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Pourquoi ‘Madvillainy’ est le meilleur album des années 2000

Une collaboration hasardeuse

Hackthoo’ing songs lit, in the booth, with the best host
Doing bong hits, on the roof, in the west coast

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’idée de cet album commun n’est pas née directement des deux premiers intéressés. Au début des années 2000, alors que les grandes maisons de disques commencent à s’imposer dans le milieu du rap, le label Stones Throw cherche un moyen de se relancer grâce à Madlib, désormais totalement pris par son jazz band Yesterdays New Quintet (dont il est l’unique musicien), en lui redonnant de l’intérêt pour la musique hip hop. Lorsque les managers du label lui demandent avec qui il rêverait de collaborer, Otis Jackson évoque deux noms : J Dilla (avec qui il sortira l’album Jaylib en 2003), et MF DOOM. Ce dernier n’avait jamais entendu parler de Stones Throw ni de Madlib. Il accepta néanmoins ce qui était originellement un contrat pour rapper sur trois morceaux produits par le beatmaker. Lorsqu’il arrive aux bureaux que Stones Throw avait loué à Los Angeles (qui était en fait une maison équipée d’un abris anti-atomique), les deux collaborateurs en devenir commencent à composer, sur fond d’hydroponique et de beats entraînants. Une sorte d’alchimie s’installe alors naturellement. MF DOOM confiera d’ailleurs plus tard : « Nous ne parlions que très peu. C’était plus une affaire de télépathie. Nous échangions à travers la musique. » Madlib compose environ une centaine d’instrumentaux en l’espace de quelques semaines.

Un album à contre courant

Don’t sign me I’m about to get a mil without em

Le début des années 2000 est marqué par le développement du rap mainstream tel qu’on le connaît aujourd’hui. En effet, depuis la bombe Chronic 2001 de Dr. Dre en 1999, les artistes recherchent des refrains accrocheurs et des mélodies entêtantes. Cette recette fera notamment le succès de 50 Cent (pour n’en citer qu’un parmi tant d’autres) sur son premier album Get Rich or Die Tryin’ parsemé de hits tels que « In Da Club », « P.I.M.P. » ou « Many Men ». C’est donc d’abord de ce point de vue que l’on peut dire qu’en 2004, Madvillainy débarque tel un ovni dans le paysage hip hop. On assiste sur ce projet à une déconstruction totale des codes de la musique rap de l’époque : vingt-deux morceaux sans un seul refrain, rappés de manière marginale sur des instrumentaux relativement minimalistes. Cette idée d’album à contre courant est d’ailleurs explicitée dès l’introduction à travers les différents samples qui la composent :

  • « they had no code of ethics » : en effet, les deux compères n’obéissent à aucune règle, et encore moins celles de la musique mainstream
  • « on the wrong side of the law » encore une fois cette idée de non respect des lois et des bases établies dans la musique est soulignée. Ce « mauvais côté de la loi » traduit aussi leur appartenance au hip hop underground, la face cachée de l’iceberg.

D’autre part, ce rejet de l’aspect grand public, Madlib et MF DOOM le portaient déjà en eux. Le premier avait rencontré un échec en voulant signer son groupe Lootpack sur des labels, et le second s’était éloigné plusieurs années de la scène rap après le décès de son frère, avant de revenir caché derrière un masque, symbolisant son rejet du système commercial et de l’idolâtrie des artistes.

 Le maître de cérémonie

Left back now-schooler tryin’ to sound cooler
On the microphone known as the crown ruler

Déjà reconnu par beaucoup pour ses grandes qualités au micro, Daniel Dumile (alias Zev Luv X, alias Viktor Vaughn, alias King Geedorah, alias MF DOOM) développe ce qu’on pourrait appeler un « rap abstrait ». De prime abord ses textes n’ont pas beaucoup de sens, mais c’est ce qui en fait la force. Effectivement, tout l’intérêt des propos développés sur Madvillainy (ainsi que dans les autres projets du rappeur masqué) est contenu dans les jeux de mots, le réemploi d’expressions idiomatiques, de dictons, et l’aspect comique de certains vers. Bien qu’il soit « anti-mainstream » ne vous attendez pas à trouver dans cet album des dénonciations sur la faim dans le monde, la violence ou les méfaits de la drogue. On y retrouve d’ailleurs quelques éléments « classiques » du rap, tel que des passages d’ego trip, la promotion de la « weed » (« America’s Most Blunted »), et la chanson d’amour à propos d’une rupture (« Fancy Clown »). Vous entendez bien des morceaux qui vous parlent de « money, weed and bitches », mais de la manière la plus poétique possible. Car de la poésie c’est bien ce que vous trouvez dans cette œuvre. Des rimes riches, recherchées, et construites de manière complexe, à une période où les rappeurs ont tendance à se reposer plus sur des beats accrocheurs plutôt qu’à travailler la forme des textes :

Then it’s last down, seven alligator seven, at the gates of heaven
Knocking, no answer, slow dancer, hopeless romancer, dopest flow stanzas

Meat Grinder

L’autre particularité de cet album est la quasi-totale absence de featurings. DOOM s’impose ici en maître de cérémonie incontestable, capable de captiver une audience sur quinze pistes (cinq morceaux instrumentaux et deux morceaux dont il est absent parmi les vingt-deux). Encore quelque chose de relativement rare au début des années 2000, où de nombreux rappeurs cherchent à inviter leurs pairs sur les albums. Ici, seulement quatre patronymes viennent s’ajouter à la tracklist : M.E.D., Wildchild, Quasimoto et Viktor Vaughn (les deux derniers étant en fait des alter-ego de Madlib et MF DOOM). A travers cette omniprésence, Daniel Dumile s’impose donc vraiment comme  « the best MC with no chain you ever heard ».

 

Le minimalisme au service de la créativité

Mad plays the bass like the race card

Il est facile de se laisser aller à quelques pas de danse en écoutant « P.I.M.P. » de 50 Cent, de garder la mélodie de « Still D.R.E. » en tête une journée entière. Vous aurez en revanche toutes les peines du monde à essayer de faire bouger quelqu’un en lui faisant écouter « Meat Grinder ou All Caps ». Les instrumentaux de cet album, Otis Jackson en a composé certains avec les outils les plus simplistes : un sampler SP-303 et une platine (c’est le cas pour Strange Ways, Raid et Rhinestone Cowboy). En effet sur Madvillainy les beats sont lancinants, et paraissent relativement minimalistes. Des boucles plutôt courtes pour la plupart, répétant un sample rarement très mélodieux ou très entêtant comme sur « Accordion ». Encore une fois, ces compositions, très originales pour le début des années 2000, participent à la destruction d’une base établie dans le rap depuis quelques années qui a tendance à attirer l’attention de l’auditeur sur l’instrumental en priorité. C’est bien là que Madlib et MF DOOM reviennent alors à l’essence même du hip hop : un MC qui dompte les beats, se les approprie afin de débiter parfaitement ses rimes. Néanmoins, on ne peut pas dire que le côté musical, instrumental de l’album soit complètement laissé de côté. Madlib exprime d’ailleurs toute sa créativité sur des morceaux instrumentaux (« Sickfit », « Do Not Fire ! », « Eye », « Supervillain Theme ») ainsi que sur les introductions de certains morceaux.

Le mythe

You heard it on the radio, tape it
Play it in your stereo, your crew’ll go apeshit

Toutes ces particularités font de Madvillainy un album hors du commun qui a marqué le monde du hip hop. Pourtant, ce succès et cette interrogation du public sur ce qui semble être un projet indéfinissable n’est pas vraiment une surprise car ils sont visiblement établis dès l’introduction. Cette collaboration fondamentale (« seminal connection ») allait bousculer le rap mainstream (« strike terror into the hearts of men ») et susciter une certaine euphorie chez les auditeurs (« shock women into uncontrolled hysteria »). Mais l’album ne tombera jamais dans l’oubli, car dans n’importe quelle histoire, n’importe quel film, ce sont bien les méchants, ces « supervillains », qui marquent notre esprit et restent à jamais ancrés dans nos têtes.

It’s made of fine chrome alloy

Find him on the grind, he’s the rhinestone cowboy

En attendant Madvillainy 2

Sébastien Laurent

Voue un culte à MF DOOM. S'intéresse au rap des bas-fonds, celui dont on ne parle pas assez. Un soupçon de technique dans l'écriture et un beat sombre font son bonheur.

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