Si le paysage du rap est plus lumineux que jamais, les rayons de soleil provenant de la Belgique et de ses étoiles Roméo Elvis, Damso ou encore des bons vieux tontons Caba et JJ (dont le rayonnement s’est certes terni ces derniers temps) y participent grandement. En marge de ces superstars, des étoiles filantes comme Moka Boka peuvent également apparaître et illuminer le ciel de tout leur talent, en laissant dans leur traînée des albums exquis, en témoigne Pas de Pluie, Pas de Fleurs.
L’alias musical de Julien, Manoka Boka, suffit à dresser les contours de sa patte musicale. « Moka », en référence au surnom donné pendant son enfance, lié à sa couleur de peau, la signification du « Boka » est double. La seconde partie de son nom d’artiste puise son sens non seulement de l’espagnol, « boca » étant la traduction de bouche, mais également du kikongo, un dialecte congolais dans lequel ce mot signifie « celui qui dit les choses ». Dire les choses, mettre des mots sur des émotions, des sensations, exprimer sa vie, c’est ce que le jeune rappeur va s’atteler à faire tout au long d’un album très intime.
Nas nous rappait en 1994 le « NY State Of Mind », Moka Boka, par le biais de ce premier album, nous prend par la main pour nous rapper le Moka Boka State Of Mind. Une introspection profonde, un voyage dans ses ténèbres sentimentales où solitude, abandon et pharisaïsme s’épanouissent au grand dam du rappeur belge. A travers une honnêteté douloureuse, il exprime tout le mal-être qui semble de toute évidence le ronger et donner lieu à un désenchantement certain de la vie, avec cependant un brin d’espoir.
De lourdes notes de synthétiseur, une prose déprimante marquée par une désinvolture dans le parlé, symbole de l’abandon ressenti, le tout sur un fond sonore composé de grillons lointains renforçant ce côté de solitude.. Ainsi s’ouvre l’album avec cette intro qui plante une ambiance plombante ponctuée par un message vocal annonçant le licenciement du protagoniste que nous allons suivre durant 38 minutes, suivi d’un soupir de désespoir.
« Un jour je m’aime l’autre je me déteste »
C’est dans cette ambivalence que se lance l’album dès le premier titre « Complexe », dont l’univers est résumé simplement à travers le nom du morceau. Perdu face à l’immensité de la vie, Julien se questionne, rumine ses pensées et ses doutes avant de les transposer à l’écrit à travers ce qui paraît être une purge sentimentale. Au milieu de tout ça, l’amour. Qu’il se manifeste sous forme charnelle ou psychologique, il est au cœur du scepticisme qui habite Moka Boka, concernant notamment la véracité des sentiments exprimés. Avec les femmes bien entendu, mais également avec ses prétendus amis : « faux négros veulent me la mettre dans le dos ». Ce manque de confiance en quiconque entraîne un abandon total, un sentiment d’emprisonnement avec ses problèmes qui paraissent insurmontables, en témoigne le titre de la chanson « Héraclès ». Parvenir à une résolution de ses tourments semble alors être digne de la difficulté des 12 travaux imposés au demi-dieu grec.
S’il y a pléthore de raisons qui grisent la vie de Moka Boka, il reste, çà et là, quelques brins de couleurs qui apportent des éclairs d’espoir. Aussi bien porteur de désillusion que de torture, l’amour reste malgré tout un puissant propulseur de bonheur et de plaisir. En véritable pilule de propranolol, les relations charnelles lui permettent d’outrepasser l’abysse morale dans laquelle il se trouve et profiter du plaisir que procure l’un des sept pêchés capitaux. Plus que simplement appliquer de la pommade sur les brûlures de son cœur, cette proximité corporelle le fait voyager et l’inspire.
« Quand t’es couchée sur moi je pense à plein de proses«
De temps à autre, Moka Boka est aussi capable de sursaut d’orgueil et d’extrême prise de confiance, comme si après s’être quasiment noyé, il reprenait brièvement son souffle… avant de replonger aussitôt dans les entrailles de son enfer psychologique. La libération n’est que temporaire, mais procure l’infime espoir nécessaire qui laisse entrevoir une éventuelle guérison probable.
La métaphore qui donne son nom à cet album Pas de Pluie, Pas de Fleurs., habite le projet de la première jusqu’à l’ultime seconde d’écoute. Tout l’univers tissé par le jeune rappeur belge repose sur le bien et le mal, comment ces derniers s’équilibrent et le fait qu’ils soient indissociables. Le bien existe car le mal existe, sans le mal, quelle est la réelle valeur du bien et surtout comment l’apprécier ? C’est à cette question que répond Moka Boka avec la métaphore éponyme de l’album.
La fleur, qui représente le bien, le plaisant, a besoin de la pluie, qui représente la solitude, l’anxiété et toutes autres sensations de tourment, pour pouvoir être justement apprécié. Via ce projet pourtant si intime et personnel, l’artiste parvient à toucher son public qui s’identifie facilement aux textes profonds et lui transmet un message optimiste. En toréador, on peut l’entendre bien plus incisif et sûr de lui dans « Sourire », morceau où il dompte ses problèmes, prenant le taureau par les corne. Son flow corrobore avec ses propos. Moins fluide, il saccade son phrasé, n’hésitant pas à hausser de la voix comme pour bomber le torse, marchant fièrement sur la dépouille de ses tourments enfin vaincus.
En porte drapeau de la Belgique, l’esthétique musicale de Moka Boka est semblable à une légère brise qui caresse nos oreilles de sa douce poésie et de son flow fluide. Entre chant et rap, il donne de la légèreté et de la hauteur à des thématiques pourtant enracinées dans les abysses de l’âme, dédiabolisant presque des sujets comme l’abandon ou la solitude. L’équilibre des ambiances est parfaitement maîtrisé. Tantôt lancinant, tantôt entraînant, le voyage dans lequel il nous emmène tout au long de son premier album est plaisant et la variété des paysages enraye l’ennui qui ne se fait pas sentir durant les 38 minutes d’écoute. Après cette entrée en matière réussie, on ne peut que se languir de voir l’évolution musicale de Moka Boka.
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