La fin du mois de juin a été l’épicentre d’une activité affolante dans le rap américain sous l’impulsion de Kanye West. Son camarade de chez G.O.O.D Music, Pusha T a sorti un album de sept titres, il a lui-même sorti un solo avec le même format et un projet commun avec Kid Cudi également pensé de la même façon. Mais loin de s’arrêter en si bon chemin, Mister West a aussi permis à Nas de sorti son premier album depuis six ans, Nasir.
Pour le coup, les sept titres de l’artiste new-yorkais constituaient une vraie surprise. Personne n’attendait un album de Nas, même ses fans les plus ultimes, puisque la dernière référence à ce projet datait de quelques années et était signée DJ Khaled. Il y a même eu des rumeurs autour d’un projet en collaboration avec Rick Ross. Que nenni. C’est bien Kanye West qui est derrière Nasir et sans doute lui qui a poussé le lyricist à rentrer à nouveau en studio. Si on était très regardant, on pourrait dire que ça s’entendrait presque que le disque a été vite bouclé car Nasir recèle de quelques petites erreurs inhabituelles chez l’un comme chez l’autre. Mais difficile de faire la fine bouche devant un album de Nas, alors c’est plutôt l’enthousiasme qui prend le dessus.
Ce qui ressort en premier de l’écoute de ce disque, c’est que Kanye West le producteur est sans doute l’un des plus talentueux qui puisse exister, et qu’il est certainement bien meilleur que Kanye West le rappeur. Les prods qu’il a conçues pour Nas sont des bijoux. Tout en sachant s’adapter à l’univers de l’artiste, il sait aussi garder les spécificités qui font sa patte : des samples de soul soyeux, une précision rare et une vraie douceur. Non content d’être réalisateur et producteur de Nasir, on trouve Kanye West un peu partout sur les titres, sur un refrain (« Everything »), en featuring (« Cops Shot The Kid ») ou parfois juste pour une vibe.
Bref, le Louis Vuitton Don est omniprésent, et ça se sent dans la construction du disque. C’est lui qui a notamment expliqué que les sept morceaux de Nasir correspondaient aux sept péchés capitaux. Cela se ressent aussi dans les ambiances. Pour ceux qui auraient à la fois écouté Ye et Kids See Ghosts, force est de reconnaître qu’il garde une vraie cohérence dans l’univers musical qu’il développe aujourd’hui. Le plus surprenant finalement, c’est d’y retrouver un MC comme Nas. Kid Cudi on comprend, Pusha T aussi. Mais Nas ? Le meilleur, c’est que ça marche !
Evidemment, Nasir n’atteindra jamais les sommets des anciens albums de Nas. Mais ce projet a le mérite de le remettre sur le devant de la scène et surtout d’apporter des sons frais et dans la tendance. Pour autant, jamais Nas n’ira trop loin en s’essayant à la trap ou ne posera son flow sur des sons club. Et c’est peut-être aussi un avantage des formats courts comme cet album de sept morceaux : cela évite effectivement à l’artiste de s’éparpiller pour ne se concentrer sur l’essentiel. On s’épargne ainsi de nombreux tracks évitables.
Dans Nasir, Nas fait dans le concis et même s’il a une plume et un talent qui ne se laissent pas guider facilement, il faut bien reconnaître que son association avec Kanye West fonctionne bien. Surtout, vu la situation actuelle aux Etats-Unis, on avait vraiment hâte d’entendre l’avis du Booklyner sur la question. Et on rentre directement dans le vif du sujet avec la pochette du projet sur laquelle on voit cinq enfants noirs collés contre un mur les bras levés, portant des armes en plastique ou des jouets. La symbolique est forte et donne le ton. Comme à chaque fois chez Nas, il n’y aura pas de demi-mesure. Lyricist patenté, il a toujours voulu que ses écrits traversent le temps et servent de repères pour la jeune génération.
Aujourd’hui plus âgé, la flamme brûle toujours en lui alors il n’hésite pas à prendre chaque sujet qui ébranle les Etats-Unis à bras le corps. Ça commence dès le premier morceau, « Not For Radio » qui parle de discrimination, de religion, d’esclavage et de corruption. Dans « Cops Shot The Kid », il s’attaque aux brutalités policières, particulièrement envers les noirs. Nas sait aussi faire son autocritique et revient sur les démons qui le hantent dans des titres comme « White Label » ou « Bonjour ». Enfin, conscient que l’avenir du monde passe par les enfants, il leur confère cette responsabilité dans « Adam and Eve ».
Pourtant, malgré l’actualité des sujets, on ne peut s’empêcher d’être légèrement déçu. On était en droit de s’attendre à quelque chose de plus consistant dans la dénonciation et dans l’engagement. Finalement, on a un peu l’impression qu’il ne fait que survoler les grands débats de notre époque et Nasir, s’il aurait pu être un brûlot politique assumant des prises positions tranchées, reste trop en retrait pour en faire une œuvre de contre-pouvoir. Néanmoins, qu’on ne s’y trompe pas, si Nasir ne comble que partiellement nos attentes et nos envies, il reste un bon album.
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