Né d’un père gardien de parc (qui quittera vite la maison) et d’une mère secrétaire dans un cabinet d’avocat, le jeune D’Anthony Carlos a fait ses premiers pas dans une banlieue située au nord-est de Washington D.C. Alors qu’il n’est âgé que de deux ans, la maison familiale est emportée par un incendie, obligeant le jeune Anthony et sa mère à vivre durant plusieurs années dans un motel avant de finalement partir s’installer dans l’état voisin de Virginie où GoldLink grandira jusqu’à sa majorité.
Loin d’être une évidence au départ, le jeune Carlos commence à s’intéresser à la musique à son entrée au lycée. Comme beaucoup d’adolescents, noir-américains de surcroit, il envisage d’abord le rap comme un moyen « d’être cool et de rencontrer des filles ». Mais, très vite, il développe une fascination pour l’histoire de cette musique qu’il explique avoir analysé durant plusieurs mois avant d’avoir tenté d’écrire le moindre texte.
« Durant ma courte vie, j’ai eu l’occasion de remarquer que la musique fonctionnait par vague. Dans le rap par exemple, il y a le succès de Ja Rule, de DMX puis se fut au tour de Jay-Z […] Diddy, Kanye West et enfin Drake. Mon objectif à l’époque était de découvrir et créer la nouvelle vague avant tout le monde… »
C’est cette approche hyper studieuse et méthodique qui a poussé un certain Henny Yegezu, aujourd’hui son manager, à voir en GoldLink la potentielle star du rap qu’il est en train de devenir. Yegezu fut un des premiers à croire au flow si particulier de GoldLink, à l’époque où il n’avait pas même de morceau ou de vidéo pour se promouvoir. Propriétaire du studio Indie Media Lab, dans lequel GoldLink a enregistré la majeure partie de ses premiers morceaux, c’est grâce aux contacts et à la vision de Yegezu que GoldLink a pu produire sa première mixtape, The God Complex, qui lui vaudra ses premiers fans et articles de presse en Juin 2014.
Mais avant cette première sortie, le rappeur de DC, qui officiait alors sous le nom Gold Link James, avait mis en place une habile stratégie de communication. Distillant ici et là freestyles et remixes non officiels (écoutez le morceau « Wassup » dans la playlist en fin d’article) sans jamais révéler sa véritable identité, le jeune Carlos était parvenu à susciter un premier intérêt pour sa musique auprès d’un public mélomane local mais aussi de quelques blogueurs spécialisés fascinés par ce cocktail Hip-Hop / House / R&B venu d’ailleurs, à l’image du morceau « Creep » sorti en 2014 et qui détourne le fameux tube du trio R&B T.L.C
Fasciné par le mélange d’influences de la nouvelle « scène Beat » alors émergente (découvrez notre sélection des meilleurs labels de Beat Music pour en savoir plus), GoldLink voit dans le son des Lakim, Kaytranada, Mr Carmack et consort, la base d’un rap hybride qui a tout l’air d’être « la nouvelle vague » qu’il convoite. Après avoir affuté son flow sur ces productions d’un nouveau genre, il décide d’emprunter au producteur Lakim (également originaire de Virginie), le terme de « Future Bounce » pour designer le nouveau style de rap dans lequel sa musique s’inscrit. Voici comment le décrit l’intéressé :
« Le Future Bounce c’est un mélange de classiques du Hip-Hop, de samples de R&B langoureux et de sonorités electro. Mon objectif est de pousser le rap à sortir de sa zone de confort. »
Ni une ni deux, le rappeur de D.C. parvient à convaincre plusieurs producteurs de cette nouvelle scène beat de travailler sur son premier projet, The God Complex. On retrouvera ainsi logiquement Lakim sur un des morceaux mais également Teklun, du label deKaytranada HW&W.
Dans le même temps, le rappeur fera, par l’intermédiaire de son manager, la rencontre avecLouis Static, l’homme qui se cache derrière le son de GoldLink depuis ses débuts. À l’origine ingénieur du son dans le studio Indie Media Lab de Yegezu, Static mixe, masterise et a même produit plusieurs morceaux de The God Complex, dont l’excellent premier extrait« Bedtime Story » ci-dessous.
Dès sa sortie, la mixtape/album intitulée The God Complex recueille les éloges de nombreuses critiques. Le très tendance Pitchfork lui attribuera ainsi la note de 7,9/10 et l’omniprésent Complex retiendra même le projet dans sa sélection des meilleurs albums de 2014. Un succès critique qui sera couronné quelques mois plus tard par la nomination de l’artiste au très mainstream (mais néanmoins prestigieux) XXL Freshman Class of 2015, donnant ainsi la visibilité qu’il mérite au projet.
Du haut de ses 10 titres (dont un remix), The God Complex fait véritablement figure de manifeste de la musique de GoldLink. Le son est un mélange de house et de rap qu’on avait pas vu aussi abouti depuis Kenny Dope. Côté rap, c’est clairement dans le rap sudiste qu’il faut aller chercher les influences du flow « cocainé » du rappeur. La musique de GoldLink est colorée, pleines de nuances comme lorsqu’il passe de l’ambiance très dancefloor de « Ay Ay » au sombre et introspectif « When I Die » en un claquement de doigt.
À force de fricoter avec la scène Beat, GoldLink allait inévitablement attirer l’attention des grands pontes du mouvement. Pas étonnant donc de découvrir quelques mois après la sortie de son premier projet, un nouveau morceau de notre sujet de jour produit par Kaytranada. Avec « Sober Thoughts », GoldLink s’installe définitivement comme un des « chouchous » de la culture SoundCloud et commence à taper dans l’oeil des plus grands.
Le premier à se manifester est Rick Rubin, l’iconoclaste producteur qui a donné ses lettres de noblesse aux plus grands classiques de Def Jam, des Beastie Boys à Run-DMC. Adepte d’un rap avant-gardiste, il avait été parmi les premiers à déceler chez le jeune Kanye West, le potentiel d’un grand producteur. GoldLink affirmait dans une interview pour Complex que « Rubin avait pris contact avec lui début 2015 et jouait depuis une sorte de rôle de mentor dans sa carrière, le conseillant sur sa direction artistique et le mettant en garde contre les dangers qui guettent un artiste en passe de réussir ».
Très populaire sur SoundCloud, GoldLink a également séduit nombre de DJs qui ont rapidement inondé la plateforme de nombreux remixes donnant ainsi au rappeur une notoriété dans des sphères parfois assez éloignées du rap comme la house ou la techno. Début 2016, il a d’ailleurs la bonne idée de sortir un album entier composé uniquement des meilleurs remixes de son album And After That, We Didn’t Talk, que nous vous présentions fin 2015. L’album regroupe la participation de DJ de tous horizons : Gravez, Pomo, Mr Carmack, Louis Futon ou encore Shagabond auteur du bouillant remix de « New Black », à découvrir dans la playlist en fin d’article.
À force de collaboration avec des artistes proches du prestigieux label / collectif Soulection, c’est assez logiquement que les deux parties ont officialisé leur collaboration avec la sortie, en octobre 2015, de And After That, We Didn’t Talk, premier véritable album de GoldLink, estampillé Soulection bien sûr. Parfaitement dans la continuité de la recette qui avait fait son succès, AFTWDT a pu confirmer toutes les attentes qui étaient placées en ce jeune rappeur.
Toujours relativement pauvre en invités – hormis le tonitruant Anderson .Paak sur le morceau « Unique » – cet album semble plus personnel que le premier projet. On retrouve en filigrane, une histoire de rupture, de coeur brisé même ; mais jamais de manière totalement explicite car l’essence de la musique de GoldLink est à chercher ailleurs : dans le groove et le rythme de ses balades taillées pour le dancefloor.
Ce « potentiel dancefloor » n’aura pas manqué de séduire de nombreux artistes et producteurs cette année encore. Si l’on devait n’en retenir qu’un seul, évoquons sa participation au tant attendu premier album de Kaytranada, véritable fer de lance de la scène beat, pour la morceau « Together » en featuring avec la chanteuse R&B AlunaGeorge.
Du haut de ses vingt-trois ans, GoldLink a tout pour prouver aux plus conservateurs que le rap à tout à gagner à s’ouvrir à d’autres genres auxquels il est souvent resté hermétique : la house, l’electro, le R&B. En incorporant à ses productions, toute cette musique sur laquelle les gens dansent en club aux quatre coins du monde, GoldLink réussira peut-être le tour de force de remettre au goût du jour un rap « dansant », positif et synonyme de célébration…C’est en tout cas tout le mal qu’on lui souhaite.
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