1977, Beverly Hills, Californie. Nous sommes en plein essor du Hip-Hop alors qu’un jeune dénommé Alan Daniel Maman s’identifiera immédiatement à l’atmosphère urbaine et au message véhiculé par ce mouvement. Aujourd’hui référence des Hip-Hop heads assoiffés de beats, The Alchemist a pourtant débuté derrière le microphone avant de prendre le contrôle des machines et devenir l’un des producteurs les plus marquants de ces dernières années.
Pas de secret pour Alan : le rap, il est tombé dedans quand il était petit. Bien qu’il soit issue des quartiers riches et aisés de Beverly Hills, la culture street lui parle et c’est tout naturellement en rêvant de gold chains et lowriders sous le soleil de Los Angeles qu’il se lance et commence à écrire ses textes. Il fonde alors son propre groupe, The Whooliganz, à seulement 14 ans avec son pote Scott Caan, fils de l’acteur James Caan.
Les deux compères commencent à se bâtir une petite réputation et se produisent dans différentes soirées de LA. Un soir, ils tapent dans l’oeil de B-Real, alors présent, qui ne tardera pas à les inviter à rejoindre le crew The Soul Assassins alors composé d’House of Pain (Everlast, Danny boy, DJ Lethal) et Funkdoobiest (Son Doobie, DJ Ralph M, Tomahawk Funk).
The Whooliganz sort le morceau « Put Your Handz Up » en 1993 sous le célèbre label Tommy Boy Records, produit par DJ Lethal. L’occasion de découvrir un jeune Alchemist âgé seulement de 16 ans mais avec une assurance déjà certaine derrière le micro. Malheureusement, le titre ne décollera pas à la radio et l’album prévu sera brutalement annulé par le label.
Après cet échec, Scott Caan arrêtera le rap et s’adonnera à une autre de ses passions : le cinéma. Alan, quant à lui, tout mordu de hip-hop qu’il est profitera de sa connexion avec Cypress Hill pour se lier d’amitié avec DJ Muggs. Alan squattera donc le canapé de Muggs et recevra un enseignement poussé (utilisation du séquenceur, boîte à rythmes etc..) tout en consommant une quantité considérable d’aromates, dans l’unique but de stimuler la créativité des deux acolytes bien évidemment. Il participera pendant cette période à la co-production de plusieurs titres de Cypress Hill et continuera à monter en puissance. A la fin des années 1990, l’anciennement dénommé Mudfoot (son pseudonyme à LA), quitte le soleil de Los Angeles et part étudier à New York, des rêves et des drums pleins la tête.
Sa présence sur la côte Est lui permettra, toujours via Muggs, de rencontrer le légendaire duo Mobb Deep. Ils aiment les prods d’Alan et lui proposent alors de participer à leur album Murda Muzik. En résultera le titre « The Realest » en featuring avec Kool G Rap. Pendant son séjour new-yorkais, Alan garde toujours une oreille sur l’autre côte et, étant un grand ami d’enfance d’un certain Evidence, il signera en 1997 la production du titre « 3rd Degree » des Dilated Peoples. En temps de guerre Est/Ouest, il est intéressant de souligner qu’il réussira à briser les barrières et à produire pour les deux camps. Désormais crédible et respecté, son travail est entendu et reconnu. Il étendra donc tout naturellement sa palette de collaborations et travaillera avec les plus grands rappeurs pour des titres qui resteront marquants. On pense bien évidemment à « Book of Rhymes » de Nas, « Worst Comes To Worst » de Dilated Peoples ou encore « Surgical Gloves » de Raekwon.
Alors bien installé dans le jeu avec un bon nombre de productions au compteur, Alan décide de se lancer en solo et son premier album, 1st infantry, sort alors en 2004. Encore considéré comme son meilleur album solo aujourd’hui, The Alchemist reprend le micro pour délivrer un projet de 19 morceaux dont le titre « Hold You Down » réussira à se hisser dans les charts du Billboard (une première pour Alan en tant qu’artiste) et résonne encore aujourd’hui dans toutes les têtes. Accompagné de The Game, Nas, Prodigy, The LOX etc… il s’assure un démarrage solo des plus efficaces, qui l’amènera à sortir Chemical Warfare en 2009 et Russian Roulette en 2012.
Côté collaboration, Alan aime produire un projet de A à Z avec un artiste. Une façon de s’isoler avec lui et de créer un véritable univers, une thématique cohérente, là où parfois le mélange de plusieurs producteurs peut rendre l’ensemble hétérogène. Il sortira alors des albums collaboratifs successivement avec Prodigy, Fashawn, Curren$y, ChrisCo, Domo Genesis, Action Bronson, Evidence et bien sûr de multiples projets avec son grand ami Oh No (beatmaker et frère de Madlib) sous le nom de Gangrene.
Le succès d’Alchemist revient également à sa recette en termes de composition musicale. Il est peut-être l’un des producteurs les plus polyvalents de ces dernières années. Capable de créer des instrumentaux si sombres qu’il pourrait vous inciter à prendre une cagoule et braquer une bijouterie ou à l’inverse des prods ultra lumineuses sur des samples de soul respirant la Côte Ouest. Malgré les multiples mutations de style qu’a pu connaître Alan, on retrouvera en fil conducteur de son oeuvre un sample mis en boucle et finement découpé, couplé à des drums poussiéreuses tout droit sorties du garage. C’est simple, efficace et ça fait bouger la tête !
Mais, là où The Alchemist s’est crée un style inimitable, c’est dans sa façon de sélectionner ses samples, qui proviennent souvent du rock progressif et du rock psychédélique. Ses boucles de guitares, parfois d’organes, très sombres rendent les productions oppressantes et l’ajout de voix ou dialogues renforcent une atmosphère puant la rue, les bouches d’égouts fumantes et les cheminées des usines de banlieue. Exemple concret : l’EP en collaboration avec Curren$y The Carrollton Heist, où les morceaux, d’une noirceur sans nom, viennent se coupler au flow nonchalant de Curren$y pour une alchimie qui fonctionne parfaitement.
Cette polyvalence vient également principalement du fait que The Alchemist est un formidable digger. Là où certains producteurs se cantonnent à un seul registre et à des artistes précis (impossible de ne pas évoquer le « cas Apollo Brown« , Alan, lui, est en recherche perpétuelle de nouvelles sonorités pour renouveler son style. Il nous a d’ailleurs confié lors d’une interview aimer chercher l’inspiration dans différents endroits et acheter des disques partout où il va. C’est ainsi que des projets tels que Israeli Salad ont pu voir le jour, composé entièrement de samples provenant de galettes soigneusement sélectionnées lors d’un voyage en Israël.
En 2005, la carrière d’Alan prendra une autre dimension lorsqu’Eminem se sépare de DJ Green Lantern et doit trouver un remplaçant pour sa troisième tournée du Anger Management Tour. Paul Rosenberg (le manager d’Eminem) fut également l’avocat d’Alchemist à New York. Il le recommande donc au rappeur superstar et c’est ainsi qu’Alan devint le DJ attitré d’Eminem et l’accompagne désormais sur tous ces concerts. Plus récemment, après avoir collaboré avec Action Bronson sur Rare Chandeliers en 2012, Alan s’est vu proposer de l’accompagner également sur plusieurs tournées en guise de DJ et apparaît dans différents épisodes du show Fuck That’s Delicious.
Autre point marquant de la carrière d’Alchemist, sa collaboration de longue date avec Oh No. Les deux beatmakers s’entendent si bien qu’ils semblent avoir réussi à se créer un univers bien à eux, unique. Un son si sombre et sale qu’il n’est pas rare d’entendre même parler de « psyché-rap » pour le qualifier. Leurs différents projets reçoivent un bon accueil sur la scène underground et les amènent à se produire aux US et en Europe. Des sonorités tout droit tirées du rock psychédélique ou du jazz, planent sur ces différents projets, couplées à des drums tout aussi crados pour délivrer un son aussi sale que jouissif. Pleinement conscient de l’effet recherché lorsque l’on demande à Oh No un mot sur l’album You Disgust Me, il s’empresse de répondre « I hope it gives people scabies ». Littéralement : « j’espère qu’il filera la gale aux gens ». Le ton est donné.
Leurs clips ainsi que leurs covers sont tout aussi fascinants en se voulant souvent décalés, parfois répugnants. Même si selon The Alchemist, ils ne tirent pas d’énormes profits de ces projets, ils continuent de le faire dans le souci de « délivrer leur dose aux amateurs de ce style ». Bien loin du rap mainstream, Gangrene incarne la cave où tu détestes aller chercher un truc sans allumer la lumière mais où tu finis toujours par trouver quelque chose d’intéressant à chaque visite.
Leur art peut sans doute se placer dans une niche de style seulement apprécié par une poignée de connaisseurs mais les deux beatmakers se verront accorder de la reconnaissance lorsque Rockstar les contactera en 2013 pour réaliser la bande originale du prochain jeu Grand Theft Auto. Accompagné de Woody Jackson et Edgar Froese, ils composent pendant un an de nombreux morceaux mixant leurs styles respectifs. Ne pouvant tout proposer à la sortie du jeu, The Alchemist et Oh No décident alors d’appeler plusieurs rappeurs pour les morceaux restants. En résultera l’album Welcome to Los Santos. Un projet soigneusement concocté de 14 morceaux collant parfaitement à l’univers du jeu vidéo et invitant bon nombre de rappeurs proche du duo ALC x Oh No.
Pour conclure ce portrait, on apprécie que The Alchemist, rappeur déchu, se soit aujourd’hui hissé parmi les plus grands producteurs de sa génération. Chacun sait que le désormais très célèbre « A-A-A-A-A Alchemist » (son producer tag, enregistré grâce à la voix de Prodigy) est un gage de qualité lorsque démarre une instru. Légende indiscutable, auteur de nombreux classiques et fin connaisseur de la scène rap underground, il s’est ainsi récemment penché sur le cas de Westside Gunn et Conway, et s’est enfermé dans le labo avec eux et Daringer (producteur et dernier membre du trio de Buffalo). On ne peut qu’avoir hâte d’entendre le résultat de cette prometteuse collaboration qui sera sans aucun doute imprégnée du style unique du producteur californien.
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