Polymorphe, indomptable, foisonnant, il y a des projets qui époustouflent et sur lesquels nous aurions tort de ne pas nous attarder. Crabs In a Bucket que l’on traduit par « panier de crabes » est le troisième album de Nines et sans doute le plus complet. C’est un projet éclectique qui fait le pari rusé de ne pas se laisser classer. Jouant d’alternances successives, entre afrobeat sur « Airplane Mode », trap avec « All Stars 2 » ou encore R&B/Soul sur l’excellent « Stalker Interlude » avec la chanteuse Cherrie en featuring.
Métaphorique, « le panier de crabes » est une image sans équivoque. Ainsi le succès se gagne au prix de nombreuses batailles, dans un univers où les âmes malveillantes rôdent. Car le crabe excelle seul, là où la cohue le retient pour l’enchaîner. « First they love you, then they hate you, then they love you again. They say you’re meant to keep your enemies closer than friends » comme le déclare Skrapz sur « Energy ». Faut-il y voir un album revanchard ? Difficile de le savoir. Mais il est certain qu’avec cet album, Nines affiche un tournant. On devine un artiste qui s’est professionnalisé.
Car jusqu’ici Nines a préféré la qualité à la quantité. Déjà à l’origine de deux projets salués par la critique, Crop Circle et One Foot Out en 2018 et 2017, il avait été propulsé en tête des charts en Angleterre. Mais leurs puissances se trouvent relatives, au regard de ce nouvel album, où les punchlines s’abattent par rafale, les styles se font et se défont, et où notre MC joue sur les ressorts de l’introspection. C’est d’ailleurs un registre qu’il annonce dès le titre « Intro », où il évoque son père, atteint d’un cancer, puis sa fille.
Avant de sortir ses 17 titres, Nines avait dévoilé deux premiers morceaux, annonciateurs de la déflagration à venir. Parmi ces deux titres, « Clout » s’est retrouvé porté par un clip léché, signé Charlie Di Placido, mais la tête pensante de ce clip reste bien Nines. Dans ce clip faussement mégalo et drôle, le rappeur revisite les pochettes d’albums les plus célèbres, en se travestissant. De Stillmatic de Nas, à Get Rich Or Die Tryin’ de 50 Cent, en passant par The Blueprint de Jay-Z, ou encore Doggystyle de Snoop Dogg, il traverse les années et présente ses modèles. De fait, le clip fonctionne comme une timeline des influences musicales de Nines, un concept plutôt original et bien pensé.
Enfin, « Airplane Mode » en featuring avec NSG était le deuxième titre révélé avant la sortie de Crabs In A Bucket. Incroyable et dithyrambique, ce morceau constitue sans doute l’un des featurings les plus réussis de l’album. Véritablement connu, via le titre « Options » de Tion Wayne, et plus visible depuis la sortie de leur album Roots, le collectif NSG qui regroupe en son sein Kruddz, ODG, Papii Abz, Dope, Mxjib, et Mojo, est devenu une vraie caution artistique pour tout artiste qui voudrait chatouiller l’afrobeat sans se vautrer. C’est via de telles collaborations que Nines atteste de son éclectisme, et on y voit une recette de son succès.
Piloté par Charlie Di Placido, le clip « Airplane Mode » met en scène des passagers sereins où le cool règne en maître. On y retrouve un Nines détendu et un collectif qui verse dans le second degré à plein. L’ouverture du clip est d’ailleurs cocasse, puisqu’on assiste aux déclarations scabreuses d’un des membres de l’équipage.
Nines a aussi co-réalisé un court film avec Charlie Di Placido : Crabs In A Bucket – A Film By Nines. Il revient sur son évolution, passant ainsi des galères de la rue au succès, comme il l’évoque sur « Flex ». Mais notre rappeur est encore tiraillé par cette dualité. C’est d’ailleurs ce qu’il déclare dans « NIC » « I ain’t a rapper, I’m a drug dealer that raps. »
Enfin, parmi les collaborations phares de l’album, « Realist », produit par Quincy Tellem en featuring avec Nafe Smallz et Fundz est un véritable banger. Producteur brillant, Quincy Tellem réalise ici une prod planante, proche de l’univers de M Huncho pour notre plus grand plaisir.
Dans les incontournables, Nines réalise aussi une excellente performance aux accents afrosoul sur « NIC » en featuring avec l’artiste Tiggs Da Author. Cette collaboration prouve une fois de plus, l’alchimie sans faille qui existe entre les deux artistes, déjà remarquée sur les titres « Oh My » ou « Hoes » de Crop Circle et One Foot Out. Parmi les autres pépites, on s’attarde sur l’incroyable « Lights » feat. Louis Rei, qui tire son épingle du jeu et où Nines y sample l’envoûtant « Summer Madness » de Kool & The Gang.
Il n’y a donc aucun doute, Nines vient de décoller. On retiendra surtout que Crabs In A Bucket est un album tremplin et un passeport vers un public sans doute moins underground. Car avec cet album, caractérisé par ses influences et ses ambiances variées, il a déjà réussi à capter un public différent. En l’espace de deux ans, Nines s’est donc professionnalisé avec brio. A défaut d’un crabe, il semblerait qu’on tienne notre gros poisson.
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