L’actualité, marquée par la sortie du biopic Straight Outta Compton, nous a donné envie de vous faire découvrir ou redécouvrir l’histoire écrite de ce groupe mythique que fut N.W.A. ainsi que l’impact, positif ou négatif qu’il a pu avoir sur la population à une époque (les années 80) où le rap West Coast n’existe quasiment pas sur la carte du Hip Hop.
Nous sommes au cœur des années 80, à Compton. La carrière de Dj Quik en est encore à ses balbutiements, The Game n’est encore qu’un enfant, tandis que King Kendrick n’en est même pas au stade embryonnaire. Andre Romelle Young, alias Dr. Dre n’est bien sûr pas encore ce businessman producteur de talent, reconnu par certains comment étant l’un des plus brillants de tous les temps. Non, il n’est qu’un simple DJ à la notoriété croissante officiant avec celui qui deviendra son grand pote et partenaire Dj Yella, déjà résident lors de son arrivée dans un club repris par l’autre ami avec lequel il a fait ses armes à la production au sein du largement méconnu mais loin d’être dégueu groupe d’électro Hip Hop World Class Wreckin Cru’, nous parlons bien de DJ Alonzo Williams et le club en question se nomme Eve After Dark. Ce club straight outta Compton avait la particularité d’être la vitrine de DJs et MC’s du cru. C’est ainsi que Dre fit la connaissance de celui qui deviendra sûrement le meilleur – en termes de flow – MC du groupe N.W.A., O’Shea Jackson, mondialement connu sous le pseudonyme Ice Cube, apparemment ravi de rencontrer ce bon vieux Doc:
« Dr.Dre était la personne la plus célèbre que je connaissais à l’époque, il faisait partie du World Class Wreckin Cru’ avec lequel il venait de lâcher un single appelé « Surgery ». Il était la seule personne que je connaissais ayant sorti un véritable projet, donc j’étais excité de le rencontrer. Quand il m’a entendu rapper, il m’a pris sous son aile ».
Ce dernier était à l’époque membre de C.I.A. signifiant originellement Criminals In Action, et ensemble, ils bossaient sur leur unique – et mini – album sorti à ce jour, My Posse produit of course par Dre.
Pendant que tout ce beau petit monde s’agite en club ou en studio, au mic ou avec des platines, Eric Lynn Wright, loin de ces considérations et qui, surtout, n’est pas encore Eazy-E, s’adonne en direct de la rue au classique deal de drogue, activité dont les bénéfices lui permettront selon la légende de financer – avec l’aide du sulfureux Jerry Heller – le premier label mettant en exergue les jeunes talents propres à la municipalité de Compton: Ruthless Records.
Dr. Dre, en prison pour des histoires de contraventions non payées, sans un sou en poche, reçut une offre pouvant difficilement se refuser d’Eric Wright, lequel ayant bien évidemment mesuré le potentiel démentiel du DJ ultra prometteur qu’il était alors: en échange du paiement de sa caution (900 dollars) et donc de sa libération, Dre s’engage à la production du premier projet de Ruthless, N.W.A. and the Posse, marquant officiellement l’arrivée d’Ice Cube et de l’éphémère Arabian Prince, présent sur le titre « Panic Zone ». Ce projet contient notamment leur premier titre polémique, « Boyz-N-The Hood », initialement destiné à H.B.O., autre groupe signé chez Ruthless, qui refusa de l’interpréter devant l’aspect brut des scènes décrites.
Été 1988: toujours à Compton. Ice Cube, Dr. Dre, ainsi que DJ Yella sont tous signés sur le label d’Eazy-E, Ruthless Records. Pour se faire connaître, une compilation N.W.A and the Posse, réunissant la quasi-totalité des futurs membres de N.W.A.(accompagnés des texans Fila Fresh Crew, des Rappinstine ainsi que Ron De Vu), est donc sortie quelques mois auparavant, leur assurant une notoriété toujours grandissante au sein de la côte, et faisant naître par la même occasion ce que les médias de l’époque ont nommé Gangsta Rap, catégorisation encore largement répandue aujourd’hui. Il convient de mentionner le fait que celle-ci fut réfutée par les membres N.W.A., préférant le terme Reality Rap, car il ne faut pas oublier que, mis à part Eazy-E, aucun des autres membres du groupe n’avait un casier judiciaire à cette époque..
La notoriété du groupe étant grandissante, MC Ren, artiste Ruthless remarqué par Eazy pour son travail d’écriture pour l’album solo à venir de ce dernier devient le dernier membre à rejoindre les Niggaz Wit Attitude. A partir de là, les choses sérieuses peuvent commencer, et c’est ainsi que nous est balancé « Straight Outta Compton », single éponyme de l’album à venir, faisant office de présentation du groupe sur une lourde instru concoctée par Dre & Yella et dans laquelle Ren, Ice Cube et Eazy-E se partagent un couplet chacun pour une excellente entrée en matière, très justement acclamée par les milieux undergrounds. Quelques semaines plus tard sort enfin Straight Outta Compton, album qui déversera à valeur égale flots de haine comme flots d’amour.
Flots d’amour d’abord, car N.W.A., de par son nouveau statut, fut élevé au rang de voix de ces ghettos. Ils étaient devenus leur visage, ils en étaient sa face émergée, peu importe s’il leur arrivait d’embellir leur street cred, peu importe le caractère souvent outrancier de leurs propos, ces types étaient d’abord aimés et respectés car leur travail pouvait être mis en parallèle avec celui d’un reporter, tant leur musique était faite par la rue, dans la rue et pour la rue. Ils parlaient de choses arrivant quotidiennement dans leurs quartiers, et de ce fait, la population locale ne pouvait faire autrement que de se reconnaître en eux, tant cela sonnait juste à leurs yeux. Les N.W.A. furent les porte-paroles de ces gens face à des Etats-Unis d’Amérique ignorant tout de leurs réalités.
Mais, si l’album fut plébiscité d’une part, c’est un euphémisme de dire qu’il ne plaisait pas à tout le monde. La police d’abord, prise violemment à partie dans un titre à l’instrumentale dans le plus pur style West Coast, « Fuck tha Police », titre très controversé dénonçant les comportements racistes et violents des forces de l’ordre à l’encontre des jeunes issus de ces ghettos. Avec le recul, on remarque que cette chanson n’était bien sûr pas destinée à tout le corps policier en lui-même, mais qu’elle s’adressait plutôt aux quelques agents utilisant leur pouvoir comme justification à leurs bavures. Du fait de l’agressivité de leurs propos, cette chanson fut censurée.
« Fuck the police, coming straight the underground
A young nigga got it bad cause i’m brown
And not the other color so police think
They have the autority to kill a minority
Fuck that shit, cause i ain’t the one
For a punk motherfucker with a badge and a gun… »
Les divers thèmes de l’album, inspirés par les New-Yorkais Public Enemy, sont connus. On y parle gangstérisme sur le sobrement intitulé « Gangsta Gangsta » ou encore sur « Something Like That », trafic de drogues sur « Dopeman ». L’excellent « Something 2 Dance 2″ nous rappelle l’époque World Class Wreckin Cru’ de Dr. Dre, tandis que l’inoubliable « Express Yourself » est une ode à l’affirmation de soi.
Censurés et boycottés par les radios, les N.W.A. outrepassent une nouvelle fois les directives des autorités un soir de concert. A Detroit, en plein show, la foule se mit à réclamer le censuré « Fuck tha Police » et Cube, enivré par la communion avec son public, entonna ses premières notes quand la police envahit la scène, mettant ainsi fin au concert, pendant que les rappeurs s’enfuyaient dans un spectacle invraisemblable. Validé par la rue, cet album se vendra à plus de 3 millions d’exemplaires.
Eazy-E, voulant surfer sur la vague du succès N.W.A., sortit dans la foulée son premier album solo, Eazy-Duz-It, bien évidemment produit par Dre & son acolyte Yella, et accompagné dans les featurings par les autres membres de N.W.A. ainsi que D.O.C. donnant au final un album dans la lignée de Straight Outta Compton.
Voulant sécuriser les intérêts de son label, Eazy entreprit de signer les membres de N.W.A. pour des contrats de longue durée, ce qui ne plut absolument pas à Cube qui décida dans la foulée de rendre son tablier et quitter les Niggaz Wit Attitude avec fracas.
L’aventure se poursuit donc sans Ice Cube et Arabian Prince – ayant également décidé de de ne pas rempiler avec Ruthless dans le but de lancer sa carrière solo – en 1990 avec l’EP de 5 titres 100 Miles and Runnin’ contenant notamment le titre « Real Niggaz », dans lequel Ice Cube est pris à partie et tourné en dérision, lançant par la même occasion ce jeu d’attaques interposées entre membres ou ex-membres de N.W.A. cet EP fut balancé en guise de mise en bouche en attendant le second album à venir, Niggaz4life -Efil4zaggin-.
Cet album vit le jour en 1990, par le biais du superbe single authentiquement G-funk « Always Into Somethin' », où Ice Cube est encore attaqué à cause de son départ. Ce second disque reste dans la mouvance de Straight Outta Compton, même s’il est encore plus empreint d’un humour qualifié de misogyne par la presse, de descriptions crues de leurs rapports aux femmes, comme sur « One Less Bitch », morceau dans lequel Dre & Ren déclarent se débarrasser par l’exploitation ou la mort des femmes avec lesquelles ils forniquent, prostituées ou femmes mariées. Malgré cela, le disque rencontrera le même succès d’estime auprès de la communauté Hip Hop et se vendra au final à hauteur de 2 millions d’exemplaires.
Cet album marqua le début de la fin pour N.W.A., Ruthless, ainsi que pour Eazy-E. Dr. Dre, réconcilié avec Ice Cube et ne s’estimant pas rémunéré à la hauteur de sa contribution (production principalement, mais aussi emceeing) trouve en Suge Knight l’associé idoine pour monter son propre label, Death Row Records. Son contrat rompu avec Ruthless dans des conditions nébuleuses couplé à celui de son acolyte Yella occasionne la fin des Niggaz Wit Attitude.
Triste fin pour un crew aussi mythique, qui en 2 albums aura réussi à accéder au statut de groupe culte même si pourri au final par des conflits d’intérêts et des batailles d’égos. Aujourd’hui, cela fait 24 ans que le groupe s’est séparé, les anciens N.W.A. ont pris des rides, du bide, et ont suivi des chemins différents: du cinéma pour Cube après une belle carrière solo à la production de films pornographiques pour Yella. Néanmoins, personne dans le paysage Hip Hop ne peut dire que leur action fut vaine tant ils auront participé à la promotion du rap West Coast, agissant en pionniers: les Game, Snoop Dogg, Kendrick Lamar et compagnie savent qui remercier. L’essence même du mythe entourant la municipalité de Compton part de là. Une pensée pour Eazy-E, qui restera pour toujours l’instigateur du projet, lui qui n’était qu’un simple dealer ne pensant même pas au départ rapper et qui décédera en 1995 des suites du Sida, laissant derrière lui un fils, Eric Wright Jr. – Lil Eazy E – non sans s’être réconcilié avec ses anciens compagnons, Dre lui rendant même hommage à sa façon, dans le culte « What’s The Difference« .
« … And Eazy I’m still with you
fuck the beef, nigga I miss you
And that’s being real with you… »
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