Pourquoi ? C’est la question que l’on peut se poser durant la première écoute de Civilisation perdue, dernière livraison du rappeur de Caen.
Pourquoi sort-il cette réédition à quelques mois seulement de son album le plus abouti ?
Pourquoi en plein milieu de sa tournée ?
Pourquoi résonne-t-il à chaque titre comme autant de prises de risques tellement il détonne par rapport aux premiers tracks de l’album ?
Évidemment c’est un formidable coup marketing, Orelsan est en pleine gloire, les ventes vont suivre à coup sûr. On s’attend à un multiple platine assuré. En plus on connaît la capacité pour la 7th magnitude à faire preuve d’une créativité débordante pour réussir à vendre des exemplaires physiques de ses albums (galettes personnalisées, tickets d’or, etc.). OrelSan est devenu au fil des années une machine à succès instantané et à lui seul une entreprise très rentable. Pour autant, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne court pas après les streams ni l’argent, pour preuve son mode de vie simple qui transpire dans la seconde saison de « Ne montre jamais ça à personne ».
Alors, POURQUOI ? Après une seconde, voire une troisième écoute de ces quelques titres, on obtient des embryons de réponses ou de réflexions.
OrelSan est le président du rap game : il a réussi à réunir, à élargir sa base d’auditeurs pour s’imposer auprès d’un très large public. Tout le monde aime Orelsan, ou à minima on peut affirmer que peu le détestent. En même temps, on imagine assez bien, quand on connaît le personnage, que cette place n’est pas forcément des plus confortables.
Avec cette version de lui-même, en quelques titres qui semblent un peu brouillons, il a peut-être essayé de se dynamiter, de rétablir la vérité sur sa personne et revenir un peu sur terre. De faire également redescendre son public sur l’image qu’il a de lui. Ces titres parlent évidemment de succès (son quotidien) mais aussi d’échecs (son fonds de commerce). OrelSan est familier de la thématique, les ratés étant le fil rouge de toute sa discographie et au cœur de l’ADN de son personnage. Après un succès sans précédent, il souhaite y revenir, s’en inspirer à nouveau.
Le ton est donné avant même d’écouter un premier son, à la lecture de la tracklist, tous les titres sont précédés d’un CP-XX annonciateur que les morceaux proposés sont livrés à l’étape de maquettes, Orelsan a donc décidé de l’assumer ouvertement. Dès le premier titre, on comprend qu’il se passe quelque chose d’inhabituel, d’inattendu et probablement d’inédit : bruits de fond, toussotements, le tout sur un piano-voix non travaillé. Ces approximations, nous allons les retrouver sur tout l’album, parfois de manière encore plus primitive comme sur le titre Ah la france dans lequel OrelSan hurle dans le micro. Dès les premières notes l’auditeur qui sort d’une version de Civilisation parfaitement maîtrisée ne peut qu’être surpris, voire même en situation d’inconfort. Ces versions maquettes sont-elles alors un cadeau que l’artiste fait à son public, en ouvrant la porte de son process de création ou est-ce un message qu’il souhaite passer, envoyer de la brutalité, pour sortir de la fame des projets bien calibrés auxquels il a fini par nous habituer.
Ce titre d’intro marque également assez bien l’ambiance musicale générale de l’Album, si la première moitié du titre est un piano voix il s’enchaine assez soudainement sur de l’électro daté années 2000. L’ensemble de l’album nous fait voyager entre ces contradictions avec certains morceaux quasiment entièrement guitare-voix, sur les titres Juste un dernier ou Nous contre le monde, toujours avec une voix non travaillée, brute, souvent teinté de fausses notes, et des rythmes électro très datés parfois à la limite du burlesque comme sur le titre OK…Super…
Pour sortir un peu plus de son statut de superstar, OrelSan revient donc à une écriture et une prod moins calibrées, moins calculées. OrelSan, Ablaye et Skread, c’est une armada qui ne doit rien au hasard : gros bosseurs et fins connaisseurs des recettes du succès. Sur ces 10 titres, on retrouve un OrelSan plus proche de l’artiste qu’il était à ses débuts, qui dans ses flows et ses textes nous rappelle l’univers de Perdu d’avance. Son écriture semble moins précise, les morceaux s’enchainent un peu aléatoirement, sans réel fil conducteur : de la brutalité, sans calcul, sans réflexion, dans la normalité. Sur toujours perdu quand même, on l’entend nous confier « J’ai aussi une marque de streewear qui marche pas / P’t-être parce que j’ai rien de street, j’aurais dû faire des pyjamas » ou encore sur Nous contre le reste du monde, dans lequel son désir de paternité reste inassouvi.
Une fois passé l’inconfort et la surprise, on se laisse assez facilement happer par une certaine harmonie qui se dégage du projet dans sa globalité. Cette approximation dans l’interprétation, parce qu’elle est clairement assumée, génère naturellement une impression de proximité avec l’artiste. On est comme assis à côté de lui à écouter ses projets, une guitare à la main. Cette proximité est encore plus accentuée dans Les aventures de MiniSan, où OrelSan, se livre vraiment se confie presque sur ses blessures d’enfances le tout sur une prod LoFi, telle une caresse qui nous mets dans les meilleures dispositions pour écouter un ami se confier. On ressent d’autant plus la présence de l’artiste tant les paroles semblent empreintes de vérités. Cet état d’esprit qui irrigue l’ensemble des titres crée assez naturellement une envie de continuer l’écoute, presque à la recherche d’une nouvelle anecdote pour cerner un peu plus le personnage.
En se demandant pourquoi OrelSan en est arrivé à sortir ces titres, on a donc l’impression d’être à ses côtés, d’écouter et de pouvoir donner son avis. L’importance et l’influence de l’entourage étant une constante chez les rappeurs, et encore plus chez OrelSan qui développe un besoin maladif de validation, on a envie de l’aider. Il nous consulte, et nous livre Les aventures de MiniSan et Point de rupture, comme des versions alternatives de La quête ou Bebeboa. Impossible de ne pas se demander quelles versions sont celles que nous préférons. Il laisse le public choisir entre une alternative totalement aboutie et une autre plus primitive et authentique, les chiffres de streaming en seuls juges.
OrelSan est un habitué du genre, il a déjà testé ces allers-retours entre les éditions sur son précédent album La fête est finie en livrant des versions alternatives de ses sons : Adieu les filles en tant que suite de Bonne meuf ou encore La famille, la famille en réponse à Défaite de famille. Ici les versions alternatives forment un tout avec les originales, les deux étant travaillées au même niveau, on pourrait les inter-changer sur l’une ou l’autre des parties de l’album elles s’insèreraient naturellement. Cette fois-ci il réédite la performance mais bel et bien différemment, un titre de Civilisation Perdue détonnerait complètement avec la première partie de l’album tant ils sont similaires et différents à la fois. Les aventures de MiniSan et Point de ruptures sont plutôt des versions intermédiaires, qu’OrelSan pourrait se refuser à sortir car pas assez alignées avec les attentes du public. Une fois de plus il donne accès à sa cuisine, à son process créatif. On peut se questionner sur les raisons de cet excès de générosité. Le morceau Évidemment nous apporte peut-être quelques réponses lorsque OrelSan et Angèle reprennent en coeur « On voit juste la ligne d’arrivée / On voit jamais les obstacles qui viennent avant / la patience nous a quitté / on voit jamais l’effort et les conséquences ». L’aboutissement de l’album a été une épreuve tellement intense qu’OrelSan a choisi de mettre en valeur le processus, les efforts qu’il a fallu fournir plutôt que de se focaliser sur le résultat.
Ce morceau Évidemment nous livre donc peut-être la clé de lecture de cet album singulier et déconcertant. Ce titre est aussi celui qui détonne le plus avec le reste de l’album. Seul titre qui ne semble pas s’être arrêté à l’étape de maquette et où OrelSan sort de sa zone de confort, son flow doit s’adapter à un rythme plus rapide, pour un feat qui aurait pu tout à fait triompher en sortant en single. Ce qui nous amène donc à nous demander si les 9 autres morceaux ne servent pas uniquement de prétexte pour offrir un écrin plus complet à ce feat afin de faire briller un peu plus sa première dame.
Cet opus nous laisse également l’impression qu’OrelSan prépare sa sortie. Les échos à son début de carrière, les similitudes avec Perdu d’avance peuvent nous faire croire que pour lui la boucle est bouclée et qu’il peut passer à autre chose. Pour autant, les retraites de président dans le rap (et dans la politique ou la musique en général), on a du mal à y croire. De façon très primaire on peut penser que le morceau On a gagné annonce une fin de carrière. Alors quelle sera la prochaine étape ? On peut espérer qu’on n’en est qu’à la fin d’un chapitre et que le suivant arrivera bien un jour. Comme il le dit lui-même « Je suis dans le premier Mario / À chaque fois j’crois que j’ai fini le jeu, ça repart à zéro » alors pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? On peut aussi s’attendre à ce qu’il se concentre sur d’autres champs d’expertise dans lesquels il lui reste encore des étapes à franchir, et il a plusieurs cordes à son arc : cinéma, séries, textile. Sa facilité à se transcender dans tous les secteurs qu’il touche peut aussi nous faire miroiter tout autre chose, plus inattendu. Tout semble possible : la cuisine, la peinture, l’écriture et même peut-être se lancer en politique…
Et pourquoi pas ? « J’étais tout seul on est des milliers » est un slogan de campagne parfait.
Cette chronique a été rédigée par Jonathan Lacoste
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