Alors qu’il vient de clôturer une incroyable période durant laquelle tout ce qu’il a touché s’est transformé en or (Casseurs Flowters, Bloqués, Comment c’est loin), on aurait pu penser qu’Orelsan laisserait éclater sa joie et qu’il accoucherait d’un album dans cette veine. Peine perdue, le rappeur caennais renoue avec ses démons et prouve que pour lui La fête est finie n’est pas que le titre d’un disque…
Noir c’est noir
Et Orelsan ne nous laisse pas le temps d’en douter puisque dès le premier titre, « San », il nous fait ouvertement part de ses doutes en se qualifiant de génie du mal comme s’il assumait enfin totalement sa part d’ombre. Parfois à la limite de la dépression, il est borderline mais refuse de craquer devant la folie du monde qui pourtant le malmène et le traumatise, réussissant même à reprendre le dessus dans un second temps. Mais n’en doutons pas, pour lui, La fête est finie : maintenant, il sait ce qu’il veut et qu’il y est. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que contrairement à ce que son image publique peut laisser paraître, Orelsan n’est fondamentalement pas quelqu’un de gai, ses doutes sont trop nombreux et trop importants pour qu’il se laisse aller. Aujourd’hui âgé de 35 ans, il a compris que les choses ont changé. Et puis, il a accompli tant de choses qu’il y en a sans doute moins pour continuer à le pousser vers l’avant. Pire, il semble même parfois en décalage avec le monde qui l’entoure. Tout cela n’est pas très réjouissant, mais au moins, il ne se cache pas derrière son petit doigt. Réaliste, il a décidé d’assumer. Du coup, le reste de l’opus garde cette tonalité, que ce soit « Basique » et son enchaînement de vérités que personne ne veut accepter, « Tout va bien », ou comment cacher la désespérante vérité à un enfant ou même « Défaite de famille », titre dans lequel le repas du dimanche et les gens autour de la table en prennent pour leur grade. Ne nous voilons pas la face, Orelsan débarque avec un album sombre, voire très sombre. L’artiste est un homme désabusé qui ne veut plus faire semblant, y compris en ce qui concerne sa célébrité (« Quand est-ce que ça s’arrête ? »).
Il y a de l’espoir
Orelsan a grandi et mûri. C’est une certitude. Là où d’autres y verraient un bienfait, il semble que cette évolution le perturbe, qu’il a plus de mal à assumer sa nouvelle position, son nouveau statut. Il aurait presque fait le tour de la question et apparaît à la recherche de la nouveauté qui va relancer le moteur. Dans « Zone », il explique même être à la recherche d’un feeling perdu. Attention cependant, tout n’est pas désespoir et dans les deux derniers morceaux du tracklisting, Orelsan se veut plus positif. « Paradis » est une chanson d’amour au sens strict à prendre au premier degré dans laquelle les mots sont très forts mais où subsiste un fond de cynisme. Enfin, « Note pour trop tard » est un morceau de bravoure, où il se parle à lui-même autant qu’il donne des conseils à un jeune homme. Il tire un bilan de son expérience et il semble que chez lui, l’apprentissage ait été douloureux notamment quand il a fallu éviter les regrets. Finalement, il réussit tout de même à terminer son album sur une note d’espoir : tout ça, c’est la vie, avec ses bons et ses mauvais côtés mais ce qu’il faut surtout, c’est profiter, être heureux et ne jamais perdre de vie ces petits choses qu’on néglige trop souvent.
Surfer sur les courants
Musicalement aussi, Orelsan a évolué. En 2017, il s’appuie sur des prods très modernes qui vont du cloud rap à l’electro en passant par le grime, pas toutes façonnées par son acolyte Skread d’ailleurs. C’est parfois très épuré, et parfois plus planant comme dans « La lumière » . Il sait aussi revendiquer ses influences UK comme dans « Zone » (certainement le plus gros morceau de l’album) en featuring avec Nekfeu et Dizzee Rascal. Dans « Bonne meuf », produit par ses soins, c’est la construction du morceau qui surprend puisque tous les lyrics se terminent par l’expression « bonne meuf » scratchée. S’il alterne les styles, il s‘essaie aussi à l’afro avec « Christophe », featuring Maître Gims, Orelsan réussit à créer une vraie atmosphère sur son disque et impose un univers qui lui est propre. S’il prend des risques, ces derniers ne sont pas que musicaux, il sait aussi se mettre en danger en adaptant son flow comme sur « Dans ma ville, on traîne ». Et si jamais ce n’est pas le son qui créé un environnement, c’est le thème comme avec « La pluie », featuring Stromae.
Au final, on est en face d’un disque mature, bien pensé, bien produit et dans lequel Orelsan réussit une chose rare : imposer son style et être reconnaissable dès les premières notes, la marque d’un grand.