BACKPACKERZ: On lit souvent que tu as débuté par le rap avant d’entrer dans la production. Est-ce que tu peux nous en dire plus sur ton parcours ?
Mr.Punisher : Depuis tout petit, j’ai été bercé par les sonorités américaines, notamment grâce à mes grands-frères ou mes oncles qui en écoutaient beaucoup. Je suis vraiment de la génération « Yo! MTV Raps », MTV Base et j’écoutais très peu de rap français. J’avais tendance à le trouver trop mélancolique alors qu’il y avait un côté assez avant-gardiste aux US qui m’attirait beaucoup plus. Je dois aussi beaucoup à mon père qui est un vrai passionné et m’a fait découvrir beaucoup d’artistes. Il pouvait passer d’un Franco Luambo (chanteur de rumba congolaise) à Bob Marley et ça m’a permis d’élargir ma palette d’influences. Au fur et à mesure, j’ai continué à creuser le hip hop et j’avais de plus en plus envie de devenir artiste. J’allais beaucoup sur la chaîne ‘Zik pour suivre toutes les dernières sorties, c’est d’ailleurs là dessus que j’ai pu découvrir Kaaris ou Antilop Sa.
En 2005, j’ai commencé à écrire mes premiers textes, j’avais un atelier d’écriture à la Courneuve où Amel Bent venait aussi. J’ai été envoyé à Dunkerque et j’ai vraiment commencé à me lancer via le milieu associatif. J’ai rencontré des élus, obtenu un studio et du matériel puis j’ai enchaîné avec quelques concours sur Paris (Buzz Booster) et quelques premières parties comme celles de Busta Flex notamment. A l’époque, j’avais mon oncle qui faisait déjà des prods et on s’inspirait beaucoup de Din Records et de ce qu’on écoutait pour développer notre son.
Finalement, les choses se passaient plutôt bien côté rap. Comment as-tu basculé vers la production ?
Je me suis dirigé vers la prod grâce à Lixi quand je suis revenu sur Paris et qui m’a donné beaucoup de force et l’envie de m’y mettre à fond. J’ai donc tout lâché, aussi bien professionnellement que socialement et j’ai travaillé pendant 2 ans sur les prods de manière intensive.
Les premières connexions se sont faites naturellement ?
C’était difficile au départ car tu dois construire ton réseau tout seul et personne ne te calcule. Les choses ont bougé vers 2013-2014 grâce à ma rencontre avec Mac Tyer. C’est un des premiers qui m’a soutenu. Par la suite, j’ai eu pas mal de touches plus intéressantes: Booba a été l’un des premiers à me prendre des sons – et ce notamment par l’intermédiaire de Shay – ce qui m’a apporté beaucoup de crédit sur le marché français et j’ai également eu la chance d’avoir la confiance d’artistes outre-Atlantique assez rapidement. Par exemple, j’ai eu un feat entre Travis Porter et Drake qui n’a pas vu le jour mais qui m’a naturellement conforté dans l’idée de continuer et d’aller encore plus loin. Au niveau personnel, j’ai obtenu un premier deal avec Emmanuel de Buretel avant de m’émanciper du label et monter ma propre structure.
Tu as donc pu lancer ta structure en 2018, « Punish Me Music ». Était-ce un projet que tu avais en tête depuis le départ ?
Je pense avoir toujours eu cet esprit d’entrepreneur. J’ai toujours su m’occuper de mes sites, de ma communication etc. Mon objectif au départ c’était d’être connu de tous. Pas forcément du public mais je voulais vraiment me faire un nom dans l’industrie. J’ai eu cette chance de signer et de me développer mais j’avais de plus en plus envie d’indépendance. J’ai réussi à trouver un accord avec eux pour m’émanciper. Malgré tout, j’ai réussi de beaux placements aussi grâce à cette grosse structure. Je ne pense pas que j’aurais pu toucher seul des gens de ce calibre sans l’aspect gestion ou l’aide juridique que ce genre de structure peut t’apporter. Par exemple, pour la prod de « Diego » de Tory Lanez, j’étais face à sept avocats pour la gestion des droits et si je n’avais pas eu aussi accès à une équipe juridique, ce n’était pas la même histoire !
On peut déjà constater que l’équipe s’agrandit à grande vitesse!
Les choses avancent bien et j’essaie vraiment de construire une équipe totalement éclectique. Je vais avoir tout un pôle de producteurs comme THESCAM, JH Beatz par exemple et côté artistes ça peut aller du rappeur assez dur comme Essrib, à la chanteuse plus douce comme Charly Bony. Le tout est d’aller chercher les talents sans forcément prendre toujours la même chose. On est là pour accompagner les artistes et les aider à exploser.
Tu t’es fixé une limite sur ces projets et cette indépendance ?
No limit ! Demain je pourrais même monter une structure sportive. Je vois le truc à l’américaine et je ne veux pas rester cantonner à ce que je fais aujourd’hui. Et quand je dis pas de limites, c’est aussi géographique: si je peux atteindre des artistes dans d’autres pays, c’est clairement quelque chose qui m’intéresse. Aujourd’hui, j’ai la chance d’être approché par beaucoup d’artistes venant des quatre coins du monde et je suis ouvert à tout.
Au niveau de ta manière de produire, on sent que tu privilégies certains instruments, notamment le piano). Est-ce que tu as une recette pour trouver l’inspiration ?
Quand je commence à produire généralement, j’essaie d’assembler le plus d’accords possible. J’ai du mal à laisser une mélodie « vide » toute seule, même si parfois ça peut être suffisant. Je suis toujours très influencé par le R&B des années 90 car je trouve l’identité sonore très intéressante. J’essaie ensuite de conjuguer cette identité mélodique que j’aime bien, avec la vague actuelle beaucoup plus trap, et ça donne à peu près mon style. Enfin quand je commence à créer un morceau, j’essaie automatiquement de topliner dessus, créer des flows etc. Ça m’aide beaucoup dans la structure finale du morceau. J’essaie de me mettre à la place de l’artiste et de voir la direction que le son pourrait prendre. Dans chaque projet sur lequel je travaille, j’essaie toujours d’avoir le son qui va marquer les esprits.
Tu travailles comment aujourd’hui avec l’artiste derrière le micro ?
Ça dépend vraiment de la personne, j’ai pu faire pas mal de sessions studio directement avec l’artiste comme pour Dosseh ou Mac Tyer par exemple, alors que pour d’autres artistes et mêmes certains gros morceaux que j’ai pu faire, tout le travail s’est fait par mail (notamment Booba pour « 4G »). Après, je m’adapte un peu à tout, parfois j’arrive avec toute une palette de prods et on commence par une session d’écoute ou bien on compose tout directement sur place et j’ai même tendance à être plus efficace lorsque l’on fait ça. Je vais m’adapter directement à la demande de l’artiste et j’aime beaucoup l’énergie qui peut se dégager d’une session en studio. Tout le monde s’ambiance, il se passe un vrai truc !
Tu disais il y a quelques temps que nous avions encore besoin d’évoluer avec l’image que l’on donne au beatmaker. Tu ne penses pas que le vent commence à tourner ?
Ça progresse dans le bon sens, ça c’est sûr ! Côté beatmakers tu as des duos, voire des équipes qui se forment pour créer de gros tubes, certains lancent leur projet solo, on ne peut plus les cacher! La grande différence avec le marché américain, c’est qu’ils ont plein de tueurs là-bas qui ne sont pas exposés et c’est leur agent qui fait tout le travail pour les faire entrer dans une autre dimension. Par exemple, je pense que Metro Boomin doit beaucoup à son agent Rico (Brooks) et à Future pour ce qu’il est aujourd’hui.
Tu penses que le rappeur, lui, donne plus de crédit au beatmaker qu’avant ?
On va dire que s’il ne le fait pas, on peut contrer le truc avec le producer tag. Cette marque de fabrique permet quand même de rester dans la tête des gens et même si tu n’es malheureusement pas crédité, on peut quand même l’entendre, même si parfois, on te la fait sauter. Aujourd’hui le beat fait 70-80% du morceau final, tu es obligé de donner au crédit au producteur! Je pense que même si l’artiste peut rester réticent, le public, lui, porte beaucoup d’attention à ça et va plus naturellement chercher le nom de la personne qui a produit le morceau.
Dans cette vague de productions très homogènes due notamment au trap, quel est le plus gros défi pour le beatmaker aujourd’hui ?
Je pense qu’aujourd’hui c’est la recherche de nouvelles sonorités qui fait la différence. C’est en partie pour cela que je ne place plus mes sons comme avant. Je suis constamment en recherche de nouvelles sonorités et de nouveaux délires. Je n’ai pas envie de tomber dans le côté usine, inonder de prods moyennes, ou dans le côté cerveau, placer seulement pour le côté monétaire. La dernière fois, je regardais une interview de Dr. Dre et il a répondu à la question: “Quel conseil tu donnerais aux jeunes producteurs?” par la réponse : “Travailler dur. Je n’ai loupé le studio que 2 fois dans toute ma carrière” et j’ai trouvé ça très vrai. Le travail et la passion du rap doivent passer avant le bénéfice, il faut faire ce que l’on aime avant tout et le succès suivra s’il doit suivre.
Aujourd’hui, tu as des gros placements à ton actif, ta musique a traversé les frontières et tu développes ta propre structure. C’est quoi ton prochain challenge ?
Je dirais réaliser des albums entiers. Sortir un peu de la production et prendre plus le rôle de réalisation, avoir une vraie vision sur un projet et guider l’artiste. Aujourd’hui, je place des productions mais ça n’est plus vraiment ma principale activité avec la gestion des différents artistes.
Tu as des choses sur le feu à nous annoncer ?
Toujours les mêmes grosses connexions côté rap français et j’espère pouvoir sortir quelques belles collaborations d’ici peu. Après, évidemment, j’ai envie de continuer à toucher les U.S et toute cette nouvelle scène (Gunna par exemple) m’intéresse énormément. J’attends que les opportunités se présentent mais tu es toujours obligé d’entretenir une sorte de lien avec les artistes, il faut constamment les nourrir de prods pour qu’ils ne t’oublient pas. D’un autre côté, je sors de plus en plus du rap, et j’essaie de toucher de nouveaux horizons. Ma collaboration la plus inattendue et décalée est probablement celle avec Lorenzo. En tout cas j’essaie de varier quasiment toutes mes prods. De belles choses se préparent, soyez-en sûr.
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Cet entretien a été préparé et mené avec l’aide de JuPi et Valentin Gerbet. Merci à Punisher et Tatiana Kombo.
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