Qui est Marie Debray, l’auteure de ‘Ma Chatte, Lettre à Booba’ ?
Dans notre petit monde du Hip-Hop, il y a des artistes, des rappeurs, des beatmakers, des danseurs, des activistes au sens large, des médias œuvrant pour l’expansion de cette culture qui nous tient tant à cœur et, au milieu de tout ça, depuis quelques mois, il y a… Marie Debray. Romancière, nouvelliste, praticienne Shiatsu, elle anime en outre des ateliers d’écriture et de philosophie auprès de publics aussi différents que les retraités, les handicapés, les jeunes écrivains en devenir, ou encore les prisonniers (ou ex-prisonniers). Ce qui nous pousse à nous intéresser aujourd’hui à ce personnage entier aux activités diverses et variées, c’est son dernier travail d’écriture, au titre délibérément provocateur. Ma Chatte, Lettre à Booba. Focus.
On ne peut que se féliciter de la prolifération d’ouvrages qui voient désormais le jour avec, en filigrane, la culture Hip-Hop. Si les lecteurs parmi les plus avisés d’entre nous songent déjà à une petite dizaine d’auteurs, on peut vous en citer citer, au choix, trois. Karim Madani, qui a écrit Spike Lee – American Urban Story, puis Kanye West – Black Jesus. On peut aussi citer Maxime Delcourt, dont le livre 2Pac, Me Against The World est sorti au cœur de l’automne, aux éditions Le Mot Et Le Reste. Puis, plus récemment, Thomas Blondeau, qui avait déjà écrit Combat Rap – 25 Ans De Hip-Hop / Entretiens avec Fred Hanak, est revenu sur le devant de la scène, en publiant Hip-Hop, Une Histoire Française.
Marie, enfant de lettres
Qu’on se le dise, voir Karim Madani, Thomas Blondeau, et Maxime Delcourt écrire sur le Rap n’est pas si surprenant, au final. Le premier, vétéran de l’activisme Hip-Hop en France, écrivait pour des magazines tels RER, Groove, l’Affiche, à une époque – la fin des années 90 – où il n’y avait que très peu de chroniqueurs et de journalistes spécialisés, comme il nous le confiait lors de notre entrevue. Pareil pour le second. Outre son ouvrage co-signé avec Fred Hanak, il a aussi réalisé reportages et interviews pour des médias tels que l’illustre Radikal, Les Inrocks, ou encore Chronic’Art. Le dernier, le plus jeune, Maxime Delcourt, est lui aussi journaliste indépendant. Il a écrit pour divers médias et, avant son livre sur 2Pac, avait publié Free Jazz, qui revenait sur cette approche du Jazz qui tendait à s’émanciper des nombreux codes inhérents au genre. Toujours aux éditions Le Mot Et Le Reste.
Ce n’est pas être démago, mais voir Marie Debray prendre l’initiative d’écrire un livre avec pour appellation Ma Chatte, Lettre à Booba avait de quoi laisser, au mieux, perplexe. La pensée primaire du « doit être fait pour nous, par nous », exprimée par ce très cher B2O, sans doute. Surtout quand est mis en lumière le parcours de cette Parisienne pure souche. Originaire du XIVè arrondissement de Paris, Marie Debray a connu une enfance relativement sans histoires, au sein d’une famille socialement mixte. Le bac obtenu, elle ira à l’université Paris 1, pour décrocher une maîtrise d’études cinématographiques et audiovisuelles, et une autre de philosophie, le tout agrémenté de deux mentions Très Bien.
Avant cela, elle avait remporté, à l’âge de quinze ans, le prix du Jeune Écrivain pour sa nouvelle Nuit De Miel. Une belle ébauche de son avenir professionnel. Forte de ce bagage, sa carrière d’écrivain pouvait commencer. Elle publiera Demain Les Barbares et Histoires De Petits Garçons en 1997, Sarah Seule en 2001 (réédité en 2007), puis Hypatie en 2015. Vous vous doutez bien qu’on s’intéressera ici à son cinquième ouvrage : Ma Chatte, Lettre à Booba. Et pas seulement pour l’aspect drolatique de la soirée qui verra Marie découvrir Elie.
Kopp, la rencontre qui ne devait pas en être une
L’histoire de la rencontre entre Marie Debray et Booba ravirait Bacchus, s’il était de ce monde. En effet, le Dieu de l’ivresse serait sans nul doute flatté d’apprendre que Ma Chatte, Lettre à Booba, est né un soir de beuverie. C’était une soirée comme une autre. De l’alcool. Des rires. Des débats. Puis, au cœur d’une énième joute verbale, l’ami journaliste qui accompagnait l’auteure, lui suggère la riche idée d’aller à la rencontre de l’univers de l’auto-proclamé Duc De Boulogne. Féministe convaincue, la première réaction de Marie est, et ce n’est pas étonnant avec du recul, d’abord réfractaire. Que pouvait apporter comme valeur ajoutée ce rappeur dont le machisme et la misogynie étaient connus de tous ?
Engagée, passionnée, Marie sait aussi se montrer ouverte d’esprit. Après tout, cet ami journaliste aux pointilleux goûts musicaux était parvenu à lui faire apprécier l’univers de l’auteur-compositeur Benjamin Biolay, alors qu’elle y était aussi réfractaire, du moins au début. Et c’est sans doute cet esprit d’ouverture qui la poussera à voir plus loin que les poncifs généralement utilisés lorsqu’il s’agit de celui qu’on appelle également Kopp. Dissocier le fond et la forme, en somme.
Car, au départ, si elle a connu et apprécié des groupes comme A Tribe Called Quest, ou encore Public Enemy, on ne peut pas dire que cette cinéphile, plus portée par l’oeuvre de Clint Eastwood que par celle de Spike Lee, est un enfant du Hip-Hop. Ses frères étaient rockeurs dans l’âme. Son papa, mélomane, grand admirateur de Charlie Parker, était un féru de Jazz et de musique classique. Elle ne se doutait sans doute pas du choc que lui ferait l’écoute de Lunatic, le cinquième album de Booba, sorti en 2010. Ici, Le Duc laissait entrevoir, à travers la nostalgie de sa pochette renvoyant au bon temps où il formait avec Ali le duo le plus prometteur de l’hexagone, mais aussi à travers certains thèmes de l’album, quelques similitudes avec ce qui avait fait grandir sa carrière, quand il n’était encore qu’un rookie aux crocs acérés. Le morceau « Comme Une Étoile » est à cet égard criant, même s’il est esthétiquement ancré dans la carrière « autotunée » du Duc de Boulbi, carrière largement commentée dans la sphère Rap en France. Les rappeurs doivent-ils chanter pour réussir ? Nul besoin de rouvrir ce débat ici.
La boite de Pandore ouverte, l’auteure se laisse séduire par la plume du rappeur, et se met à étudier son oeuvre dans son ensemble. De l’époque Time Bomb à Nero Némésis, en passant par l’épopée Lunatic ou encore le doux temps des featurings remplis de testostérone avec Kaaris. Elle décode le langage ultra codé de B2O, capte le véritable sens de ses lyrics, ses classiques. Désir de revanche sur la vie, elle lui trouve même une certaine mélancolie. Bref, tout y passe. Elle rentre ensuite dans un travail de documentation sur le personnage, son histoire, ses réelles motivations, ce qui lui a permis d’en arriver là. Un vrai travail universitaire. Un chemin de croix qui la mènera à ce postulat : si Booba a la couleur de la victime, elle en a le sexe. L’écriture de ce bouquin, Ma Chatte, Lettre à Booba, n’est que la théorisation littéraire de cette posture. Mais, comme on le verra par la suite, l’idée qu’une femme blanche, parisienne, prenne pour exemple un noir comme Booba comme sujet d’un ouvrage ne plait pas à tout le monde. France, 2016.
Les éléments perturbateurs
L’histoire ne pouvait décemment pas être aussi belle. La belle qui rencontre la bête. La blanche qui rencontre le noir. La parisienne qui rencontre le banlieusard. Bref, les banalités de ce genre sont légion. Mais, dans un roman, il y a toujours des éléments perturbateurs. Ici, ce sont des obstacles. Car des obstacles, pour mener à terme ce projet qui, dans le fond, suit une certaine continuité, Marie Debray en a eu. Ses « alliées » féministes, bien sûr, n’ont pas compris la démarche. On s’imagine bien pourquoi. Certains de ses amis non plus. Et surtout, face au mépris des maisons d’éditions, ce livre a été édité à compte d’auteur. C’est comme si un rappeur sortait aujourd’hui un disque en maison de distribution.
On peut être ou ne pas être en accord avec le postulat du livre. Le débat n’est pas là. Dans ce beau pays qu’est la France, Booba est affublé de beaucoup de tares. On le dit, au choix, matérialiste, faisant l’apologie de l’argent facile, misogyne. Quoiqu’on en dise, à tout juste 40 ans, il est encore pertinent musicalement (ce qui est loin d’être le cas de certains de ses compères), alors que sa carrière s’étale sur deux décennies. Sa marque Streetwear, enfin, la marque dont il est actionnaire, Unküt, cartonne chez les jeunes. Il vient de lancer son propre parfum. Il a aussi créé un média, OKLM, où on peut trouver des jeunes talents mis en avant. Luxe dont il n’a pu bénéficier à ses débuts. Businessman averti, il est en définitive le stéréotype du banlieusard qui a réussi à s’extirper de son ghetto. Et il le montre. Parfois à outrance. Bien sûr, un personnage comme le sien, qui a toujours refusé l’étiquette du rappeur politisé, dérange la bien-pensance. Surtout que, contrairement à beaucoup, Booba n’a jamais caché ses attraits communautaires. Il les revendique. Les assume. Il a même dit, pour Les Inrocks : « Dans la jungle, chacun vit séparé, mais au final, tout le monde se retrouve autour du même point d’eau ».
En partant de cette franchise, Marie Debray a trouvé des similitudes entre le combat de Kopp et le sien. Loin des féministes castratrices qui pullulent aujourd’hui, mais plus proche d’un courant du féminisme ayant pour vertu l’expansion de la femme dans son ensemble pour elle. Loin de ce qu’il appelle péjorativement les « nègres de maisons », mais pour la réalisation de la communauté noire (et des banlieusards de surcroît) en France, en Afrique, et, plus généralement, dans le monde, pour lui.
Se rapprochant de Booba, elle en vient à cette conclusion qu’on peut discuter : les femmes et les noirs ont un ennemi commun, il s’agit du patriarcat blanc. Aussi, l’auteure a pu relever que le style tout en « métagores » (métaphores + gore) du rappeur originaire de Boulogne recelait son lot de vérités, et que des questions méritaient tout de même d’êtres posées. “Je les baise comme des chiennes, à chaque fois elles reviennent”, clamait B2oba dans “Saddam Hauts-De-Seine”.
Le livre Ma Chatte, Lettre à Booba est disponible sur le site de Marie Debray. On peut aussi le commander en librairie. Retrouvez l’auteure sur les réseaux sociaux Twitter, ainsi que sur la page Facebook du livre.
Crédit photos : François Damville.