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Comment, en si peu de temps et si peu de recul, Bashar Barakah Jackson au civil s’est taillé la part du lion dans une scène hip hop archi embouteillée, où le trône est sans cesse remis en jeu ? Est-ce dû à la fascination morbide pour un jeune rappeur assassiné en pleine ascension, déjà fort de son succès «Dior», ou à sa collaboration avec Travis Scott pour le single «Welcome To The Party» ?

Nous allons nous intéresser au travail de production entourant la sortie de Shoot for the Stars, Aim for the Moon en se basant sur les samples et quatre grandes figures (beatmakers, producteurs et featurings) associées au projet posthume sorti le 3 juillet dernier.

1 – Ken « Supa Engineer » Duro – Ingé-son / PDG de Desert Storm Records | New-York

«Something Special» (le sample apparaît à 0:00, 1:23, et après)

Le dirigeant de Desert Storm Records depuis 1997 peut se targuer d’être le gagnant de six Grammys pour ses collaborations techniques. Citons «Empire State of Mind» de Jay-Z et Alicia Keys, «Baduizm» d’Erykah Badu ou même le mythique «Hard Knock Life», là encore, de Jay-Z. Récemment nommé directeur artistique du label New-Yorkais Republic Records, filiale d’Universal Music, Ken Duro Ifill est un grand nom de la production hip hop, crédité sur le titre «Something Special» présent sur Shoot For The Stars, Aim For The Moon.

Pas de problème de clearing (obtention des droits) pour le sample puisqu’il vient du morceau «Into You» du rappeur de Brooklyn, Fabolous, produit par Duro himself avec son acolyte DJ Clue. Gros succès de 2003, l’album Street Dreams de Fabolous a été enregistré – ça tombe bien – chez Desert Storm Records. Le titre «Into You», en featuring avec Tamia, comporte à son tour le sample de «So Into You» de cette artiste R&B canadienne qui échantillonnait déjà les Commodores.

«Into You» (le sample apparaît à 0:00)

2 – 808Melo – Beatmakeur | Londres

«Make It Rain» (le sample apparaît à 1:32)

De Chicago à New-York, en passant par Londres, retour sur la drill de Brooklyn.

Sous genre de la trap avec un BPM encore plus lent, une basse prégnante et des textes très sombres parfois qualifiés de nihilistes, la drill est d’abord née à Chicago début 2010 notamment avec le travail du rappeur Chief Keef et son album de 2012, Finally Rich, signé chez Interscope.

Autant le synthétiseur TB-303 est associé au genre acid house, autant la TR-808 (elle aussi chez Roland) est relative au son hip hop des pionniers. Le jeune producteur anglais, de son véritable nom Andre Loblack, s’intéressera vite au genre drill issu de la trap. Il en accentuera même les sonorités en appuyant un peu plus sur cette basse caractéristique. Ce nouveau son, pas loin du dubstep façon Burial, sera la marque de fabrique d’Andre dont le blaze 808Melo rend hommage à sa nouvelle machine préférée de chez Roland. La UK drill est née.

Pop Smoke et son crew, entendant les travaux du beatmaker anglais, le démarcheront pour qu’il réalise sa première mixtape Meet the Woo sortie en juillet 2019. Puis sa deuxième, un peu plus de six mois après la sortie de la première. Logique, donc, de retrouver 808Melo en collaboration sur le premier album du rappeur.

Le titre «Make It Rain» feat. Rowdy Rebel comporte parmi d’autres les samples de «Mannequin» (citant déjà le «7 Rings» d’Ariana Grande, qui lui-même emprunte à «My Favorite Things» de Mary Martin & Patricia Neway) et «Welcome To The Party» (avec un échantillon du thème de l’anime «Hinamizawa, Le Village Maudit», composé par Kenji Kawai), deux titres qui ont beaucoup contribué au succès fulgurant de Pop Smoke. La production de 808Melo n’y est sûrement pas étrangère.

«Mannequin» (le sample apparaît à 0:21)

3 – Lil TJay aka « The Bronx Justin Bieber » – Rappeur | New-York

«Mood Swings» (le sample apparaît à 3:04)

D’après le magazine américain Rolling Stone, la musique de Lil Tjay, jeune rappeur du Bronx, sonne comme de la «pop incroyablement joyeuse avec une touche de sobriété». Comprendra qui pourra. En tout cas, Tione Jayden Merritt, seulement 19 ans, est régulièrement cité comme la relève du son new-yorkais et avoue lui-même vouloir prendre la suite d’un artiste comme Usher. Parfois qualifié de «Bronx Justin Bieber», en raison de sa voix cristalline mais aussi de son titre «None of Your Love» de 2018 samplant le «Baby» du chanteur canadien, Lil Tjay explique, à propos de ce titre, qu’il voulait simplement se mettre au chant et laisser le champ libre à ses envies au studio.

En featuring sur le titre «Mood Swings» de Pop Smoke, son track à succès «Resume» s’est vu tout naturellement samplé dans un album all stars intégrant les plus éminents acteurs du monde hip hop du moment. De la production drill et UK drill, bien sûr, mais aussi la nouvelle génération rap comme les featurings du rappeur de Compton Roddy Ricch, la trap colombienne de Karol G, le chahuteur de Brooklyn Rowdy Rebel et donc le R&B rappé de Lil Tjay en pleine ascension.

«Resume» (le sample apparaît à 3:13)

4 – 50 Cent – Producteur Exécutif / Rappeur | New-York

«Hotel Lobby» (le sample apparaît à 0:33 et après)

De roi de Canarsie, Brooklyn, à roi du monde

Comment le jeune prodige Pop Smoke s’est retrouvé avec un mentor tel que 50 Cent, méga-star du rap US, producteur de télé et homme d’affaires accompli ?

50 Cent sait d’où il vient : né dans la communauté jamaïcaine du Queens, élevé tant bien que mal par sa mère dealeuse, il n’est clairement pas né sous la bonne étoile. À huit ans, sa mère décède dans un incendie criminel. Son père, lui, n’est jamais là. Sa grand-mère le recueille et tente de l’éduquer dans cette atmosphère hostile et délétère, le contexte social du jeune ne lui offrant aucune bonne option. 50 Cent, Curtis Jackson de son vrai nom, deale du crack quelques années, mais c’est la possibilité d’aller s’entraîner dans un club de boxe non loin qui éveille sa conscience de battant et de challenger: « Comme le rap, la boxe est une métaphore évidente du résilient que je suis devenu».

Après la carrière à succès qu’on lui connaît (repéré par Jam Master Jay des Run DMC puis par Nas et enfin, surtout, par Eminem), 50 Cent est conscient du chemin parcouru. La découverte de Pop Smoke à la jeunesse chaotique lui rappelle à quel point il est important d’être guidé par les bonnes personnes. Le passé tumultueux de Curtis Jackson, ayant survécu à plusieurs tentatives de meurtres, est revenu violemment à sa mémoire le 19 février 2020, date de l’assassinat du (trop) jeune rappeur.

Le 1er mars de cette même année, 50 Cent déclarait qu’il voulait non seulement aider à finir l’album de Pop Smoke mais aussi être son producteur exécutif: “Je veux le finir, pour lui ». Pas de surprise donc de retrouver «If I Can’t», titre de 2003 de 50 Cent, sur «Hotel Lobb », «Many Men (Wish Death)» sur «Got It on Me» et «Candy Shop» sur l’essentiel «The Woo» avec Roddy Ricch et Jackson himself en featuring.

«If I Can’t» (le sample apparaît à 0:11)

Les échantillons utilisés permettent une lecture de l’intérieur d’un album hommage censé panser les plaies d’une Amérique dont la violence est malheureusement la fidèle alliée. Shoot For The Stars, Aim For The Moon, en samples, est une manière de voir le reflet des influences d’un album posthume pas comme les autres. Avec un travail de production particulier, chapeauté par le mentor 50 Cent avec une myriades de beatmakers orientés drill, comme 808Melo, repéré outre-Atlantique ou même le ponte Duro Ifill, ainsi que des featurings venant des quatre coins des États-Unis, à commencer par le jeune Lil Tjay, relève new-yorkaise encensée.

Ce dossier est une contribution libre de Gaspard Aufort que nous avons choisi de publier. Si vous aussi voulez tenter d’être publié sur BACKPACKERZ, n’hésitez pas à nous envoyer vos articles via notre page de contact.

Découvrez Samplez-moi !, l’émission radiophonique qui propose des rétrospectives d’albums cultes à partir des samples utilisés, sur la radio associative nantaise JetFM, et écoutez ici l’émission consacrée à l’album posthume de Pop Smoke.