« Être le meilleur du monde, c’est le 6ème objectif. Le 7ème, devenir un objectif dans un monde meilleur ». C’est avec cette devise en tête que Smeels, plein d’assurance et d’ambition, tente d’écrire son aventure artistique. « Jeune, ambitieux, parfois vicieux », mais toujours consciencieux, le rappeur bordelais continue de consolider une discographie qu’il construit maintenant depuis des années. Entre piqûres de rappel de ses valeurs, positivité et abnégation, Smeels s’est livré sur les quelques clés de compréhension de son dernier projet Par amour et pour le geste.
Ton projet Par Amour et Pour le Geste vient de sortir. Comment te sens-tu ?
Concernant les retours, je suis hyper content et maintenant que c’est sorti, je suis hyper soulagé. Je me dis « enfin! ». C’est un projet qu’on travaille depuis un an environ.
Chronologiquement, cet album s’est-il fait avant ou après Very Bad Drip ?
Cet album s’est fait après l’EP. Je me disais qu’il était trop tôt pour l’envoyer et qu’il fallait que je crée une « pseudo » vibe juste avant. Il fallait que je poste du contenu pour préparer cette sortie.
Et pourquoi avoir choisi de le sortir par surprise ?
Pour que les gens soient surpris ! (rires) Non plus sérieusement, c’est parce que je ne pensais pas que les gens m’attendaient sur ce genre de contenu. La vibe n’est pas du tout la même que sur PAEPLG.
C’est plus incisif.
Ouais ! Et puis c’est plus facile, les rimes sont plus faciles, les prods sont plus actuelles. Du coup, je n’ai pas fait beaucoup de promo, j’ai juste balancé l’EP comme ça. Je ne savais même pas si ça allait plaire, j’avais juste envie de le balancer et de voir. Je sais qu’il y a une audience pour ce genre de musique, je me suis juste dit que j’allais faire un truc que je kiffe. J’écoute beaucoup de rap cainri et dans cette scène, c’est beaucoup de vibe, de drip, d’ego-trip assumé du début jusqu’à la fin.
C’est vrai que cela tranche par rapport à ton univers qui a toujours été très coloré. Pour celui-ci, même les clips sont en noir et blanc. Était-ce une vraie volonté de sortir de ta ligne habituelle ?
Ouai c’est ça, c’était en mode : « C’est comme ça et pas autrement, tenez, bonne écoute ». Je me suis pas cassé la tête à me dire qu’il fallait impérativement ramener des couleurs, je savais qu’elles allaient venir après avec PAEPLG. Je savais déjà que j’allais nuancer ce noir et blanc avec le projet suivant.
Pour rester dans le visuel, tes covers ont toujours été très fournies avec beaucoup d’éléments et de couleurs. Pour PAEPLG, c’est quelque chose de plus sobre avec cette photo épurée. Comment s’est fait ce choix ?
C’est parce qu’en fait, on était avec l’équipe et que cela mettait trop de temps de faire une prod, chercher une direction artistique sur une prod, mettre un truc là, un autre truc là bas… J’ai dit : « Ecoutez moi, je suis un mec simple de base, donc venez, on fait une cover simple ».
Était-ce aussi pour symboliser le vrai retour de Smeels ?
C’est ça ! C’est le retour, sans filtre, simple, chemise et débardeur, pas d’artifices. J’ai ma chaîne que j’ai depuis des années, rien de ouf. C’était pour dire : « Tout ce que vous avez besoin de savoir se trouve dans le projet ».
J’aimerais que tu m’expliques la raison de ce titre : Par Amour et Pour le Geste.
C’est vraiment la manière dont le projet a été fait. J’ai vraiment voulu rendre tout le love que je reçois des gens qui m’entourent, qui me suivent et me soutiennent. C’est assez fou cette sensation de se dire que certains t’aiment même sans vraiment te connaître. « Pour le geste », c’est vraiment l’idée de matérialiser le projet que j’offre aux gens qui me soutiennent.
J’ai vu dans ton interview chez « Le Code » que tu as commencé par la poésie, puis le dessin avant de faire de la musique. On sent que chez toi, ça a toujours été important de trouver un moyen de s’exprimer.
Quand j’étais plus jeune, j’était bien plus introverti que maintenant donc c’est un peu ma « pseudo » revanche personnelle. Je te dis ça, tu me prends un peu pour le gosse timide qui peut tirer sur tout le monde aux États-Unis mais c’est du tout ce délire ! (rires) En vrai, quand j’étais petit, je n’avais pas forcément l’occasion ni même les mots pour bien pouvoir m’exprimer. J’appréhendais toujours le fait de soit être complètement hors sujet, soit de dire un truc qui n’intéresse pas du tout les gens…
C’était plus une question de complexes que de vraie timidité.
Oui je pense que c’est ça ! J’ai eu une belle enfance, hein, attention ! Mais s’agissant de bien pouvoir m’exprimer, je n’avais pas forcément le vocabulaire que j’ai aujourd’hui pour défendre mes idées et de dire : « Je veux en finir là parce que ci, parce que ça ». Maintenant je peux le faire, grâce à la musique et aux écrits que j’ai fait au préalable.
Tu parlais de ta timidité et justement, dans ta musique, il y a beaucoup d’attitude et de prestance. La musique est-elle un moyen de combattre cette timidité ou est-elle plutôt le reflet de ce que tu es devenu ?
Non c’est vraiment comme ça que je suis dans la vraie vie ! Ce n’est pas une carapace, c’est mon nouveau moi, j’assume ! On me pose telle ou telle question sur un lyrics, j’assume. C’est pas « je fais de la musique dans ma chambre et après je me cache quand on me demande d’expliquer ce que je veux dire dans mes textes ». J’assume entièrement ce que je dis et qui je suis car aujourd’hui je sais qui je suis.
Cet aspect sincère, on le retrouve aussi quand tu expliques pourquoi tu as commencé la musique. Tu as l’honnêteté de dire que c’est parce que c’était la mode. Tu ne crées pas de storytelling bateau.
Mec c’était la tendance, c’est tout ! Je n’invente pas d’histoire, rien à foutre ! (rires) Ma daronne elle s’en fout de la musique, mon daron pareil, c’est juste que j’étais dans la cour, je dis : « Bon, ça dit quoi en ce moment ? ». Quelqu’un me dit que son frère fait de la musique et ça me donne envie d’essayer. C’est comme ça que ça part. Après on m’a persuadé que j’étais bon et c’est l’unique raison pour laquelle je suis là. Si on m’avait dis que j’étais mauvais, j’aurais arrêté la musique parce que c’était une sombre époque de ma vie où j’écoutais encore les gens qui me donnaient leur avis. Attention, j’écoute toujours les avis quand c’est justifié bien sûr ! « C’est bien », « c’est nul », ça ne m’intéresse pas ça.
Ton discours me fait penser à une interview de Masego que j’avais faite où, à la question de quel était son instrument préféré , il nous avait répondu : « Le saxophone parce que c’est ce qui plaît le plus aux femmes ».
Mais clairement, faut juste être honnête. Tu peux pas faire de la musique vraie et venir mentir en interview. Il faut que tu respectes qui tu es et cela passe par l’honnêteté.
Dans ton précèdent EP, il y avait le morceau « Stop Hating Young Black CEO ». Tu as l’impression qu’en tant qu’artiste noir, tu as constamment besoin de légitimer ton succès?
Ouais, fort ! T’es obligé parce que quand un noir réussit, il va être obligé de prouver qu’il a bossé dur pour réussir. Il peut pas juste dire qu’il a des facilités dans tel ou tel domaine, qu’il a des facilités à s’assimiler avec tel ou tel groupe. Derrière, il va être obligé de dire : « J’ai réussi parce qu’il y a tant d’années de travail ou d’études ou quoi que ce soit ». Dans le cas inverse, j’ai l’impression qu’on va juste applaudir le travail. C’est un truc que je constate et que je n’approuve pas.
Sur ce projet, il y a le morceau « Real Nword ». Pourquoi prends-tu une distance dans le titre avec ce mot que tu prononces pourtant dans tes textes?
C’est vraiment pour que, pendant les interviews, tu ne sois obligé de te censurer quand tu veux me parler d’un titre. En soit le titre on s’en fout tu vois, si tu me cites une parole, je vais savoir de quoi tu parles. C’est vraiment pour les gens que j’ai fait ça. J’aurais très bien pu mettre le vrai n-word dans le titre et certains, sans faire gaffe, aurait pu le prononcer et se mettre dans l’embarras.
Et ça fait lien avec le fait que ta musique ne soit pas forcément très engagée, mais que simplement, à travers les titres, tu démontres que derrière les vibes que tu transmets, tu défends des valeurs fortes.
C’est ça ! Je ne suis pas là pour faire de la politiques parce que c’est long et chiant, ça n’intéresse personne en vrai. Moi ma vision, c’est que quand t’écoutes de la musique, tu n’as pas envie qu’on te parle de ça, sinon tu vas regarder CNews. Pour moi, quand t’écoutes de la musique, tu es avant tout là pour vider ton esprit, kiffer l’ambiance etc. Mais c’est toujours bien une piqûre de rappel pour rappeler qui je suis et quelles sont mes valeurs.
Tu parlais de musique pour créer une vibe. On sent que ta musique est une vraie porte ouverte à ceux qui ont envie de sortir la tête de ce marasme politique et social.
On traverse des périodes qui sont déjà très difficiles, tous, encore plus aujourd’hui avec tout ce contexte particulier. Je pense que ça fait du bien aux gens de sentir que l’herbe est plus verte quelque part, et d’essayer de leur montrer le chemin pour y aller. J’espère que quand ils sont seuls chez eux et qu’ils écoutent mes sons, cela leur remonte le moral et leur donne un peu d’espoir. Si moi j’ai ce pouvoir là, je suis le plus heureux du monde. Je suis déjà heureux quand je produis, mais la personne qui est heureuse quand elle écoute, c’est un autre niveau d’accomplissement pour moi et ça veut dire que j’aurais bien fait mon taff.
Tu as l’impression que c’est une responsabilité pour les artistes en général ?
Je pense que c’est un truc obligatoire oui ! À mon avis, t’es obligé de penser à ton prochain quand tu fais de la musique. T’as pas envie de faire du son pour que le mec qui écoute ait envie de se foutre en l’air, t’as envie de lui partager des choses positives. La vibe que tu vas apporter et l’énergie, ça va être ingérer par la personne qui écoute et ça va forcément influencer son état d’esprit. Il faut penser à son prochain quand tu fais de la musique.
Entre 2016 et 2019, tu as été très productif avant de ralentir un peu la cadence ces derniers temps. Comment as-tu réorienté ta productivité ? C’est quelque chose de voulu ?
Ouai c’est voulu ! Parce que je pense que si tu te poses pas les bonnes questions, tu tombes vite dans la facilité et le déjà-vu. Genre : « J’ai déjà ça, ça a marché, je peux le refaire »… Combien de fois on m’a donné des « Broken 3« , des « Cachemire 6″… Si j’écoute ces avis là, je vais finir par m’enfermer parce que tout le monde n’écoute pas que « Cachemire ». Si t’écoutes les gens qui te demandent de refaire ce que tu faisais en 2018, t’es dans la merde. Si t’écoutes PAEPLG, il n’y a pas un son qui ressemble à ce que je faisais avant. C’est une prise de conscience qu’il faut absolument avoir pour avancer. Les artistes qui nous ennuient aujourd’hui, ce sont les artistes qui ne se renouvellent pas et qui répètent les mêmes recettes à l’infini.
C’est une réflexion pour laquelle tu dois mettre ton égo de côté aussi, parce qu’en changeant de direction artistique, tu t’exposes à ce que cela marche peut être moins.
Mais en tout cas, je pense qui si un artiste est fier de son art, c’est déjà un aboutissement. Les chiffres, ça compte que pour ton portefeuille et le loyer que t’as à payer. Pour ton aboutissement personnel, je pense que tu as plus besoin d’être fier de ton projet que du fait qu’il soit streamé à mort. Si à un moment, je fais de la drill et que ça pète, je vais avoir plein d’oseille, mais comme la drill ce n’est pas mon délire, je ne serai pas heureux.
Justement, tu as ce morceau « Jusqu’au Platinium » et je voulais savoir ce qui te motivait le plus dans l’obtention d’un disque de platine: l’argent, la reconnaissance ou l’accomplissement personnel?
C’est l’accomplissement mec ! Disque d’or c’est bien, mais platine c’est autre chose ! Nous on veut pas faire que « bien », on veut toujours faire mieux que ce qu’on a déjà fait. Quand on arrivera au platine, et je nous le souhaite, là on pourra s’asseoir et se dire: « Ok, on a réussi à créer quelque chose ».
Et une fois que t’as fait le platine, qu’est-ce que tu fais ? Parce que la réussite peut aussi effrayer. Je fais le parallèle avec la série Queen’s Gambit où une fois son but atteint, on sent dans son regard que quelque chose s’effondre.
C’est ça, parce que c’est l’aboutissement d’une aventure, c’est le résultat de tout les hauts et les bas par lesquels tu as pu passer. Du coup, tu arrives au moment où tu te dis : « Et maintenant ? », et la réponse c’est de se redéfinir un goal. Créer un nouvel objectif, c’est difficile. Mais c’est une réflexion impossible à préparer parce que sinon ça change complètement ta direction et tu te perds.
Sur le morceau « Everose », tu dis: « Tu sais que je suis plus le même depuis que j’ai rencontré l’oseille ». Pour toi, l’argent peut pervertir un discours et des valeurs ?
Tout dépend de ton état d’esprit et de ton éducation. Moi je cherche pas de l’oseille pour tout dépenser n’importe comment et vivre une vie rapide. Moi je fais de l’oseille parce qu’aujourd’hui, il y a des gens qui dépendent de moi. Attention j’ai pas d’enfants pour autant hein !
Mince, je pensais avoir une exclu…
Ahah non ! Je suis ma propre entreprise en fait. Si je me lève pas le matin, je vais peut être faire des streams, mais je ne vais pas gagner d’argent. Je pense aussi à nos parents qui vieillissent, qui sont fatigués et qui vont pas bosser indéfiniment. On a des petits frères qui veulent voir autre chose et on a de la famille au bled qu’on a aussi envie de faire kiffer. Si j’ai l’opportunité d’être sollicité pour mon travail et que ça permet ensuite de générer des revenus, je fonce, je le fais aussi pour les autres. J’ai la chance d’être encore jeune, de pouvoir essayer des trucs et d’avoir encore le droit de me casser la gueule. J’ai 23 ans, je peux me permettre d’avoir des échecs et de rebondir, j’ai le temps. Le but, c’est de construire quelque chose pour mettre tout les miens à l’abri.
Faire un album, c’est le prochain accomplissement pour toi ?
Carrément, c’est même obligatoire ! Combien, je sais pas encore. Mais là on est clairement parti dans cette optique là. Je le dis clairement, la prochaine étape, c’est l’album ! On sortira peut être des singles et des EP, mais le prochain long projet sera mon premier album.
Merci à l’agence Baltimore pour avoir organisé cette interview et pour leur accueil chaleureux accompagné d’une bière fraîche.
Merci également à Inès pour les superbes clichés qui ornent cet article.
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