Papi Teddy Bear : chronique d’un petit ours brun devenu grizzly

Le début de la collaboration entre Pense et Papi Teddy Bear

Papi Teddy Bear : chronique d’un petit ours brun devenu grizzly

Originaire de Massy-Palaiseau (91), Papi Teddy Bear a fait son apparition dans le paysage rap français en février 2023. Depuis, il n’a cessé de poser les premières pierres d’une grande carrière grâce à une palette artistique en perpétuelle évolution. Retour sur les 18 brillants premiers mois d’un artiste à surveiller dans les années à suivre. 

Une arrivée tonitruante

3 mai 2023. Papi Teddy Bear, complètement inconnu au bataillon, compte bien se faire un nom. Pour ce faire, rien de mieux que de mouiller le maillot face au micro. Sur le premier épisode du format de battle freestyle intitulé Le sale Versus, Le Chroniqueur Sale présente un rappeur versatile affichant une confiance rarissime sous sa casquette sous laquelle se dévoile à peine le visage de l’intéressé. Or, ce jour-là, ce ne sont pas les yeux qui en prennent plein la vue mais bien les oreilles, presque déçues de ne pas en avoir plus à se mettre sous la dent. En effet, à travers 4 performances de haute volée, Papi Teddy Bear dévoile des flows plus que maîtrisés saupoudrés de punchlines marquantes : “Petit ours brun devient grizzly. Garde ses séquelles. Papi Teddy Bear, je réitère. Je me réveille, leur met le coup de patte, puis je réhiberne”.

De toute évidence, Papi, comme il aime se surnommer, s’inscrit dans la cour des rappeurs qui ne pratiquent pas la même discipline que les autres. Une discipline faite de fulgurances, d’aisances et dont l’aboutissement est la reconnaissance du public grâce à des classiques. Si certains diront qu’il faut rester raisonnable, cette aisance est loin d’être anodine et ne peut pas être uniquement due à la surperformance d’un jour.

En dépit de la ténacité que Gal avait à lui proposer, les auditeurs et auditrices ne s’y sont pas trompé·e·s : 70 % des 7 000 votants élisent un Papi Teddy Bear vainqueur de ce duel. En dépit de cette garantie d’un niveau minimum très élevé, rien n’assurait néanmoins que ces performances allaient se traduire sur des projets. Combien de rappeurs techniques n’ont jamais réussi à livrer de disques qualitatifs ? Or, 3 mois auparavant, le 24 février 2023, Papi Teddy Bear avait publié le confidentiel Ego, un EP introductif de 6 titres. Il était donc temps de rattraper le retard accumulé pour y voir plus clair.

À la conquête des charts 

Sans surprise, dans la lignée de sa performance qui allait suivre, les talents de rappeur de Papi Teddy Bear sont mis en lumière sur Ego. De fait, sur ce premier disque, il possède déjà toutes les cordes classiques à son arc : rimes riches, punchlines marquantes, recherche des mots, variation des instrumentales et une vraie maîtrise du storytelling sur les titres “Enquête impossible” et “Interlude”. Pour autant, l’EP ne se limite absolument pas à une simple maîtrise technique, désormais de plus en plus commune. En ce sens, l’intérêt d’Ego réside dans le fait que cette technique est mise au service d’ambitions bien plus diverses.

Tout d’abord, Ego transpire l’ambition de devenir le commencement d’une histoire destinée à figurer au Panthéon du rap français. De fait, Papi Teddy Bear aspire à faire de la grande musique, comparativement à tous les albums un peu fades que l’ère du streaming a pu engendrer : “Quoi de plus fort que la bonne conscience, quoi de plus faible que les albums qu’on se lance. Je viens faire grimper la courbe, troquer le bruit par de brutaux silences.” Par conséquent, son œuvre est tirée par le haut par cette ambition débordante qui le rend meilleur au quotidien : « J’attends plus que le bonheur vienne puis m’épouse. J’attends plus qu’on me motive qu’on me pousse. J’attends plus de vie paisible, voire de mort toute douce ».

Un nouvel acteur dans la grande histoire du hiphop

Ainsi, Papi Teddy Bear s’inscrit directement dans la lignée de ceux et celles qui essayent de défendre la vitalité de cet art qu’est le hiphop. Si Lino s’était efforcé de démontrer que « le rap n’était plus » en 2015, force est de constater que ce postulat, déjà hautement contestable, s’avère ici obsolète. À cet égard, il s’autoproclame B-Boy sur un morceau et quand il ne le fait pas, il mentionne Snoop sur “Ben Affleck”. En témoigne la recherche d’un groove sur la plupart des morceaux : parfois avec des drums, parfois avec un saxophone, parfois avec des mélodies.

Or, à cela s’ajoute une capacité à se livrer sur ses émotions : « Papa lui voudrait que je performe, faut faire les hautes études. Engranger les gains stables. S’ils savaient comme la musique c’est mon oxygène.”, tout en étant drôle par séquence : « Suffit pas de faire ce que je fais pour être Pape : je suis comme Cetelem”. En somme, Ego représente un premier EP quasi parfait, mettant en exergue la vaste palette de l’artiste; tout en ouvrant d’heureux horizons à la mélodie sur les deux derniers morceaux.

“Papi Pense, les nouveaux Beatles”

Bien que tout semblait cohérent dans la démarche de Papi Teddy Bear, il paraissait évident que les instrumentales n’étaient pas encore au niveau de ce qu’il pouvait proposer au micro. Par ailleurs, si les tonalités étaient relativement proches, la cohérence musicale n’était logiquement pas encore optimale. Après tout, Ego se voulait être une ébauche. Dès lors, Papi se devait de trouver son tandem, un acolyte capable de faire passer un cap à sa musique en lui donnant une âme : “là faut me parler d’âme et pas de schémas de rimes.” (extrait du morceau “La Chauffe”). Or, cet acolyte porte un nom bien connu : celui de Pense. Récemment arrivé dans l’écosystème rap français, Pense s’est rapidement fait un nom grâce à ses multiples productions marquantes pour B.B. Jacques. On pourra notamment mentionner « Opium » et « Dystopia » en ce sens. 

Place aux fans de ferraille

Désormais bien entouré, il était temps de descendre dans les bas-fonds pour lancer un plan à deux vitesses : la Chauffe puis la Trempe. Bien évidemment, ces termes font référence aux différents traitements du métal. L’idée est plutôt simple. En métallurgie, chauffer le métal engendre un mouvement des atomes. Dès lors, ces derniers se réorganisent et éliminent les défauts initiaux d’organisation. Par la suite, la trempe permet d’améliorer la durabilité et l’élasticité du matériau : “La chauffe puis la trempe, ça endurcit le platine”. (sur “la Chauffe”)

Comment ne pas y voir un subtil parallèle avec la direction artistique de la carrière du duo ? En ce sens, sur la Chauffe il s’agirait de gommer les quelques défauts présents sur Ego avant d’enrichir l’offre musicale sur la Trempe. Au-delà de cette simple volonté, ces titres traduisent une esthétique musicale plus dure que sur Ego, vouée à évoluer entre les deux projets tout en suivant une ligne directrice.

Une très bonne première mi-temps 

“Leebon”. Tel est le titre du quatrième morceau de ce premier EP. Or, ce terme est directement issu du wolof; une langue assez répandue dans plusieurs pays d’Afrique du Nord-Ouest dont le Sénégal, d’où est originaire Papi. Traditionnellement, ce substantif portait en lui un devoir introductif pour les conteurs d’histoire qui, une fois le “Leebon” prononcé, pouvaient démarrer leur récit.

Dès lors, sur ce disque, Papi Teddy Bear vient nous conter une seule et unique histoire. La sienne. En effet, ses atouts entrevus précédemment au micro demeurent sur ces cinq titres extrêmement variés. Papi y démontre son ambition grâce à des flows tranchants et des interprétations intenses tout en mettant la lumière sur ce qui l’anime : “elle me demande qui je suis. Je suis la somme de 50 ans d’hiphop” (présent sur “Quishui” que l’on avait relayé sur la TV il y a quelques mois). Néanmoins, tout orateur le sait, une histoire a beau être passionnante dans son contenu ; si les éléments rhétoriques n’y sont pas, alors celle-ci sera jugée décevante.

Ainsi, la Chauffe résulte non pas du travail d’un seul homme mais bien de deux. De fait, sur le disque, Pense brille tout autant que Papi Teddy Bear. Tout au long du projet, l’esthétique y est minutieuse et fait office de véritable fil conducteur entre les morceaux. Globalement, la recherche d’une musique très dure traduit cette montée en intensité qu’incarne la période de la chauffe du métal. En témoignent par exemple les drums qui tapent extrêmement fort sur l’introduction. En ce sens, ces instrumentales apportent tout le corps qu’il manquait précédemment à la musique de Papi Teddy Bear pour lui donner un surplus d’âme et correspondre à son énergie débordante. Par ailleurs, chaque artiste devrait laisser dérouler les instrumentales, comme ils le font, à la fin des morceaux. Au-delà de garantir le plaisir auditif des férues de rap, cela permet véritablement d’instaurer une ambiance particulière tout au long du projet.  

Un Papi Teddy Bear transformé aux retours des vestiaires 

Après la terrible montée en température sur La Chauffe, de la nouveauté se devait d’être introduite sur La Trempe, publié le 29 mai 2024, afin que la métaphore prenne tout son sens. Et comment dire ? Ces messieurs ne s’y sont visiblement pas trompés.

D’emblée, une nouvelle atmosphère est introduite sur l’excellent titre “La forge”. En effet, cette entrée conquérante fait l’office d’une annonce; comme pour attirer l’attention sur ce qui allait suivre. Il en ressort une hargne extraordinaire dans l’interprétation sur des tonalités épiques ; sans oublier de subtiles références qui font sourire. Si Nubi et Lunatic ont le droit à leur petit clin d’œil, des parallèles moins clairs peuvent être dressés : “le chat nahess, les souris dansent le Charleston”. En parallèle, en 2018, Alpha Wann s’était lui aussi attaqué à ce fameux dicton sur le titre “Macro” : “Quand le chat n’est pas là, les souris se prennent pour Chris Brown.” Référence ou pas ? Le mystère reste entier. 

De fait, cette annonce laisse place à trois morceaux illustrant la mutation artistique opérée chez Papi Teddy Bear en l’espace de 18 mois. S’il s’essaie avec succès aux joies du single extrêmement bien rappé et au refrain accrocheur sur “Booba en 99”, il délivre des performances véritablement poignantes sur “Massypal” et “Pleurs de Golem”. Grâce à sa justesse dans l’interprétation, Papi communique son blues avec beaucoup de sincérité et de finesse. Les refrains chantés y sont maîtrisés et le rendu est globalement très satisfaisant.

Enfin, le projet se conclut sur un titre éponyme d’une intensité rare, où Papi et Pense éclaboussent le terrain musical de leur complémentarité et de leur cohérence dans le choix des instrumentales et des interprétations. À en croire que : “la qualité justifie l’attente.”

Des débuts fulgurants, si ce n’est trop ? 

En l’espace de 18 mois, Papi Teddy Bear est passé de parfait inconnu à un rappeur qui semble déjà avoir trouvé sa voie. En ce sens, sa collaboration avec Pense lui permet de proposer une musique unique, à l’écart de la proposition commerciale actuelle, tout en honorant cet art qu’est le rap.
Évidemment, certains points restent encore à améliorer. En effet, si Papi souhaite perdurer et marquer l’histoire comme cela a l’air d’être le cas, il semble impératif de trouver une meilleure cohérence lyricale dans ses projets en affinant sa plume et en trouvant des sujets originaux qui lui tiennent à cœur.

À la vue d’un tel potentiel, il est désormais légitime de s’interroger sur la capacité de Papi Teddy Bear à rester captivant sur un projet d’une quinzaine de titres plutôt que sur cinq. Si l’on se fie à la courbe que sa carrière a l’air de suivre, tout semble indiquer que Papi Teddy Bear est bel et bien là pour durer. Ainsi, le petit ours brun est d’ores et déjà devenu grizzly, sans que la majorité des auditeurs et auditrices n’aient eu le temps de le voir grandir. Force est de constater que Papi compte bien forcer la décision et se faire un nom dans les années à venir.