Difficile de s’accaparer le rap de Quelle Chris lorsqu’on découvre cette linéarité flowlistique à la limite du slam, complétée par une voix nasillarde presque désagréable au bout de dix pistes gobées d’une traite. Mais une habilité lyricale se fait vite sentir pour un anglophone. Quant à ceux n’étant pas familiers avec ce lexique, ils peuvent facilement négliger la force insufflée dans ses œuvres. Actif depuis 2011, il nous offre ses expérimentations dans de multiples projets comme Being you is great, i wish I could be you more often, s’adressant à un public underground recherchant des samples diggés dans des vinyls stores oubliés. Remplis de cynisme et d’humour noir, ses concepts méritent d’avoir plus d’attention. Encore faut-il comprendre ses métaphores loufoques et ses références inconnues.
Vendredi 29 mars est sorti l’album Guns où Chris dépeint un univers axé sur les armes au sens large, et leurs conséquences physiques et mentales sur la société américaine. Il suffit de voir la pochette qu’il nous propose, où s’affiche son visage, parsemé de balles aux tailles variées tout autour de lui ainsi que dans les orifices de son faciès. Un indicateur concernant le ton humoristique du projet venu saupoudrer les sujets sociétaux traités tout du long.
Après quelques recherches et un petit décryptage, vous allez pouvoir mieux comprendre les questions soulevées par le rappeur. Si les productions qu’il exécute sont fournies en détails et garantissent une écoute moins sèche que ses œuvres précédentes, ici, seuls les textes seront mis en valeur, vous laissant alors vous faire votre propre avis sur l’intention du bonhomme.
« Les pistolets ne tuent pas des gens, des gens tuent des gens ». Une phrase que l’on a déjà pu apercevoir de nombreuses fois en réponse aux protestations contre le port d’arme en Amérique et qui servit de slogan à la National Rifle Association, association militant en faveur de la cause, et qui aboutira à des débats houleux sur la légitimité de son existence. Au regard des violences de plus en plus fréquentes, une remise en cause émerge. L’outil est-t-il une menace avant de se trouver entre les mains d’un homme ? Dans quelle situation est-il bon d’avoir un pistolet sur soi ? Ou bien est-il mauvais de nature?
Pour mieux y répondre, Quelle Chris veut diviser le mot Guns en deux sens distincts : l’arme physique et l’arme mentale. Sous des points de vue divers, il incorpore l’arme au sein du texte, que ce soit de manière explicite ou implicite. L’arme, au sens large, se déploie sous la forme d’un arsenal infini, car il représente aussi bien les mots prononcés, les réactions émotionnelles, les comportements physiques ou encore les croyances inculquées. Tout cela entraîne des conséquences qui ont le pouvoir de blesser l’être humain. Aussi, remettre en doute notre environnement et sa faculté à nous modeler vient s’ajouter à la problématique.
Et dès l’introduction, Chris arrive avec simplicité, sans mâcher ses mots. Il recharge et tire. Le geste est grossier mais a le mérite de nous prévenir avec franchise. Le plus marquant réside dans les lignes suivantes où il définit l’ennui comme provocateur du besoin de frénésie. Une chose qui se perpétue de génération en génération, faisant baigner une catégorie d’Américains parmi les canons brûlants. Très jeune, on leur inculque le maniement de l’objet et tous ses biens-faits. Un culte va s’établir, construisant une communauté autour de celui-ci. Face à nous se dresse un sujet vaste fait de multiples facteurs entraînant des conséquences à plusieurs niveaux.
Un paradoxe est relevé par Chris : celui de la sécurité se mêlant à l’insécurité. Car si le port d’arme a pour but d’instaurer un climat d’apaisement, sa présence pose de nombreux problèmes sur le plan moral, sur la légitimité du shooter ou savoir qui est réellement la victime. Dans le titre « Guns », une situation est décrite. Celle où votre gentil voisin souhaite protéger le quartier contre tout événement pouvant être nuisible. Mais si l’un des habitants se voit contraint de faire de quelconques actions atteignant la tranquillité des autres, il deviendra la cible. Lui qui, pourtant, devait être protégé par l’homme qui se tient droit devant lui, un glock entre ses doigts. Et cela est montré intelligemment dans « Straight Shot ». Car straight, au figuré, montre quelqu’un de réglo, qui n’a rien à se reprocher, se pliant à la loi. Littéralement, c’est une autre histoire. Et dans le refrain, le rappeur nous rappelle qu’il suffit d’un coup de feu, droit, direct, efficace, straight donc. Deux expressions avec une forme similaire mais un fond si opposé.
Pour rester dans ce qu’il y a de plus physique, le gilet par balle qui garantit la protection du corps est utilisé sous forme de métaphore.
No days is bullet proof.
Une ligne courte nous montrant que vivre en Amérique, où les balles circulent tous les jours, n’apporte aucune sérénité, installant une peur permanente. Le but initial de l’arme se transforme en crainte. La joie du tireur, trop immature pour actionner le cran d’arrêt, propage la terreur. De plus, la banalisation des pluies de sang se fait ressentir, avec la mise en place d’un cycle dévastateur où l’on ne sait plus la raison qui pousse les gens à se mutilent.
Pour raser large dans les thématiques, Chris n’hésite pas à jouer des personnages épousant un cadre de vie hétérogène. Dans « Mind Ya Bidness », il se met dans la peau d’un G, guidé par l’ultra-violence. Dicté par un ego-trip aux références inhabituelles recouvertes par la caricature, le rappeur nous déclare à quel point l’on revendique le meurtre à outrance. Et le sampling concluant le morceau illustre parfaitement le propos. En effet, durant les élections présidentielles, M. Trump déclare pouvoir se tenir au milieu de la 5ème Avenue et tirer sur quelqu’un sans perdre (de votes). Cette allégorie pour illustrer le concept de la perte sous un vaste éventail de significations. C’est-à-dire juridiquement, car les conséquences sont minimisées, mais surtout car l’Américain n’est plus touché par le petit meurtre, ses émotions ne seront en aucun cas bousculées.
N’oublions pas, toutefois, les lois éthiques qui encadrent l’homme. Des lois qui ne sont régies par aucun avis objectif, entraînant des concepts arriérés qui domineront les pensées collectives. Pour exemple, le discours placé au début du morceau, et dont les sources me sont inconnues, semble représenter un débat télévisé issu d’une époque, je l’espère, la plus lointaine possible. Car lorsque l’invité s’exprime, il décrète que tant que Dieu sera « blanc », les white people seront supérieurs aux autres « races ». L’idée est aussi claire que scandaleuse. Et c’est donc sous le sobre titre « It’s The Law » que le rappeur explore le racisme via la religion.
Pour contrer le speech, il le détournera avec humour :
It’s the law nigga
It’s for you, it’s for me
It’s for all niggas
If God made the law
You should follow it
Just like God made this dick
You can swallow it”.
La ségrégation est aussi évoquée, en rappelant les conditions de vie infligées aux Noirs pendant des siècles. Entre la cale des bateaux durant la déportation, aux sièges disposés au fond du bus. Et difficile de dire si leur condition est devenue l’égale de celle des « Blancs ». Pour autant, ce dont on est certains, c’est que la route a été longue et tumultueuse, et qu’elle n’est probablement pas finie.
Il va aussi vouloir se positionner de l’autre côté de la barrière en dénonçant les comportements des gangs en matière de violence, aveuglés par la rage permanente qui les anime. Mais quelque soit la chose qu’ils ont à prouver aux autres et à eux-mêmes, le plat reste identique pour tout le monde : l’extinction sous un repos éternel.
Après ce triste tableau que Chris nous dépeint, rien ne semble bon à retenir, l’être humain étant devenu irrécupérable. Pourtant, les trois morceaux qui concluent le projet apportent leur lot de consolation. A commencer avec « Obamacare », un argot pour parler du système d’aide à la santé et où Chris évoque cette protection pour la comparer aux biens-faits de sa musique et de ses mots, prenant la forme d’une arme venue élever la conscience collective.
De manière plus parlante nous avons le droit à une ode à l’amour lorsqu’il parle de sa relation amoureuse avec Jean Grae dans « You, Me & Nobody else ». Ensemble, ils constituent un duo permettant de lutter contre les difficultés du monde. Puis la créativité prend part à leur mode de vie grâce à leurs travaux communs notamment sur un album tout entier.
Pour en finir, parlons à nouveau de la mort. Car, à raison d’y passer tous un jour, nous avons le choix de laisser une trace plus ou moins importante sur cette terre. Une angoisse que le rappeur traine avec lui depuis longtemps mais qu’il tente d’apaiser d’année en année. La boucle est bouclée avec le morceau « W.Y.R.M. » En effet, tout ce discours qu’il nous a tenu sur 13 pistes prend la forme d’une arme compacte pour dénoncer tout ce qu’il considère comme néfaste.
L’envie me vient alors de conclure ces idées sous une même phrase raisonnée :
AK Bless the USA
Cette chronique est une contribution libre d’Axel Bodin que nous avons choisi de publier sur BACKPACKERZ. Si vous aussi voulez tenter d’être publié sur BACKPACKERZ, n’hésitez pas à nous envoyer vos articles via notre page de contact.
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