En nommant son second LP Pieces of a Man, le MC de Chicago fait une double référence. D’abord à la grâce de Gil Scott-Heron et son classique du même nom (1971), ensuite à son statut d’homme de son époque. Un projet qui porte toutes les marques du coup parfait. Mise à nu d’un artiste qui endosse l’habit. Mais les coutures de la veste grattent un peu on dirait…
Après avoir savamment amené la release de cet opus en distillant des clips plus inspirés les uns que les autres (« Padded Locks & Barcelona » et « Understood »), Mick Jenkins frappe un grand coup avec Pieces of a Man. Le succès au Billboard est déjà sûrement hors sujet mais ce disque marque distinctement un nouveau chapitre dans la carrière du MC. Sans dire que le verbe est neuf, il a su, en prenant des pièces éparses, constituer un corpus de haute volée. Textes ciselées, productions méthodiquement sophistiquées et mise en abyme par rapport à son statut d’artiste sur quasiment tous les morceaux, voilà ce qui fait la sève de ce puzzle. Si Mick Jenkins nous convie à un jeu de piste sans solution véritable, c’est qu’il a conscience que l’époque à laquelle il vit n’en offre pas et véritablement, n’en demande pas.
La renommée de MJ n’a cessé de croître ces dernières années. Surtout depuis qu’il a trouvé sa voie et délaissé les rimes faciles sans profondeur, le sieur n’a plus peur de proposer des projets complexes aux textes subtilement ciselés et aux inspirations jazz revendiquées (The Healing Component avait clairement annoncé cette tendance). Attention, si la filiation avec le pape de la poésie noire des années 70 ouvre l’opus, c’est juste pour saluer la science de cet homme aux maximes encore modernes et annoncer que la partie sera compliquée. D’ailleurs, Pitchfork le mentionnait récemment, la comparaison entre les postures de ces deux artistes sont quasiment antinomiques : alors que Gil Scott-Heron amenait son public à poser un regard neuf sur la société à laquelle ils contribuaient collectivement, Mick Jenkins analyse les effets des mécanismes sociétaux sur sa propre personne. Nulle critique, juste un constat.
D’ailleurs la première remontrance dans son prêche est adressée à la superficialité qui gangrène de plus en plus notre société hyper connectée où l’apparence est devenue une monnaie d’échange.
I don’t got time to figure out how I feel, for real
I don’t got a mind to figure out the fake and the real, at all
Le conséquence ? Le malaise est là. Nourri de l’appréhension du regard de l’autre dont on ne comprend pas nécessairement la versatilité et dont Internet et les réseaux sociaux présentent un miroir éclaté dont chacun choisi les morceaux.
Les plus coriaces auront compris que cet opus dresse un portrait. Le portrait fragmenté d’un artiste Afro-Américain d’une trentaine d’années. Voilà pour l’ancrage sociologique. Pour ce qui du costume dont nous parlions, en proposant une œuvre poétique, Mick Jenkins a surtout fait le choix de s’exprimer à cœur ouvert et de ne plus masquer sa réalité. Reste à savoir si la poésie est le moyen d’expression ou si elle naît de son discours.
En tous les cas, en prenant le parti d’exprimer ses vertiges et ses joies, il affiche les failles que masque le miroir de la célébrité et du succès.
Wake up, wake up thanking God for these brand new mercys
This a Game of Thrones all I see is Cerseis
La subtilité de l’affaire réside aussi dans cette approche qui se veut parfois revendicatrice comme il le clame sur des morceaux comme « Reginald », « Barcelona » ou « Gwendolynn’s Apprehension » où il impose sa liberté de pensée, s’avoue usé par la superficialité qui règne ou le regard de l’autre qui constituent autant de paradigmes qu’ils souhaiteraient briser.
https://api.soundcloud.com/tracks/520033971
Le MC de Chicago a fait du besoin de se replier sur soi un thème récurrent de ce projet. Exprimé à plusieurs reprises, il est nécessaire pour lui de mieux appréhender le monde en s’en éclipsant quelques temps. Et c’est souvent dans ces moments qu’il se retrouve à vivre les expériences les plus significatives du puzzle qu’il décrit.
Il l’exprime sans détour dans « Ghost » (d’ailleurs produit – entre autres – par THEMPeople) :
But to clarify I really just be more focused on me
You can verify these claims with anybody that know me
ou sur le beat syncopé de « Plain Clothes » :
Subtilement, il use différemment de l’ombre et des alcôves lorsqu’il convoque la contribution suave de Corinne Bailey Rae sur la question du consentement érotique et livre son appréhension de la chose. En écho également au mouvement #MeToo et au morceau « Soft Porn » dans lequel il dévoile avec pudeur mais clarté la vulnérabilité masculine engoncée dans des attentes dûes à des clichés machistes.
Alors que dire de ce second effort du MC de Chicago ? D’abord qu’il offre un chouette moment de musique. Moment appréciable parce que les productions (notamment assurées par Kaytranada, THEMPeople, Black Milk ou BADBADNOTGOOD) ou les textes sont assaisonnés d’une pincée de sophistication délicate, bien dosée et non élitiste. Ensuite qu’il démontre que son rap tient une place particulière, très personnelle et finalement aussi intime dans le paysage Chicagoan l’impose. Enfin il démontre que, malgré ses réussites, l’album n’a pas non plus la résonance du classique de Gil Scott-Heron d’un point de vue sociétal et se veut auto-centré. Soit, c’est un parti pris et un très joli document de notre époque qu’on ne peut que recommander.
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