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Prince Paul, alchimiste musical

Producteur de génie, artiste innovateur, Prince Paul a participé à l’élaboration de certains des plus grands classiques du hip-hop et a influencé plus d’une personne. Pourtant son nom apparaît rarement parmi les « top producteurs ». Retour sur la carrière d’un musicien frustré par l’industrie.

La passion avant tout

DJ depuis son plus jeune âge, Paul Huston a toujours fait de la musique par passion plus que par réelle envie de se faire un nom dans le milieu. En 1986 (âgé de 19 ans), il sort son premier album au sein du groupe Stetsasonic. C’est d’ailleurs à travers cette collaboration et notamment sous l’aile du producteur du groupe Daddy-O que le jeune Prince Paul apprendra à concevoir un morceau, à le mixer, et découvrira également l’aspect « business » de l’industrie musicale.

En 1988, peu de temps après avoir sorti un deuxième album avec Stetsasonic, Paul croise la route du trio De La Soul. Cette rencontre le propulsera parmi les plus grands beatmakers de l’époque. Encore une fois, tout a été une histoire de passion avant d’être une histoire d’argent. C’est le respect et l’appréciation du travail des uns envers les autres qui ont fait naître cette « union ». De La Soul offre à Prince Paul une liberté qui n’existait plus au sein de Stetsasonic et qui lui a permis de créer à sa façon et selon ses envies. Telle était la mentalité du trio (ou plutôt du quator). C’est ce qui apportera ce vent de fraîcheur au premier opus des trois compères. Le beatmaker/DJ de Long Island co-produira les trois premiers albums de De La Soul (3 Feet High & Rising, De La Soul Is Dead et Bulhoone Mindstate), qui feront la renommée du groupe.

Pourtant, cet engouement autour des productions de Prince Paul s’est rapidement envolé. Au début des années 90, le producteur est considéré comme dépassé, plus dans l’air du temps. Ces critiques plongent Paul dans une dépression, période sombre qui donnera naissance à un autre très grand album. Déterminé à faire taire les mauvaises langues, balancé entre une haine envers les critiques et une volonté, une passion de créer, Prince Paul rassemble trois rappeurs frustrés par l’industrie musicale afin qu’ils extériorisent leur haine au microphone. Ainsi, RZA, Poetic et Frukwan (ancien membre de Stetsasonic) se rejoignent chez l’instigateur du projet qui leur fait écouter quelques démos qu’il a composé avec toute sa détermination. L’univers très sombre et lugubre des productions inspirent rapidement les MC’s et RZA trouve le nom de Gravediggaz (Les Fossoyeurs) pour le groupe.

L’innovation comme leitmotiv

Le travail de Prince Paul a eu un grand impact sur le milieu hip-hop car il a toujours cherché à innover. Les albums avec De La Soul ont apporté une grande fraîcheur dans le rap de la fin des années 80. Alors que la plupart des artistes posent sur des instrumentaux assez simplistes où les drums prédominent, 3 Feet High & Rising propose, grâce à une utilisation savante du sampling, une ambiance groovy couplée à un rap très posé qui va à l’encontre des morceaux très nerveux de groupes comme Public Enemy ou encore N.W.A. On pense notamment à des titres comme « Me, Myself & I », « Eye Know » ou encore « Plug Tunin ».

Pour ce qui est de Gravediggaz, le groupe est considéré comme les pionniers du genre Horrorcore avec leur premier album 6 Feet Deep, sorti en 1994. Néanmoins, les productions de Prince Paul ont très certainement influencé RZA avant 1994. En effet, l’album a été enregistré en 1991 bien avant que le Wu-Tang Clan n’enregistre le célèbre « Protect Ya Neck ». Pendant cette période, RZA a beaucoup appris de Prince Paul en matière de production et de sampling. Il s’est d’ailleurs probablement inspiré de leur collaboration pour le côté très dark de l’album Enter The Wu-Tang : 36 Chambers. Prince Paul serait-il en fait un 10ème membre du Wu-Tang ?

Finalement le premier opus de Gravediggaz ne verra le jour que trois ans après son enregistrement en raison du manque d’intérêt des labels qui n’appréciaient pas le côté grimy de l’album et les sujets traités (la mort, le suicide, la torture, la mutilation). Ce n’est qu’après le succès du premier album du Wu-Tang Clan et de RZA que les maisons de disque accepteront de sortir 6 Feet Deep.

Gravediggaz – « The House That Hatred Built »

Peu de temps après, Prince Paul a croisé la route d’un autre génie créatif : Dan The Automator. Ce dernier ayant la même volonté de créer une musique inédite (comme il venait de le faire avec Kool Keith sur Dr Octagonecologyst ou sur l’album Deltron 3030 entouré de Del the Funky Homosapien et Kid Koala), il propose à Paul de créer un groupe et leur trouve un contrat dans une maison de disque. C’est ainsi que le premier projet du groupe Handsome Boy Modeling School naît. Les deux compères donnent vie à un projet hybride, composé de morceaux aux beats très variés et plutôt avant-gardistes à l’époque. L’album laisse transparaître une réelle alchimie entre Dan et Paul et pourtant d’après ce dernier, la conception de cet opus était avant tout « pour le fun ». Malheureusement, après un deuxième LP en 2004 (White People), Paul se retire du duo en raison d’une mésentente avec Dan The Automator,

En fin de compte, Prince Paul s’est peu à peu écarté des critiques pour faire la musique qu’il souhaitait, même si celle-ci allait à l’encontre de toute convention ou ne plaisait pas à certains. Il a toujours cherché à apporter des nouveautés, à expérimenter, bien que sa créativité sans limite se soit parfois heurtée à la rigidité des maisons de disque. Son influence sur le milieu de la production est donc immense puisqu’elle touche toutes les époques et un grand nombre de variantes du hip-hop.

Beatmaker et scénariste

Dans sa volonté d’innover, Prince Paul a utilisé le « genre » des concepts albums pour proposer quelque chose d’inédit. Après un premier album Psychoanalysis : What Is It (1996) qui établit une sorte d’auto-psychanalyse de Prince Paul à travers la musique, il sort en 1999 A Prince Among Thieves. L’album pousse le storytelling à son maximum jusqu’à devenir un véritable livre audio. Au fil des morceaux et des interludes, on suit le jeune Tariq, un rappeur en devenir qui souhaite gagner de l’argent pour enregistrer une démo et la présenter à RZA. Pour arriver à ses fins, Tariq entre dans le monde de la criminalité avec tout ce que cela implique. Pour pousser le concept toujours plus loin, Prince Paul invite une trentaine d’artistes qui composeront le « casting » de cet album, parmi lesquels on retrouve Kool Keith, Biz Markie, Big Daddy Kane ou encore Xzibit. Prince Paul avait pour projet de tourner un film en se basant sur l’histoire développée tout au long de l’album, malheureusement son label de l’époque, Tommy Boy Records, n’a pas souhaité investir dans ce tournage. Prince Paul finira tout de même par accompagner l’album d’un court métrage. A Prince Among Thieves est salué par la critique et devient alors une référence en matière d’albums concepts.

Après trente ans de carrière, Prince Paul a laissé une marque indélébile sur le hip hop et pourtant rares sont ceux qui le mentionnent lorsqu’il s’agit de parler des plus grands producteurs. A presque 50 ans, la légende n’a toujours pas épuisé ses dernières cartouches et s’apprête à sortir un nouvel opus aux côtés de J-Zone et Sacha Jenkins sous le nom de groupe Superblack. Encore une fois, Prince Paul assure que ce qu’il a fait sur cet album n’a jamais été entendu auparavant.

Cet article a été élaboré à partir d’une interview réalisée par Brian Coleman.

Prince Paul en 10 titres par The Backpackerz

Sébastien Laurent

Voue un culte à MF DOOM. S'intéresse au rap des bas-fonds, celui dont on ne parle pas assez. Un soupçon de technique dans l'écriture et un beat sombre font son bonheur.

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