Le point de départ de l’ascension de PJ Morton ? La sortie, en 2017, de l’album Gumbo qui l’a fait sortir de l’ombre. Depuis, rien ne l’arrête. En 2019, il remporte son premier Grammy : Best Traditional R&B Performance pour sa reprise de « How Deep Is Your Love » en duo avec Yebba. En 2020, rebelote. Il repart avec un deuxième trophée : Best R&B Song pour « Say So » avec Jojo. Bien sûr, on connaît les polémiques qui entourent la cérémonie. Mais dans ce cas précis, qu’importe : ces deux gramophones sont mérités et viennent récompenser un véritable workaholic. Parce qu’en 3 ans, PJ a sorti – pas moins de – 2 albums studio, 1 album de Noël et 2 albums acoustiques sur son label Morton Records (toute ressemblance avec le légendaire label de Détroit, fondé par Berry Gordy n’est pas fortuite).
Accompagné de son plus fidèle compagnon, le natif de New Orleans donne une autre jeunesse à ses chansons. The Piano Album a été capturé en une seule prise et ce, en petit comité, dans une ambiance intime.
L’acoustique de « READY » ouvre le bal mais ne surpasse pas vraiment son équivalent studio au refrain syncopé (proche d’un beat trap) et légèrement « rappé ». Or, « READY » (version originale) puise sa force dans ce changement de rythmique. En mettant en perspective les deux versions, on est forcément un peu déçus. Cette « césure » est plus marquée dans la session COLORS SHOW et là, on applaudit.
Ce début timide n’enlève rien à la qualité des titres suivants. En solo d’abord. Enfin, presque : sa famille, des amis et des proches collaborateurs l’entourent, improvisent des chœurs et créent la rythmique à coups de claquements de doigts et de mains.
On retiendra, « First Began », touchante déclaration d’amour à sa femme et âme sœur, Kortni Morton. Avec « Go Thru Your Phone », « Two Hearts », « KID AGAIN », « Alright » ou encore « Mountains and Molehills », PJ se promène paisiblement sur des boulevards musicaux empruntés par ses aînés : notamment son père Bishop Paul S. Morton (pasteur, interprète, auteur, musicien, chef de chorale). Biberonné au Rhythm & Blues, à la Soul et au Gospel, PJ a passé sa vie derrière un piano. Il est loin d’être un imposteur ; soyez-en convaincus.
Côté collaborations, on retrouve : le quatuor familial The Walls Group (adoubé par Kirk Franklin, artiste Gospel le plus respecté des Etats-Unis) sur « Everything’s Gonna Be Alright » ; l’impératrice Rapsody au flow – toujours – impeccable sur « DON’T BREAK MY HEART » et la résiliente Jojo. Ex-star teen-pop 90’s, la chanteuse a fait un comeback retentissant ces dernières années en reprenant, avec courage, le contrôle total de sa carrière. Elle sublime « Say So » de sa voix harmonieuse et place subtilement des mélismes exquis. Là, la version acoustique devance la version d’origine : un piano suffit à rendre ce featuring magique.
Lorsque The Piano Man touche à sa fin, on s’attend – inconsciemment – à un titre de ce calibre et on imagine un final en apothéose. Mais la reprise de The Bee Gees est bien éloignée de nos espoirs… La prestation timide d’Alex Isley (fille d’Ernie Isley, membre de The Isley Brothers) frise l’amateurisme. Elle ne parvient pas à s’approprier « How Deep Is Your Love » malgré les efforts déployés par PJ : incapable de nous convaincre de sa légitimité et d’insuffler un semblant de groove à ce classique intemporel… En même temps, passer après Yebba à la voix chaude et jazzy était un pari presque perdu d’avance.
PJ renoue avec une tradition des 60’S et des 70’s : l’album de Soul live. On se souvient des prestations exceptionnelles de Marvin Gaye, Donny Hathaway, James Brown, Curtis Mayfield, Otis Redding ou Bill Withers.
Pourtant, c’est un autre monstre sacré qui nous vient à l’esprit à l’écoute de l’album : Stevie Wonder. Fan inconditionnelle, je retrouve l’âme et l’héritage de ce génie dans le travail de Paul. L’influence est flagrante – sans frôler le mimétisme. Mais la comparaison s’arrête au style. Le timbre de PJ est certes plaisant mais ne rivalisera jamais avec celui de Stevie, malléable et surpuissant. PJ le sait mais a su travailler sa technique. Le résultat : une palette vocale élargie, un chant plus nuancé et expressif qu’à ses débuts.
Pour la petite histoire : en 2013, PJ et Stevie ont collaboré sur un morceau enjoué et soulful entièrement composé par l’élève. Le maître y joue de l’harmonica, son instrument de prédilection. Le morceau en question, « Only One », sera nommé aux Grammys l’année suivante dans la catégorie Best R&B Song mais repartira bredouille.
PJ aime la spontanéité du live. Il l’a prouvé, en 2008, avec Live From LA et, en 2018, avec Gumbo Unplugged (Live). Cette année, il remet le couvert. Une belle manière de commencer la décennie et de remercier le public de sa ferveur. Mondialement, ses tournées ont fait carton plein. En France, il s’est produit, 2 années consécutives, sur la scène du Bizz’Art – à guichets fermés.
Son premier concert m’a personnellement laissé un souvenir impérissable. Entre le public et les artistes, l’alchimie était totale : comme s’ils se répondaient mutuellement. PJ, son band et ses choristes The Amours ont su créer une ambiance anachronique en nous transportant dans une capsule spatio-temporelle pour atterrir dans un club moite du Harlem des années 70. Il faut le vivre pour le croire… Si vous n’avez jamais vu PJ en concert, jetez un œil à la version filmée de Gumbo Unplugged. Cet enregistrement de 40 minutes devrait vous convaincre et raviver la mémoire des plus chanceux…
En demi-teinte, The Piano Album peut sembler redondant après la sortie récente de Gumbo Unplugged : difficile de se renouveler en publiant 2 albums live dans un laps de temps si court… PJ aurait pu (dû ?) piocher dans son ancien répertoire et déterrer des titres méconnus pour faire de The Piano Album une proposition totalement inédite. Mais, il reste toutefois efficace et surtout sincère – comme son auteur. C’est pour cette raison que l’on pardonnera ses imperfections et qu’on vous conseille son écoute.
Mélodieuses, les chansons de PJ Morton pourraient aisément investir nos foyers, tourner en boucle sur nos enceintes pour conquérir le cœur de nouvelles générations. Le contexte est propice. Boudée pendant trop longtemps, la Soul Music peut retrouver un nouvel essor et ses lettres de noblesse en 2020. C’est notre vœu. PJ Morton a semble-t-il formulé le même… Patience est mère de toutes les vertus…
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