En trente ans de carrière, Kool G Rap a su se forger une carapace en forme de gilet pare-balles contre les effets dévastateurs du temps. Plume pointue trempée dans le vitriol du Queens, il a écrit les premières heures du rap multi-syllabique avec le Juice Crew avant d’inscrire dans un marbre luxueux les douze commandements du mafia rap. Don auto-proclamé, le parrain ‘G Rap amorce un retour remarqué sur les sillons du bitume new-yorkais avec The Return Of Don. Plus technique que Rakim et plus mafieux que Nas période Escobar, voici l’histoire d’un survivant de l’Age d’or de la Grosse Pomme.
C’est sûrement en participant aux jeux dangereux des gamins de son quartier, que Nathaniel Wilson a puisé son inspiration pour devenir un des meilleurs storytellers de l’histoire du rap new-yorkais. « Grandir à Corona dans le Queens, c’est être exposé aux aléas de la vie de rue. A quinze ans, ma mère ne pouvait pas m’acheter les vêtements que je voulais. A cet âge, tu as besoin d’avoir de l’argent dans les poches. Donc tu te mets à vendre de la drogue. Tous mes potes fumaient ou dealaient… Nous étions des petits sauvages. » raconte Kool G Rap au magazine The Source en 1995 pour décrire sa jeunesse.
A treize ans, le gamin de Corona découvre le rap sur les ondes de WBSL FM, grâce à une des premières émissions radio de rap, le Rap Attack Show animé par Mr Magic. Un certain Marley Marl officie déjà derrière les platines. La passion hip-hop démange alors Nathaniel. Il se met en quête d’un DJ, susceptible de former un duo avec lui.
Dans son carnet d’adresses, le futur Kool G Rap possède un certain Eric Barrier, plus connu sous le pseudonyme de Eric B., alors apprenti DJ à la station WBSL FM. Déjà en relation avec Rakim, Eric B. lui présente un autre DJ, DJ Polo. Dans plusieurs interviews, G Rap témoigne une sincère reconnaissance envers Eric B. « J’ai beaucoup pioché dans la collection de disques d’Eric B. pour notre premier album. Beaucoup de ces chansons sont devenus des beats et des morceaux entiers. Mais je ne l’ai pas crédité sur l’album. Eric B. a eu une grande influence sur nos projets, mais il n’a jamais vraiment produit. Nous sommes des amis très proches. Je lui dois beaucoup. » confiera t il au site Wax Poetics en 2014.
La réputation de la paire Kool G Rap / DJ Polo ne tarde pas à arriver aux oreilles de son imminent voisin du Queens, Marley Marl. Ce dernier invite le duo à enregistrer leur première démo dans son studio, qui s’intitule tout simplement « It’s My Demo ». Le titre sortira en 1986 sous la forme d’un vinyle 2 titres contenant « It’s My Demo » et « I’m Fly » sur le label Cold Chillin’, fondé par le manager du Juice Crew, Tyrone Williams.
Egalement producteur de l’émission Rap Attack de Magic et Marl, Tyrone Williams détecte rapidement les qualités d’écriture de G Rap. Il n’est pas le seul. Puisque le M.C. de Corona devient Ghostwriter du groupe de rap féminin Salt N Pepa sur le titre « Chick On The Side » en 1986. Il écrira également le morceau « Live On Stage » en 1989 pour Roxanne Shanté. Une pratique aujourd’hui décriée par G Rap. Il affirme en 2017 qu’un rappeur ne peut pas appartenir au Top 5 s’il a recours à de telles pratiques. Pour dénoncer l’utilisation de ces auteurs fantômes par les majors, Kool G Rap sera le seul artiste à créditer officiellement le rappeur MF Grimm comme auteur sur son premier album solo 4,5,6 en 1995.
Marley Marl intègre donc de la manière la plus naturelle qui soit, Kool G Rap et DJ Polo à son collectif, The Juice Crew. Cadets de la bande, le duo n’a pas encore le statut des piliers Big Daddy Kane ou Biz Markie. Effectivement, si la critique salue comme il se doit le talent du duo, l’attention se porte plus vers « The Bridge » de MC Shan, à l’origine de la guerre épique entre le Juice Crew du Queens et le Boogie Down du Bronx.
Malgré ce statut de « second rôle », Kool G Rap est très bien accepté par les membres du Crew. Il apparait sur les grands projets du collectif, notamment la bande originale du film, Colors en 1988. Sa participation remarquée au titre réunion « The Symphony » en 1987, répare cette injustice temporaire. Il brille enfin aux côtés de Kane, Craig G, et Masta Ace. Tournant sur un sample d’Otis Redding, le morceau deviendra un classique intemporel repris par Snoop, Nas, Mos Def ou encore EPMD. G Rap passe ainsi à la postérité le temps d’une symphonie.
Sûrement inspiré par Big Daddy Kane, il adopte rapidement le rap multi-syllabique. Une technique d’écriture, qui consiste à faire rimer plusieurs syllabes dans un même vers. Dont il deviendra par la suite un grand spécialiste. Si Rakim est friand de cette technique, GRap le transforme en son exercice d’écriture favori. En 1996, il établit un record en réalisant onze assonances dans le même couplet de « Know Da Name ».
Cette exposition soudaine ne perturbe pas pour autant le binôme Kool G Rap / DJ Polo. En 1989, ils enregistrent leur premier album Road To The Riches, toujours chez Cold Chillin Records. Un bon album, qui porte néanmoins l’empreinte de son producteur, Marley Marl.
Pour l’album suivant, Wanted Dead or Alive paru en 1990, le tandem se détache du parrainage du mentor musical du Juice Crew. La production musicale, assumée en partie par Large Professor et Eric B., tend vers des rythmiques plus lentes et mélodieuses. La meilleure illustration de ce changement de cap se ressent dans le très jazz « Streets of New York ». G Rap aborde également des thèmes plus graves comme le racisme dans « Erase Racism » en compagnie de Big Daddy Kane et Biz Markie.
Pourtant, ce sera finalement en 1993 avec leur dernier album, Live And Let Die, que le célèbre duo entame une fracture complète. Live And Let Die reste l’album le plus violent de la trilogie Kool G Rap & DJ Polo. Warner, désormais distributeur de Cold Chillin’, demande alors au rappeur de réécrire les textes, qui restent encore crus. Ce tournant Gangsta Rap s’exprime également dans la production, confiée à G Rap et au producteur californien Sir Jinx, complice d’Ice Cube.
Cet ultime album s’avère fatal à l’existence du groupe. Il annonce surtout l’orientation de la future carrière solo du rappeur du Queens. Il endosse tour à tour les rôles de mafieux, de tueur de flics ou encore de braqueur sur fond d’extraits du film Scarface. En résumé, il pose les prémisses du concept Mafia Rap.
A juste titre, Kool G Rap s’attribue la paternité de ce courant Mafia Rap. Dès 1989, le rappeur mentionne l’acteur Al Pacino dans « Road To The Riches ». Ces références à l’univers cinématographique lié à la mafia italienne se retrouvent aussi dans Live And Let Die. Mais c’est bel et bien sur son premier album solo 4,5,6 que G Rap définit le concept de Mafia Rap. Et plus particulièrement dans le titre « Fast Life », où apparaît un certain Nas. Dans « Fast Life », les deux M.Cs du Queens glorifient un style de vie basée sur le luxe et le gangstérisme. Ils citent Chicago, capitale du crime dans les années 30, ou encore de célèbres gangsters comme Lucky Luciano et Bugsy Siegel.
http://https://youtu.be/zp5EOREHcuY
En bon disciple, Nas reprendra les poncifs du genre pour la ligne directrice de son second album It Was Written en 1996. Il récidivera pour le projet collaboratif The Firm, dont nous vous parlions dans notre sélection d’albums classiques du rap US de 1997 . Il sera également imité par Jay-Z pour son Reasonnable Doubt mais aussi Notorious B.I.G et sa Junior M.A.F.I.A qui abuseront de son esthétisme. Vingt ans plus tard, des rappeurs comme Roc Marciano continuent encore aujourd’hui de perpétuer ce style.
En 1998, Kool G Rap détourne l’affiche du film Le Parrain de Coppola pour les besoins de la pochette de son second album Roots Of Evil. G Rap pousse même le concept mafieux à son paroxysme en 2002 lorsqu’il intitule son troisième opus The Giancana Story, en référence à un parrain sicilien de la pègre de Chicago. Sorti sur le sérieux label Rawkus, le contenu explicite de cet album doit être à l’origine de leur rupture.
Désormais, le Don du Mafia Rap peut se vanter d’avoir largement influencé des artistes tels que Nas ou Papoose. Qui peut le contester ? Malgré des qualités indéniables, Kool G Rap a parfois usé du folklore mafieux pour décrire les projects du Queens. Certes, sa carrière s’est quelque peu essoufflée à la fin des années 90 ; mais il a su traverser les époques en restant droit dans son costume italien de grand criminel du rap.
Avec la sortie de Return Of The Don le rappeur confirme son envie de se renouveler avec la présence d’invités issus de la nouvelle génération comme Conway ou Westside Gunn. L’apparition quasi spectrale de Sean Price sur le tranchant « Popped Off » montre également une volonté de transmettre un lourd patrimoine, celui du gangsta rap de la côte Est. Le Don saura-t-il convertir de nouveaux dévots ? Seul l’avenir le dira mais le morceau ci-dessous a de quoi alimenter notre optimisme.
En bonus de ce portrait, nous vous proposons via nos partenaires du festival Paris Hip Hop de remporter 2×2 places pour le Paris Hip Hop Closing qui verra ce bon vieux Kool G Rap se produire en concert sur une scène dressée en plein air sur un lieu aménagé spécialement sous le périphérique à la Villette. L’événement compte également les participations de The Underachievers, Joey Starr & Cut Killer Sound system, Roméo Elvis, Josman et plein d’autres. Programmation complète à découvrir sur l’événement Facebook.
Pour participer, rien de plus simple :
Le tirage au sort s’effectuera samedi 1er juillet au soir et les heureux gagnants seront prévenus par e-mail.
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