et pertinente que des œuvres issues du siècle des lumières, de par la justesse de ce qu’elle écrit. En 2012, Youssoupha le scande dans « L’amour » (2012) : “Un jour l’école m’influençait moins. Comment leur dire que les poèmes d’Apollinaire ont moins de verve que « Demain c’est loin » ?”. Deen Burbigo veut également faire passer ce message dans « Luc Bresson » (2016) : « J’lis pas d’Marivaux, il m’arrive à la cheville ».
On peut déceler dans ces rimes une réelle inimitié envers les institutions culturelles. Le rap s’étant construit en opposition à toute forme d’autorité, d’ordre établi, de règles constitutionnelles. On peut relever dans le morceau de Keny Arkana, « Ça nous correspond pas » (2005) : “Leurs institutions et leurs lois, leurs ordres, leurs critères et leurs droits, leurs normes, tout ça, ça nous correspond pas !”
Résultat de cette opposition à un système bien implanté, les jeunes des quartiers populaires se sentent rabaissés, comme le dit la Scred Connexion en 2000 dans leur classique « Partis de rien » : « Ils disent souvent qu’on est des bons à rien. Et il suffit d’un rien pour qu’on y croit, quoi qu’t’en dises ! » La Rumeur expose également ces humiliations dans « À les écouter tous » (2002) :
Immigrés à dénigrer et à mater sous le bâton
Un baptême d’hématomes ayant pour thèmes : amertume
Blessures intimes et chrysanthèmes
Face à ce dénigrement constant, ils cherchent à se revaloriser, notamment en écrivant leur réalité, à leur façon.
L’appartenance à son quartier se traduit par une fierté qu’ils ne cessent de montrer en le dédicaçant dès qu’ils en ont l’occasion :
J’sors d’nulle part, fier de l’dire Belsunce
— MC Arabica, Sortis de nulle part (2000)
Citons Bouga dans l’entêtant « Belsunce Breakdown » (2000) :
Tout part et vient d’ici […]
Belsunce, fleuron des quartiers phocéens
Coincé entre la gare et le vieux port
On n’est pas les plus à plaindre
Malgré leurs origines des quartiers pauvres, ils arrivent à en tirer du positif. Ici, Bouga décrit la position géographique plutôt favorable de Belsunce. A côté de ça, malheureusement, la zone est en proie à de nombreux faits divers macabres, comme pourra le rapper Akhenaton dans l’intemporel « Mon texte le savon » en 2001 :
Belsunce 86, centre, dangereux d’squatter les bancs
Paroles fortes et conneries à 2 francs
On en trouvait tremblants par terre dans le hall
En train d’baigner dans leur sang
Juste après viennent ces paroles décrivant deux mondes bien différents mais pourtant vivants à deux pas l’un de l’autre :
Frontière mince, transparente, séparant les mecs biens, sincères, fiers, francs
Des embryons délinquants, des gens brillants…
Au lieu de faire co-exister les classes sociales, de faire se mélanger les gens de tous les horizons, la direction des villes préfère favoriser une gentrification quitte à voir certains quartiers perdre de leur âme d’antan.
En 2012, Keny Arkana en a fait un morceau en jouant sur le terme de « Marseille capitale de la culture », en remplaçant ‘culture’ par ‘rupture’. Cette gentrification est en général très mal perçue par les personnes habitants certaines zones, parfois depuis plusieurs générations. Le coût de la vie augmente, contrairement à leur pouvoir d’achat. Au bout d’un certain temps, acculés sous la pression économico-sociale, ils sont forcés de quitter les lieux et de laisser place aux classes plus aisées. Leur quartier se dénature :
Où est passée la ville du Bled ?
Paraît que ce temps est révolu
Capitale de la culture Européenne
Si c’était une blague c’est sûr qu’on ne l’aurait pas cru
Marseille re-dessinée par Euromed
Venu chambouler toute la culture de la ville
L’écart se creuse, ressent la fracture
Qui s’ouvre Marseille !
Tous ces problèmes sont au fond similaires, et le même schéma se reproduit indéfiniment, qu’importe la ville concernée. Comme le dirait Guizmo en 2014 sur le titre « Demain c’est mort » qui reprend d’ailleurs, comme un hommage, le morceau n°1 du rap français à jamais « Demain c’est loin » du groupe légendaire IAM : “Paris ou Marseille, dans le fond c’est la même”. La seule différence majeure étant que Marseille reste l’unique ville en France qui comporte des quartiers très pauvres intra-muros. Alors qu’en général, que ce soit à Dijon, à Bordeaux ou encore à Lille, ces zones sont situées en périphérie des municipalités.
On en revient alors à cette précarité, qui forcent certaines familles acculées, à se débrouiller « By any means necessary », traduit ainsi : « par tous les moyens en leurs possessions » comme avait dit Frantz Fanon en 1960 dans le cadre de l’Accra Positive Action Conference. Cette citation peut faire écho à la phase coup de poing de Kery James en 2009 : « Conscient que la violence, peut être la dernière chance d’obtenir la paix » mais aussi à celle de Lino dans « Délinquante Musique » (2004) : « Tant qu’on aura que la violence comme argument« . Comme le dit IAM, encore une fois, dans « Demain c’est loin » : “La pauvreté, ça fait gamberger” et peut également créer une frustration viscérale, qui tend à étouffer voire à tuer certaines âmes.
J’accuse la frustration d’homicide à l’intérieur de nous-mêmes
— Keny Arkana, A l’ombre des jugements (2011)
On en revient à la condition de certains humains lorsque Disiz en 2012, fait preuve de fatalisme sur la situation des siens sur son titre « Salauds d’pauvres » : “Vois rouge au pays des bleus donc ma colère est mauve. Chevillé à ma condition, à jamais un salaud de pauvre”.
Pour le rappeur Rohff, cette instabilité financière permet aussi de se forger un caractère fort et des valeurs riches en dépit de leur compte épargne : “Rescapé de l’immaturité, richesse de la précarité”.
Par nature, l’humain se méfie toujours de l’inconnu, et cherchera souvent, en guise de défense, à se créer une représentation de l’Autre, d’une origine, d’une facette peu familière d’une partie de la société. Il se rassure par des préjugés basés entièrement sur des constructions mentales, par fainéantise intellectuelle ou/et refus de s’intéresser à l’autre : “On est tous raciste de quelqu’un.. ça s’appelle le préjugé” comme le fait remarquer judicieusement Cenza dans « Le Manuscrit » (2017). D’ailleurs, Médine souligne qu’il “est plus facile de désintégrer les atomes que les préjugés”, car effectivement plus de bombes nucléaires ont dû exploser que de schémas de pensées ont été démontés.
Le rap permet au moins de prouver, même si ce n’est pas le but final, que certains préjugés sont infondés, car l’écriture de certains rappeurs est beaucoup plus poussée que ce que leurs détracteurs pensent soulever : “J’viens flinguer tes préjugés, issu des blocs mais lettré” écrit Lacraps sur « L’enfer c’est… » (2018). Dans un freestyle Skyrock daté de 1998, Kery James partage le micro avec Method Man, et le surnommé ‘mélancolique’ tient à passer un message à la jeunesse désœuvrée (ça serait pas du Kery sinon…) :
Faut que t’affirmes tes positions
Face à leur culture, leur nation, leurs institutions
Ici, il souhaite fermement que l’auditeur écoute ses conseils, s’affirme en tant qu’individu issu de la banlieue, assume sa couleur de peau, les coutumes de son pays d’origine, et qu’il soit « fier de l’être, même si tu me colles une étiquette » comme il l’exprime la même année sur le même disque : Le combat continue. En parlant d’étiquette, de case, Pejmaxx joue habilement avec cette expression pour la retourner en sa faveur : « Mon étiquette s’décolle quand j’te parle de liquide« , comme quoi il suffirait d’échanger avec lui sur le sujet de l’argent pour comprendre que ça ne lui brûle pas les doigts lorsqu’il s’agit de pécule ; au contraire il est sage et plein de sang froid.
Dans son morceau « 17 octobre », Médine raconte avec précision le cheminement qu’accomplissent les émigrés. Des raisons de quitter leur pays natal : “Alger, capitale, au commencement des sixties. Les pieds-noirs quittent le navire, les colons dératisent”, en passant par le décor qu’ils laissent : “Basilique de Notre-Dame d’Afrique, s’éloigne de mon regard lorsque les mouchoirs s’agitent. Verse une larme dans la Méditerranée. Une goutte d’eau dans la mer contient la peine de ma terre damnée” jusqu’aux conditions d’accueil sur un territoire à peine foulé : “Embarqués dans un cortège pacifique, nous réclamons justice pour nos droits civiques”.
Le passé colonialiste de la France y est pour beaucoup en ce qui concerne le problème identitaire inhérent aux enfants d’immigrés. Les stigmates de cette époque sombre ont pris encore davantage de poids quand l’État a eu la bonne idée « d’s’enrichir sur les immigrés, leur refourguer les quartiers où la classe moyenne se suicidait » pour citer Orelsan dans le morceau À qui la faute ? (2018).
Les ghettos naissent ainsi, en parquant des communautés. Comme l’écrit Lacraps dans « L’enfer c’est… » dont nous avons parlé plus haut : « C’est pas nos différences sociales, ce qui nous enferme c’est les zones« . Le rappeur de Montpellier est particulièrement doué quand il s’agit de dénoncer les inégalités sociales. Dans « Mes Larmes » (2018), il rappe : « Elles sont déter’ et calibrées, elles sont armées, les tés-ci grondent. Normal les inégalités n’ont jamais été si grandes« . Avec sa plume acérée, il explique que l’on ne peut récolter que colère d’une politique de mise à l’écart d’une partie spécifique du peuple.
Pour en revenir au colonialisme, facteur indéniable des problèmes actuels et pressants de l’Hexagone, citons « Destination Finale » (2010) de Despo Rutti : “Les croisades n’étaient pas de simples prêches Nord Sud Est Ouest. On a hérité des prénoms et des coutumes du maître”
Il fait référence à l’esclavagisme que l’Etat français a pratiqué pendant un long moment, officiellement entre 1642 et 1848, plus de deux siècles donc. Entre temps, si vous avez bien suivi, il y a eu l’apparition de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Cette déclaration ne s’est pas appliqué à cette pratique infâme. La « Fille du Vent » résume parfaitement ce problème dans Nettoyage au Kärscher (2006) :
Tes soi-disant Droits de l’Homme et de ton siècle des Lumières
Ta philosophie humaniste, s’est arrêtée à la théorie
Quand tes armées sont parties coloniser l’Afrique
L’actualité appelle également à se re-pencher plus intensément sur cette obscure partie de notre histoire, où la statue d’un ancien marchand d’esclave, Edward Colston, a été déboulonnée à Bristol, suite à la mort de George Floyd aux Etats-Unis lors d’une interpellation…
Isha lui, s’exprime à ce sujet en utilisant deux épanadiploses : « L’histoire, elle est douloureuse, l’héritage, il est colonial. Y’a aucun peuple qui peut comprendre un peuple, car l’Histoire nous raconte des histoires »
En reprenant les mots de Kery James, dans « Banlieusards » sorti en 2008 (qui a énormément abordé le colonialisme français) : “J’manie la langue de Molière, j’en maîtrise les lettres. Français parce que la France a colonisé mes ancêtres” Il tient à démontrer que même si l’époque coloniale est loin derrière sur la frise chronologique, les stigmates persistent malgré tout.
Le « Je t’aime moi non plus » est inhérent à la culture des banlieues, et donc par extension au rap français. Ce sentiment d’ambivalence est exprimé par Furax Barbarossa sur le titre « La France sans maquillage » (2014) : « La France je l’aime comme je la vomis« . Rohff, lui, exprime cela par un mélange de reconnaissance et de haine sur « Du fond du cœur » (1999).
Mon grand-père a combattu pour la France, j’en ai eu la nationalité
Mais quand même nique sa mère la France
Dans un morceau sobrement intitulé « Ma France » (2015), Géabé encense la France autant qu’il dénonce les faits sordides qu’elle a infligé à d’autres pays :
Ma France, elle oublie pas l’Algérie, l’Indochine
L’absurdité de toutes ces putains d’guerres qu’elle a entrepris
En 2016, Lacraps critique le fait que l’Etat fera un pas vers lui seulement le jour où il devra de l’argent à celui-ci. En aucun cas donc pour tendre la main au rappeur montpelliérain et à ses concitoyens : “Ce sera pour régler tes dettes si un jour la France te fait signe”
La télévision influe grandement dans la vision que son audience peut se faire des quartiers. Comme l’a souligné So Clock, membre des Tontons Flingueurs, ci-dessus. Quand on parle d’audimat, on désigne clairement la « ménagère devant son écran, prête à gober la merde qu’on lui jette entre les dents« , qui ne fait que ingurgiter des informations pré-mâchées et anglées donc biaisées. Certains subissent directement les répercussions d’une médiatisation orientée.
Je l’ai vu dans leurs yeux, dans les tiens, à la télé, putain !
C’est pas de la parano de jeune ; ma culture gène
— Despo Rutti, Le silence des macaques (2006)
Pour Vald, il faut cesser de regarder cet écran abrutissant : « Éteins si tu vois pas la propagande à la télé qui adore que t’aies qu’la mort à vendre » où sont diffusés en boucle des reportages traitant de violence, de drogue, instaurant alors un climat de crainte pesant et néfaste envers les habitants des quartiers dits ‘dangereux’.
Comme le dirait Pejmaxx : « Demande à ma mère si j’suis un mauvais type, si j’lui fais pas honneur »
Selon Erving Goffman, sociologue canadien, un individu stigmatisé finira, à force d’être considéré comme un souffre-douleur, par se comporter conformément à l’image projetée par ses agresseurs. Keny Arkana explique parfaitement ce phénomène social dans « Le syndrome de l’exclu », l’ayant elle-même vécu :
Sentir la crainte c’est blessant, et petite ça m’a blessé
Alors tu deviens ce qu’ils dessinent dans leurs clichés
Seth Gueko fait également part de ces jugements de valeur, en soulignant avec habileté que les textes de rappeurs sont bien trop recherchés pour ces personnes à l’oreille dédaigneuse : « L’écriture trop riche pour ces pauvres d’esprit”. Avec le même esprit, Youssoupha écrit en 2007 : “Pas de la poésie pour les Beaux-Arts. Devant leurs beaux yeux un morceau d’Oxmo ne vaut pas Mozart”.
Sur cette phase, le rappeur de la Scred Connexion dénonce le fait que deux actes analogues peuvent être mesurés par deux poids deux mesures, selon le pays d’origine de l’accusé.
Tunisiano dans « Y’a pas d’mérite » (2003), pointe du doigt ces mécanismes : « Entre l’avocat qui connait la loi et l’autre qui connait l’juge » où il emprunte les mots au grand regretté Coluche.
Le rap en prend aussi pour son grade en ce qui concerne les procès intentés aux protagonistes de textes soi-disant violents, misogynes, etc. IAM dans le titre « Dangereux » cherche à comprendre ce traitement de faveur qui semble réservé à certaines formes d’art : « Ce que le cinéma se permet, la télé, les livres et les magazines pour nous c’est prohibé. » Alors que les rappeurs n’ont pas la liberté de ne pas se soucier des répercussions que peuvent avoir un texte à première vue clivant ou politiquement incorrect.
Face à de telles discriminations à répétition, de regards fuyants, comme témoignera Mekra en 2016 sur le morceau « Le regard des gens » : « Ils me regardent bizarre, j’rentre pas dans leur registre« , leurs victimes se voient se poser de multiples questions. D’ailleurs, Sniper en fera tout un morceau : « C’est trop souvent que j’me questionne » comme glissera Tunisiano à l’issue du premier couplet. Au refrain, Blacko s’en prend directement au système : « Et nous on nous montre du doigt mais de nos vies qu’est-c’qu’ils connaissent ?« . L’outro vient clôturer le morceau, sans vraiment avoir la moindre piste de réponse à ces incessants « Pourquoi ? », concluant avec fatalité : « J’ai les yeux bien ouverts, on m’fera pas voir ce qui n’est pas. Liberté Égalité Fraternité n’existent pas ». Mots qui pourraient d’ailleurs se rapprocher de ceux d’Akhenaton dans « La fin de leur monde » (2006) :
On vend ma liberté au marché public
Ils me tannent grave avec leurs valeurs de la République
Ces questions sont des appels à l’aide que l’Etat n’entend pas. Ce dernier fait la sourde oreille et préfère ne voir que les conséquences, comme le dénonce parfaitement Koma dans le son « Et si chacun » il y a déjà plus de vingt ans : “Je maudis celui qui dit et celui qui pense que je suis la cause du problème, je ne suis que la conséquence”. On peut citer comme messages explicites demandant un soutien des institutions, la rime de Lacraps en 2016 : “Faudrait qu’j’m’insère, non j’te parle sincèrement. J’ai besoin d’aide et pas d’un serment” mais aussi de Lefa deux ans plus tard :
Quand la douleur est réelle, dites aux médias qu’c’est pas la peine de la scénariser.
L’instrumentaliser, c’est enfermer les appels à l’aide dans une pièce insonorisée
Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels n’a été mis en pratique que de manière anecdotique. Certains en ont bénéficié, mais ce sont encore et toujours les mêmes qui en sont privés. On observe alors, et comme souvent, une politique à deux vitesses : un gouffre séparant utopie des institutions et réalité des classes populaires. Une majeure partie de cette population n’a même pas connaissance de l’existence de la Déclaration des Droits de l’Homme. De l’autre côté, ceux étant supposés faire respecter ce document vivent bien loin des quartiers défavorisés. Un tel écart entre signataires et concernés ne peut que déboucher sur un échec retentissant.
Depuis plus d’un quart de siècle maintenant, les rappeurs se dressent en hauts-parleurs pour mettre en exergue ces distinctions de classes et ces jugements de valeur. Prenants inlassablement le stylo et le micro pour “éveiller les consciences” comme le souligne Lacraps dans le morceau « Écoute-moi » (2016) ; ils documentent les situations inadmissibles, parfois insoutenables, auxquelles font face certains de leurs contemporains.
Ainsi, n’attendant plus l’aide d’une quelconque institution de l’Etat ou d’une hypothétique réforme, c’est de leur propre initiative qu’ils montent des associations, et mènent de front les grandes luttes sociales de notre époque, dans l’espoir qu’un jour le terme ‘Universel’ ait enfin la place centrale lui revenant de droit dans la mise en pratique de la Déclaration des Droits de l’Homme.
Ce dossier est une contribution libre de Max Zin que nous avons choisi de publier. Si vous aussi vous voulez tenter d’être publié sur BACKPACKERZ, n’hésitez pas à nous envoyer vos articles via notre page de contact.
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