Orelsan, leçons de spleen

orelsan-interview

Orelsan, leçons de spleen

Triple disque de platine La Fête est finie, trois nominations aux Victoires de la Musique, des critiques dithyrambiques… Depuis le 20 octobre 2017, Orelsan ravage tout sur son passage. Il a fallu la sortie d’un autre disque attendu, Trône de Booba pour que la machine ralentisse (légèrement…). Comme tout ce qu’il a touché ses dernières années (Les Casseurs Flowters, Bloqués, Comment c’est loin et sa BO), La fête est finie a rencontré le succès. Alors que tout lui sourit, Orelsan a pourtant accouché d’un opus particulièrement sombre, aux antipodes de ce qu’il vit. Plus qu’un simple passage à vide, c’est un vrai état d’esprit contre lequel il a essayé de lutter avant de finir par l’accepter. Ce spleen que le rappeur caennais traîne est une composante majeure de sa personnalité. Alors, plutôt que de le nier, il a décidé de faire avec et, évidemment, cela se ressent sur sa musique et ses projets. Rencontre.

Éternel insatisfait

Le succès, Orelsan connaît. Depuis son premier projet, Perdu d’avance, il marche avec ce compagnon si particulier à ses côtés. Au point qu’il en a même fait un des thèmes centraux du titre « Quand est-ce que ça s’arrête ? », comme si c’était un fardeau parfois un peu trop lourd à porter. Pourtant, qu’il le veuille ou non, le Caennais a tout du golden boy, les chiffres de son dernier opus n’en sont qu’une preuve de plus. Malgré tout, si tous ses projets de ces dernières années ont fonctionné, il y trouve encore à redire : « les bons chiffres me motivent évidemment, admet-il tout de même, mais ils ne sont pas incroyables non plus, ce sont souvent de beaux succès d’estime. » Après réflexion, il reconnaît : « peut-être que j’en demande trop aussi… » Peut-être oui, mais le ver est dans le fruit, alors, comme si c’était plus fort que lui, il y revient presque naturellement : « j’ai eu de bonnes critiques sur mon film, mais je n’ai pas fait le score d’Intouchables non plus ! » Orelsan est-il trop exigeant ? Certainement, mais son rythme de vie effréné ne lui permet pas non plus de prendre le recul nécessaire pour apprécier ses succès : « j’avance sur beaucoup de choses différentes en même temps. Du coup, je n’ai pas le temps d’apprécier le succès. Quand quelque chose fonctionne, je suis en général déjà parti sur autre chose. De toute façon, j’ai toujours l’impression que je peux toujours faire mieux ».

Envie d’être positif

Alors que son auteur vit une période dorée, c’est sans doute ce trait de caractère qui explique la tonalité aussi sombre de La Fête est finie. Pas vraiment conscient de son succès ou totalement hermétique à ce qui l’entoure, Orelsan n’a pas réussi à transposer le positif de sa vie dans sa musique. « Pourtant, jure-t-il, je voulais vraiment que cela soit mon disque le plus positif, mais je n’y arrivais pas forcément. Alors, j’ai décidé d’assumer ma part de doute et de spleen. Du coup, même une chanson d’amour très premier degré comme ‘Paradis’ sonne très dark. » Lucide, il cesse son combat contre un sentiment qu’il sait finalement profondément ancré. « Je pense que c’est quelque chose que j’aurai toujours en moi, reconnaît-t-il. Je me poserai toujours autant de questions. » L’album positif sera donc pour plus tard… Et pourtant, outre sa propre volonté, il y avait tout pour que son troisième projet solo soit un disque lumineux. Dans son environnement immédiat, tous les signaux étaient au vert, on l’a vu. D’autres signes montraient qu’à l’évidence, La Fête est finie allait être un succès. L’attente autour de ce projet était notamment bien supérieure à ce qu’Orelsan voulait bien croire. Surtout, elle concerne des auditeurs assez jeunes, preuve que le rappeur caennais a su se renouveler et a réussi à conquérir, à chaque fois, un nouveau public. Orelsan apprécie de voir que ce qu’il dit « touche les gens. Ça fait vraiment plaisir même si je ne comprends pas vraiment pourquoi. » Toujours dans le doute, il aurait pu aussi s’appuyer sur « Basique », le premier single de l’album, annonciateur du raz-de-marée à venir, pour l’éteindre. Surtout que, cette fois, il l’avait presque vu arriver. « Avec ‘Basique’, je savais qu’on avait un bon titre et un bon clip. Mais je ne pensais pas que ça prendrait aussi vite. » Le doute toujours, fidèle compagnon d’Orelsan qui explique aussi ne pas avoir « bien ressenti l’effervescence » ajoutant tout de même, qu’il est « content parce que ça se passe très bien ». Ah tout de même ! Un enthousiasme vite douché par le rappeur, dans la foulée ou presque : « cela ne m’empêche pas d’avoir des doutes. Souvent je me réjouis sur le coup, ça dure une heure et puis je passe à autre chose ». Démoralisé Orelsan ?

Spleen et plus si affinités

N’allons pas si loin. Le terme spleen paraît plus adapté au syndrome décrit et reconnu par Orelsan. On pourrait y ajouter qu’il admet aussi être parfois désabusé, ce qui est assez criant dans plusieurs morceaux de La Fête est finie. « En écrivant cet album, je me suis parfois auto-déprimé, sourit-il. Je vais au fond des choses et comme je suis bon dans la noirceur, j’ai une forte capacité à développer des choses très sombres, ça ressort nettement dans ce disque où il y a des chansons très dures comme ‘Tout va bien’ « . Néanmoins, il convient de ne pas l’enterrer trop vite. S’il est conscient des symptômes, il se soigne, cherche et trouve des motifs d’espoir comme les titres « Paradis » et « Notes pour trop tard » qui terminent le disque. Mais, malgré ses efforts, ce n’est pas ce qui ressort de son album. La preuve avec cette anecdote sur son featuring avec Dizzee Rascal. « Je l’ai rencontré chez un ami commun. Comme je suis fan, j’ai voulu lui faire écouter les morceaux sur lesquels j’étais en train de travailler. Quand il a entendu ‘Zone’, il a pété un plomb tellement il a ressenti l’atmosphère dark de la chanson. » Orelsan a beau essayer de s’en éloigner, on y revient toujours. Il est habité par le doute, constamment, et ses succès passés n’y changent rien. Au contraire, ils pourraient même en être un des principaux facteurs. Alors qu’il multiplie les activités, qu’il compte cinq disques, les questions ne se tarissent pas, au contraire. « A chaque fois que j’entame un nouveau projet, je me demande si je vais encore intéresser les gens », raconte-t-il. « C’est cool à faire, mais c’est dur », conclut-il.

Toujours tout donner

Orelsan ou l’accouchement dans la douleur. Alors, pour donner le meilleur de lui-même, ne pas décevoir ni ses fans, ni lui-même, il bosse comme « un fou », bien loin de l’image nonchalante qui continue pourtant de lui coller à la peau. On ne peut pas réussir autant de choses que lui en se contentant du strict minimum. Là encore, il y trouverait presque à redire… « L’aventure Casseurs Flowters devait être assez courte, elle a finalement duré quatre ans. J’ai mis un an et demi pour faire cet album. Le pire dans cette histoire, c’est que j’écris lentement. Je mets au minimum une semaine pour faire une chanson. Si je travaille autant, c’est que je suis assez lent, surtout que je me lance souvent sur plusieurs projets en même temps. Je travaille énormément. C’est fini depuis longtemps la fainéantise. » Sans doute aussi légèrement angoissé, Orelsan ne peut rester sans rien faire. Son ambition, son besoin de création, son intelligence ne le supporterait pas. Alors, en 2017, il sait ce qu’il va faire « sur les deux-trois prochaines années ». « Je travaille déjà sur des projets pour 2019 et pour les mener à bien, je suis obligé de planifier sur le long terme. »

Alors si le spleen cher à Baudelaire est sans doute l’un des traits de caractère principaux d’Orelsan, un fait que même le succès ne semble pas pouvoir atténuer, il s’en sert comme d’une force. Et, plutôt que d’être tiré vers le bas, il l’utilise pour regarder vers le haut et réussir tout ce qu’il entreprend. La Fête est finie en est le plus parfait exemple…