Nous avions échangé avec le perpignanais quelques jours avant son concert à la Gaité Lyrique, qui devait, à la base, accompagner la sortie de son album. C’était il y a déjà neuf mois. Le rappeur nous confiait alors son appréhension face à cette date et ses doutes à l’approche de la release de son projet. En amont de la sortie cette fois-ci officielle de son premier album éponyme, nous avons de nouveau souhaité échanger avec Nemir, mais aussi avec ceux sans qui ce projet ne serait peut-être pas disponible aujourd’hui : En’Zoo (son producteur de toujours) et Gros Mo. Pour compléter l’affiche, nous avons demandé à son ami d’enfance, membre de son ancien groupe les 7 Piliers Capitaux Hassan Monkey de nous apporter son regard sur cette période de vie qui s’achève. Echange avec une fratrie soudée autour de cet album tant attendu.
Une des premières interrogations autour de cet album, c’est sa durée de conception. En faisant un tour sur les réseaux sociaux, on s’amuse rapidement à voir avec quelle imagination débordante les internautes se plaisent à rire de la durée d’attente autour du projet, certains déclarant même avoir perdu tout espoir de l’entendre de leur vivant. Pour autant, selon le principal intéressé, « la plupart des sons datent d’un an et demi et plus d’un tiers de moins d’un an. ‘Favela’ est un des plus anciens et a cinq ans déjà », même si son ami Hassan tempère : « Nemir a 35 ans, cet album a 35 ans également. C’est le résultat de pleins de choses et ce qu’il a sorti c’est ce qu’il a voulu sortir. Il enregistre tout le temps… ». Gros Mo évoque de son côté le côté urgent de cette sortie : « Il est sorti car si ça ne sortait pas c’était la bagarre pour de vrai. C’était très tendu. Le morceau ‘Des Heures’ est sorti il y a deux ans. À ce moment-là on se disait déjà que l’album allait sortir et entre temps, deux ans se sont écoulés. Sortir cet album est devenu une urgence ».
Une conception qui a donc vu l’état d’esprit de Nemir évoluer au fil du temps, comme le confirme Hassan : « Il cogite beaucoup et se remet énormément en question. Il est rarement satisfait de ce qu’il fait jusqu’au jour où il a eu un déclic en se disant qu’il devait y aller une fois pour toute ». Un passage à vide après l’EP Ailleurs a fait perdre énormément de temps au MC. Selon En’Zoo, « la grosse tournée de l’EP a épuisé tout le monde. On était en totale indépendance et d’un coup on voit arriver une maison de disque, donc cela a pas mal perturbé notre manière de faire, et au final s’en est suivi deux années de batteries à plat. On ne voulait pas faire un second EP Ailleurs, il fallait se renouveler dans une période où la musique était en pleine mutation avec l’arrivée de la trap ». L’élément déclencheur qui a lui a permis de se lancer dans la création de son album selon Gros Mo, « ce sont les sons ‘Des Heures’ et ‘Ça Sert’, qu’on avait créé à l’époque de mon album Les # de Gros Mo avec En’Zoo. On lui a fait écouter et au début il n’a pas kiffé, me disant que c’était chelou de m’entendre sur ce registre. J’en ai déduit qu’il voulait ces sons pour lui, donc on lui a lâché et c’est là qu’il a enregistré la version acoustique. De là tout est réellement parti ».
« Sortir cet album est devenu une urgence » – Gros Mo
Une fois lancé, le process de création n’en est pas moins délicat avec une organisation difficile à trouver, Nemir expliquant commencer parfois des beats de son côté, puisqu’il s’est lui aussi mis à la production. Pour autant, selon lui, « la seule méthode qui fonctionne, car nous sommes de gros feignants, c’est de nous retrouver au studio ensemble pour travailler. Cela permet l’interaction et c’est pour moi la meilleure manière de faire ». « La plupart du temps, comme on habite pas loin l’un de l’autre, on se pose au studio. On part d’une feuille blanche et on fait tout en live : écriture et musique en même temps. Quelques morceaux ont été commencés avec Gros Mo pour au final se retrouver chez Nemir » complète En’Zoo. Gros Mo ajoute une anecdote intéressante : « Nous ne nous sommes jamais retrouvés à trois dans la même pièce avec Nemir, En’Zoo et moi. Nous n’avons jamais crée à trois, ensemble. J’ai du mal à expliquer pourquoi mais c’est ainsi. On fait des écoutes à trois mais jamais de création ».
« On passe notre temps à se chercher, à tenter des trucs » – Nemir
Un processus créatif qui a vu naître un nombre impressionnant de morceaux. « 600 morceaux depuis le début entre ceux de En’Zoo et ceux de Nemir. Ce sont de très gros taffeurs », estime Hassan, tandis que Nemir pense « avoir réalisé 4 albums mais jamais terminés, on passe notre temps à se chercher, à tenter des trucs ». Gros Mo, qui a rejoint l’aventure en cours de route pour justement tenter d’accélérer les choses, précise : « Quand je m’y suis mêlé avec En’Zoo et que j’ai commencé à écrire pour Nemir, c’est justement parce qu’on ressentait cette urgence. Je pense qu’il aurait pu tenir 5 ans de plus à faire des collabs et à s’en satisfaire. Il fallait donc passer à la vitesse supérieure, on lui a proposé des morceaux, des tracklists. Un morceau comme ‘Elle m’a eu’ ne devait même pas être sur l’album. On a failli baisser les bras jusqu’à se dire qu’il sortirait sur le mien, et c’est à ce moment-là qu’il a accepté de l’inclure définitivement. Et au final, c’est un des morceaux qui reçoit le meilleur accueil ».
Des doutes il y en a eu, par centaines, des peurs de décevoir un public impatient sans doute. L’envie de tout lâcher, abandonner cette ascension devenue éreintante. Nemir avoue y avoir pensé : « même si je n’aurais jamais lâché, ce fut parfois dur. Je fais partie de ces gens qui ont du mal à s’aimer, c’est dur d’adorer tout ce qu’on fait. Apprendre à s’aimer, ça prend du temps. J’accepte le pourcentage d’amour que j’ai pour moi ainsi que les critiques des amis, etc. C’est ce cocktail plus sain qui permet aujourd’hui de conclure ce projet ». Hassan confirme : « Il a juste une volonté d’excellence, il veut être au max peut importe l’avis des gens ».
L’avis des gens justement, Nemir semble y accorder aujourd’hui de l’importance, ce qui ne fut pas toujours le cas. « Cet album sort car j’ai changé d’approche justement. Je me suis ouvert aux autres, à leurs avis et critiques . Ça m’a rassuré et libéré ». « Il consulte peu de gens mais ils consultent beaucoup les proches pour se rassurer mais aussi pour confronter les avis et en sortir un avis général, modifier le truc si besoin. Il me sollicite beaucoup et on se parle énormément. C’est dans la douleur qu’il va chercher son résultat », confie Hassan.
Pour autant, Nemir garde son grain de folie unique qui vont lui pousser à changer des choses jusqu’au dernier moment, sans craindre de prendre à contre-pied son entourage, comme nous l’explique Gros Mo : « L’album ne porte pas de nom. Ça fait dix ans qu’il nous dit que son album s’appellera Fils Unique. Et au final, il a décidé de ne pas lui donner de nom, et ça c’est une vraie réaction de fils unique ! C’est ça Nemir, des décisions qui changent jusqu’au dernier moment ».
« Je voulais des parts de hasard ainsi que des accidents » – Nemir
A l’écoute de l’album, une des caractéristiques marquantes du tracklisting reste cette hétérogénéité donnée à l’ensemble. Nemir nous confirme la volonté d’avoir un projet varié : « Il n’y a pas de trame, je ne voulais pas faire ça. Je voulais un mélange d’envies, des parts de hasard ainsi que des accidents. On a voyagé musicalement et c’est bien là le principal ».
Certains morceaux sortent du lot dès la première écoute et l’on est alors curieux de savoir quels sont ses titres préférés. A cette question, Nemir répond sans hésiter : « ‘Elle m’a eu’ ! On a vraiment joué musicalement le morceau. On l’a fait il y a deux ans déjà. Mes morceaux de fin reflètent toujours un message sur la suite. J’annonce ici que la prochaine aventure aura la musicalité au coeur du projet ».
En poursuivant l’analyse de la tracklist, force est de constater que Nemir s’est entouré d’artistes qui lui sont chers et avec qui il a de nombreuses fois collaborer, comme Nekfeu ou Alpha Wann. A la question de savoir s’il y a un calcul derrière ces choix, Nemir répond sans la moindre hésitation que tout s’est imposé « naturellement, sans aucun calcul ».
A l’écoute du son en featuring avec Nekfeu, on observe que le duo ne s’est pas laissé aller à la facilité et nous livre un titre solide. Nemir confirme : « oui il est barré ce son, ce n’est pas un morceau commercial, il n’est pas structuré normalement, il a une fin qui explose musicalement, c’est précisément ce que je voulais. Ken est venu au studio lorsqu’il bossait sur Cyborg et à ce moment-là, nous n’avons pas réussi à trouver un titre sur lequel nous pourrions nous entendre, et donc cette session n’a abouti à rien. Puis je lui ai envoyé deux morceaux l’année dernière : un plus classique, et ce morceau qui est un ovni, avec une véritable réflexion sur notre condition d’avant versus aujourd’hui, où je rentre où je veux. Nekfeu m’a remercié de lui donner l’opportunité de poser sur des morceaux pareils. Et en plus, il a contre-balancé le track, il a vraiment fait le taff en proposant autre chose. D’une manière générale, je me suis appliqué à toujours proposer des choses qui contrebalancent, comme avec Alpha sur le titre ‘Sur Ma Vie’. Personne n’aurait imaginé Alpha sur un morceau pareil. C’est ce que j’adore ».
Le touchant « Chica » est un autre morceau marquant de l’album. Nemir nous explique alors ce qui l’a ici inspiré : «Ce sont les princesses de Perpignan, de mon quartier. J’ai vu un jour une expo avec une photo appelée ‘Princesse’ présentant une afro-américaine qui vivait dans la galère, dans un appartement sordide et qui possédait un charme incroyable. Il y avait une dignité et une beauté secrète sur son visage. J’avais l’envie de faire cette chanson pour honorer ces femmes combatives ».
A l’approche de cette sortie, on imaginait Nemir dans tous ses états, lui qui aime tant se faire des noeuds au cerveau. Selon Hassan, « Nemir est malade ! La promo le rend fou, et cet engagement vis-à-vis de la sortie de l’album ». Pour autant, En’Zoo voit en son ami une personne « déterminée, qui a envie de bien faire, de passer un cap, car pour lui c’est un point de départ et non pas une finalité ». Le principal intéressé tranche : « Je ne réalise pas vraiment, je n’ai pas conscience, peut-être que je me rendrai davantage compte jeudi soir. Il devait tellement de fois sortir cet album que mon cerveau a l’impression qu’il est déjà sorti ».
Quoi qu’il en soit, pour son entourage proche, l’approche de cette sortie est vécue comme un soulagement, une page qu’on peut enfin tourner. « Je suis soulagé d’avoir terminé ça avec Nemir car cela clôture enfin ce cycle. C’est une manière de penser à la suite» confie En’Zoo. Quant à son ami d’enfance, l’émotion est palpable : « Quand je suis arrivé à la Gaîté, j’ai assisté au concert de la fosse et j’ai failli pleurer, ça a fait remonter plein de souvenirs. Voir sur cette scène ton frère qui réalise son rêve… J’étais le plus fier». Et Gros Mo d’ajouter : « L’album est sur le point de sortir et c’est une véritable libération, j’ai hâte de reprendre le studio avec En’Zoo et Nemir, et on s’est dit qu’on allait essayer de rompre cette malédiction de studio à trois, même si je sais qu’en vrai on n’en fera jamais. Ça part toujours en couilles ! Mais cette expérience m’a appris beaucoup de choses, apprendre à écrire pour un autre artiste, dans son état d’esprit et je trouve cela vraiment très intéressant. Nous sommes des frérots, il n’y a aucune concurrence entre nous, j’aimerais que tous nos projets fonctionnent et je suis vraiment heureux pour lui qu’il puisse enfin sortir son projet et je lui souhaite le meilleur ».
Son public sera au rendez-vous, ce jeudi soir (hier soir, ndlr) à minuit pour découvrir cet album tant espéré. Nemir semble à présent en paix avec cette sortie et prêt à accepter son destin : « Ce n’est que le début pour moi. C’est album, c’est une dette que je devais à tous les gens qui me suivent depuis 2013. Je repars de zéro à présent. J’aime les débuts en tout, comme en amour par exemple. Je fabrique cette sensation de début car c’est une aventure pour moi. J’estime être un newcomer malgré mon parcours et je souhaite garder cela pour conserver mon intensité, c’est vital pour moi ».
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