Le temps d’une caïpirinha, on a eu le plaisir de parler avec Moka Boka de sa vie, un peu de la mienne (sans grand intérêt je le concède), de sa musique, de sa passion pour celle des autres ainsi qu’une flopée d’autres sujets qui n’ont rien à faire ici.
C’est sous l’alias Moka Boka que Kwami Manoka met sa poésie en musique et nous berce de sa voix chaude et son flow mélodieux. Il s’inscrit dans cette lignée d’artistes belges qui ont envie de porter le rap hors de sa sphère initiale et s’appuient sur leur talents hybrides de chanteurs et de rappeurs pour y parvenir. Au fil des EP, il se taille une solide réputation et se construit un cercle d’auditeurs conquis par son phrasé et la douceur de son univers. Ce succès grandissant l’a amené plus tard a collaborer avec des grands noms de la scène hip-hop francophone comme Krisy ou Swing de L’Or du Commun que l’on retrouve sur le titre « Héraclès ». La simple signification derrière son nom de scène suffit à indiquer l’importance prépondérante qu’il accorde au fond et à la puissance des mots. Vestige de son enfance, « Moka » est le surnom par lequel il est affublé en référence à sa peau caramel. Ses origines métissées sont perceptibles dans sa musique, d’autant plus avec « Boka » qui se traduit par « celui qui dit les choses » en kikongo, dialecte du Congo d’où son père est originaire.
Née d’une mère flamande et d’un père congolais, Moka Boka baigne dans une richesse culturelle ambivalente qui amène dans son enfance à certaines incompréhensions :« J’ai grandi sans trop savoir où me placer dans le spectre blanc/noir, les deux cultures sont hyper riches, hyper intéressantes. Mon père c’était un peu un black power, donc quand on était petits, il nous balançait tous ses discours sur Martin Luther King, MalcomX, qui sont super beaux et intéressants. J’étais petit, je trouvais ça révoltant, j’étais un peu fâché sur les blancs mais en même temps, ma maman est blanche (rires). J’ai dû comprendre que ce n’est pas une question de couleur mais d’humanité, j’essaye de ne plus trop me soucier de ça aujourd’hui. »
C’est donc dans une tornade culturelle que MB se forge son identité musicale et découvre le rap, initié par son grand frère, qui l’introduit aux plus grands noms du hip-hop, dont un va particulièrement retenir son attention : « Ce que j’aime dans le rap, c’est le flow, et il y a un artiste qui m’a beaucoup influencé et qui m’a donné envie de rapper, c’est Kanye. Le premier morceau que j’ai écouté de lui c’est ‘Touch the Sky’ et il y a un flow, une énergie, c’est fou. Ce que j’apprécie et que j’admire avec Kanye, c’est qu’il arrive à apporter quelque chose de différent à chaque projet. »
« Celui qui dit les choses ». Et quel meilleur moyen que la musique pour se vider de ses émotions ? Le fort de l’univers de Moka Boka est son intimité, c’est à travers des morceaux emprunts d’une ambiance feutrée et vagabonde qu’il nous fait voguer sur le fleuve de ses sentiments, la musique l’empêchant probablement de chavirer : « J’ai un rapport très personnel pour la musique, cela a toujours été un médicament. Je dis souvent que la musique a toujours été là plus que personne d’autre. C’est bizarre, tu n’as pas besoin de lui parler, mais elle te comprend. J’ai ce sentiment d’être compris, d’être proche d’un artiste. Je me dis, si d’autres l’ont fait pour moi comme Kid Cudi, Kanye West… il faut que je le fasse. On s’inspire tous, on a besoin des autres et de se donner de la force. »
Les gens peuvent parfois rentrer dans ma bulle trop rapidement
La grande force des textes de MB, c’est de rendre appropriables des émotions qui lui sont pourtant propres. Ouvrir son coeur et dévoiler son intimité à qui s’y intéresse permet de désacraliser ses émotions. Mais avec un naturel réservé et assez solitaire, cette sur-expression de la face cachée de l’iceberg peut entraîner des dérives déplaisantes : « Je suis assez solo, enfermé, un peu sensible, et le fait d’avoir de l’attention me touche. Ça peut dénaturer les relations, c’est une chose à laquelle je n’étais pas habitué ,et je m’ouvre de plus en plus mine de rien. J’ai toujours eu quelques amis, je n’étais pas habitué au grands groupes. Je me reconnais fort dans les textes d’Aminé. J’en ai parlé avec les gars de LODC et même Roméo, ils me disaient que parfois c’est vraiment fucked up, parfois il y a un minimum de respect et de distance à avoir. C’est particulier parce qu’à la fois tu ne me connais pas, mais en même temps, je rappe et chante ma vie donc ça peut porter à confusion. Les gens peuvent parfois rentrer dans ma bulle trop rapidement, il faut accepter, ce n’est pas négatif, plutôt maladroit. C’est surtout une question de caractère et de personnalité, je suis bien plus à l’aise maintenant. »
Au-delà du simple fait de mettre en musique ses doutes, peines, joies et autres émotions qui le traversent, c’est surtout le fait de partager ses ressentis qui le libère d’un poids et lui permet d’être plus libre. Partager ses griefs ôte une part de l’emprise dévastatrice qu’ils peuvent avoir : « La musique me permet d’atteindre cet objectif d’être libre. C’est ma thérapie, ma catharsis, pas juste la musique mais dans une mesure plus large, la musique, la création, l’art en général, sortir ce que t’as au fond de toi et le rendre réel, solide. Ma façon de me sentir mieux et de partager ce que je ressens au fond de moi, j’aime quand je ressens quelque chose l’exprimer et le dire aux autres. »
Après avoir patiemment forgé son univers à coups de mixtapes et d’EP, MB sort en juin 2018 son premier album, au titre incarnant toute la dualité de sa musique : Pas de pluie, pas de fleurs. La métaphore qui donne son nom à cet album habite le projet de la première jusqu’à l’ultime seconde d’écoute. Tout l’univers tissé par le jeune rappeur belge repose sur le bien et le mal, comment ces derniers s’équilibrent et le fait qu’ils soient indissociables. Le bien existe car le mal existe ; sans le mal, quelle est la réelle valeur du bien et surtout comment l’apprécier ? C’est la question qui ronge ses entrailles et à laquelle il ne semble pas exister de réponse. Cet album est aussi et surtout impressionnant dans sa qualité de transmission d’émotions, une transparence sentimentale, loin du paraître et de la contrefaçon, se dégage du projet. L’honnêteté apparaît comme un pilier de l’univers de Moka Boka, dont la volonté est de conserver la pureté de ses émotions : « Je déteste enregistrer les couplets et les refaire, parce que l’émotion est unique et tu perds de la pureté, à chaque fois c’est différent, unique. Parfois je pète un câble en studio et je peux refaire 15 fois un couplet parce que je sens qu’il n’y a pas l’émotion que je veux. Quand un concert se passe bien, il y a une osmose entre le public et l’artiste, qui ne font plus qu’un. J’ai l’impression d’être lié avec tout le monde. »
Alors que sa carrière avançait jusqu’alors à vitesse de croisière, prenant soin de ne pas brûler étapes, de bâtir de solides fondations pour pérenniser son art et que tout ne s’effondre pas de manière précoce, deux événements vont bousculer son ascension. Son premier album a rencontré un solide accueil, aussi bien par la presse que par le public, confirmant qu’il a dépassé le simple statut « d’artiste en devenir ». Et le bruit du succès a traversé les frontières pour arriver jusqu’aux oreilles de COLORS. Son interprétation du morceau « Sourire »sur la célèbre chaîne YouTube, en plus de souligner la place plus importante qu’il occupe dans le paysage du rap, a offert à son art une dimension internationale : « C’est un gars que je connais qui fait de la photo pour COLORS qui a fait le lien. C’est un truc qui m’a vraiment mis en avant, plus que je n’osais l’imaginer, ça m’a ouvert à un public étranger. COLORS, c’est une super étiquette. »
Le second événement à lui offrir un rayonnement international est la mixtape Toronto / Paris qui, cette année, avait pour productrice la renommée WondaGurl, qui succédait à Alchemist et Harry Fraud. En duo avec Primero, les deux se décident sur une des production du pack offert par la jeune productrice… avant d’apprendre que celle-ci avait déjà été sélectionnée par Luidji. Curieux d’explorer d’autres horizons que les siens, Moka Boka choisit un beat bien différent de ce à quoi il est habitué : « C’était un challenge dans le sens où je n’ai pas l’habitude de ce type de prod. On s’est ensuite imposé un certain thème avec Primero. On voulait que ce soit énergique, que ça bouge, un truc plus rapide, et la prod est un peu dark, donc il a fallu adapter les lyrics en fonction de ça. C’était un sacré exercice. »
Avec « Nuage » sur la mixtape Toronto / Paris et « Moka », dernier single annonçant le projet Juste Avant Kwami, on se retrouve face à un artiste qui veut prendre des risques et se diversifier. Il y a une volonté claire de prendre ses distances avec ce qui a déjà été fait pour aller de l’avant et donner une forme nouvelle à son univers. : « Je trouve ça intéressant artistiquement de surprendre, un artiste doit surprendre. Il faut faire des trucs qui dérangent. »
Dans le rap game de manière concrète et professionnelle depuis peu, Moka Boka possède une certaine candeur face à l’industrie de la musique. Une méconnaissance qu’il assume lui-même : « Ça ne fait pas longtemps que je suis dans le rap game de manière professionnelle, je découvre tout ça, j’apprends. Mon parcours est vraiment différent de la plupart, et je me sens hyper privilégié d’être où je suis. Maintenant, c’est mon métier je m’y consacre à 100%. Je suis en train d’assimiler le fait qu’il y ait des deadlines mais j’ai des super managers qui m’encadrent, je découvre tous les métiers de l’industrie et je vois comment ça fonctionne. »
Un artiste doit surprendre
Cette professionnalisation a conduit à de nombreux questionnements et dilemmes : exit l’indé, finie l’idée de faire un morceau et de le sortir dans la foulée avec un mix un peu bancal. C’est toute sa façon de travailler qu’il a dû revoir pour proposer des projets cohérents, tout en gardant évidemment son intégrité musicale : « Pour mon album, je faisais face à un dilemme, j’avais trop de morceaux dans des ambiances différentes. J’avais une vingtaine de morceaux, j’ai dû réduire mais j’ai eu du mal à le faire pour sortir peut-être 12 titres. Je réfléchis aussi à la façon de le sortir, j’essaie de trouver une certaine cohérence. C’est prépondérant quand tu sors un projet, il faut qu’il y ait un fil, une histoire, ça peut être musical, au niveau du thème ou du texte, j’aime bien le délire d’introduire des interludes. Avant, je faisais des morceaux et je les sortais comme ça, maintenant comme j’ai plus l’objectif de faire une carrière, je ne peux pas sortir n’importe quel track. Si ça ne tenait qu’à moi, je les sortirais tous, car les garder pour moi me frustre. J’ai besoin de les sortir pour passer à la suite. »
Chez les Manoka, la musique coule dans les veines, et après Kwami, c’est au tour de son petit frère, Komana, de lancer sa carrière, en temps que producteur. Evidemment, l’idée d’une collaboration germe, mais en gardant une certaine mesure, pour que rien ne soit forcé : « Sur le prochain projet, il y a une prod de mon frère, Komana. C’est ma préférée de tout ce qu’il a pu faire jusqu’à maintenant. On a d’autres trucs en tête, sans pour autant faire un projet commun. Il a vraiment son truc, son délire à lui, il est très très chaud, il a avancé très vite parce que ça ne fait pas longtemps qu’il fait des prods. »
Ce nouvel album présente l’immense qualité de joindre ses idées à la pratique. Dans Juste Avant Kwami, on retrouve un condensé de sa philosophie et de sa proposition musicale. Une expression vocale alliant le chant et le rap très élégamment, une écriture léchée et introspective. Moka Boka pousse l’honnêteté encore un cran plus loin en étant plus cru, notamment sur ses envies charnelles et autres addictions dans le très beau morceau éponyme. La production a été effectuée et choisie de main de maître pour offrir un très beau projet ponctué par des interludes pertinentes, qui acheminent l’opus exactement là où le jeune artiste belge le souhaite. Plus qu’une confirmation, c’est un nouveau pas en avant que fait Moka Boka, qui ne peut que faire saliver quant à son évolution future.
Tracklist de la semaine Titre Artiste(s) Album "Thank You" Snoop Dogg, Dr. Dre Missionary "ROTHER"…
Les OG’s sont de sorties cette semaine : A commencer par la collaboration entre Snoop Dogg…
Tracklist de la semaine Titre Artiste(s) Album "Maybe In Nirvana" Smino Maybe In Nirvana "Benjamin…
Le Marseillais dévoile sa première mixtape "Baked", laquelle réunit entre autres La Fève, Tiakola, Steban,…
La fin d’année approche à grands pas et nous réserve encore quelques belles surprises pour…
Tracklist de la semaine Titre Artiste(s) Album "STACKS" Dinos, Zed KINTSUGI "Le cœur d'abord" MC…