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MF Grimm, Eternal Hustler

Les histoires de rue sont monnaie courante dans le rap, qu’il s’agisse de réalité ou de fiction. Et pourtant qui a été plus « vrai » que MF Grimm à ce sujet ? Retour sur la carrière mouvementée de celui qui avait toutes les clés en main pour réussir.

Percy Carey a toujours été un garçon agité, jamais le dernier à mettre les coups à l’école ou dans la rue. Le jeune natif de New York fait ses débuts devant les caméras de la série Sesame Street à l’âge de 5 ans. Il devient très vite moins attiré par l’école que par le mouvement hip hop en pleine explosion. Dans les block parties où il passe une grande partie de son temps, il observe les MC’s et rêve d’en devenir un, si bien qu’il se lance dans le rap à l’âge de 14 ans. A l’âge de 16 ans il est touché d’une balle dans le bras suite à une fusillade dans une soirée. Nombreux sont ses amis qui font du rap, Grimm les accompagne en tournée et c’est à travers eux qu’il apprend les ficelles du métier. Ce n’est qu’à la fin des années 80 qu’il découvre ce qui va le passionner le plus en terme de rap : le Battle for World Supremacy. Le plus grand événement de battle rap qui soit, auquel Percy Carey assiste d’abord en spectateur, les yeux ébahis devant GZA ou encore son ami Lord Finesse.

Souhaitant s’éloigner un peu de l’atmosphère maussade de la Grosse Pomme, Grimm décide de partir pour Los Angeles. Guerre des gangs oblige, les fusillades ne se font pas moins rares. Il se lance dans un commerce de drogue entre Los Angeles et New York, en association avec son grand frère Jay, son inspiration de toujours. Cependant, Grimm n’arrête pas pour autant son activité dans le rap. Il est engagé en tant que ghostwriter chez Geffen et Epic Records (on lui propose notamment d’écrire le célèbre single « Ice Ice Baby », qu’il refusera). C’est également en Californie qu’il rencontre Dr Dre et Suge Knight, qui viennent juste de lancer le label Death Row Records et dont il a tout appris en terme de marketing.

De retour à New York en 1992, Grimm commence vraiment à se faire un nom dans le milieu hip hop. Il enregistre sa première démo « So Watcha Want, Nigga ? », dont il épuisera les stocks sans passage radio. Toujours en contact avec Death Row il se produit même sur scène aux côtés de Tupac, Snoop Dogg, Tha Dogg Pound pour un concert unique à Atlanta. Les fusillades et embrouilles de rue ne s’arrêtent pas pour autant. Percy décide donc de remporter le Battle for World Supremacy afin de se propulser une bonne fois pour toutes dans le rap et mettre fin aux business parallèles. Malheureusement pour lui, il tombe face à l’un des battle rappers les plus affutés : Supernatural. Malgré un très bon passage (au cours duquel il a notamment dissé P. Diddy, jury lors de ce battle), Grimm est éliminé. Son couplet ne passe pas pour autant inaperçu, si bien qu’il reçoit des offres de maisons de disques pour produire son premier album.

Le rêve d’MF Grimm est sur le point de se réaliser, il va enfin enregistrer un album, être produit par un label. C’était sans compter sur ce soir de janvier 1994 où sa vie a basculé. Alors qu’il sont dans une voiture, Grimm et son frère Jay se font prendre en embuscade par des rivaux qui leur tirent dessus. Atteint de sept balles (dans le cou, le bras, les côtes), Percy Carey, 23 ans, est plongé dans le coma. Son frère Jay, lui, ne s’en est pas sorti. Le bas du corps paralysé, Grimm devra passer le restant de ses jours en fauteuil roulant. En plus de son frère et ses jambes, cet événement lui coûte aussi son contrat de disque, les labels ne voulant pas commercialiser un artiste affilié à des histoires de gangs et de fusillades. Quelques mois plus tard, Grimm (alors journaliste pour un magazine musical à l’époque) assiste à un concert de Nas où il est censé rejoindre le rappeur de Queensbridge sur scène. Mais une dispute éclate entre son crew et celui de Nasir Jones : fusillade, concert annulé, nouvelle opportunité gâchée.

Tous ces retournements de situation n’ont pas arrêté Percy Carey. Désormais « blacklisté » dans l’industrie musicale, il se remet à la vente de drogue à la fin des années 90. Au cours de cette période, il se lie d’amitié avec un certain MF DOOM (avec qui il avait déjà collaboré auparavant ; ils fonderont par la suite le crew Monsta Island Czars), dont il financera le premier album Operation : Doomsday, entièrement enregistré au domicile de Grimm. Ce dernier lance également son propre label, Day by Day Entertainment, afin de s’affranchir de la dictature des maisons de disques. Mais comme toutes les périodes de prospérité dans la vie de MF Grimm, celle-ci prend fin assez rapidement. En 2000, il se fait arrêter pour vente de drogues et possession d’arme à feu, il est condamné à quatre ans de prison. Quatre ans dans un établissement carcéral en fauteuil roulant. Pendant ce séjour, il parvient à se procurer une boîte à rythmes avec laquelle il produira tout son album Digital Tears: E-Mails From The Purgatory. A force d’études des livres de droit et de lettres au gouverneur et au sénat, Grimm parvient à réduire sa peine et à être libéré sous conditionnelle à vie en 2003 (cette liberté conditionnelle a été levée depuis).


Vous l’aurez compris, la vie de Percy Carey n’est pas celle dont on rêve. Au-delà de ce destin tragique, sa force de caractère et sa détermination l’ont poussé à créer des œuvres musicales originales et sincères.

Pendant son séjour en prison, MF Grimm obtient le droit à une journée de liberté sous caution. Ces précieuses 24 heures, il les met à profit et enregistre entièrement son premier album The Downfall of Iblys : A Ghetto Opera, produit en majorité par MF DOOM. Inspirés de son vécu morose, les textes d’MF Grimm sont lugubres, violents, crus, avec tout de même une touche de mélancolie, de regrets. C’est l’expression même du regard que Carey porte sur sa vie.

L’album qui illustre à merveille l’univers du rappeur de Manhattan c’est l’album Scars & Memories. Des cicatrices et des souvenirs, voilà ce qui rythme la musique de Grimm. Cet opus sorti en 2005 est en fait un album qui aurait dû paraître dans les années 90, illustration du talent incomparable du rappeur qui lui a presque ouvert les portes du succès. Le titre éponyme est un dialogue spirituel entre lui et son frère Jay poignant dans lequel Grimm s’interroge sur son destin et la fusillade qui a coûté la vie de son frère.

Mais pour Percy Carey, la vie ne s’arrête pas suite à une fusillade et c’est pour cela que ses textes ne se focalisent pas uniquement sur cette partie de sa vie. Il y développe plutôt sa façon de penser et de montrer aux gens comment s’en sortir après avec vécu des situations difficiles. Les expériences qu’il dépeint dans ses couplets sont autant de faits qui mettent en lumière les problèmes de la société américaine : les guerres, les décisions politiques du pays, la place des noirs américains. Cette position de rappeur engagé est d’autant plus présente sur son triple album American Hunger sorti en 2005 (MF Grimm est d’ailleurs le premier artiste hip hop à avoir sorti un triple album).

L’autre grande force de Percy Carey c’est aussi le flow. Capable de s’adapter à tout type de beat, il varie sans cesse son débit de parole et sa façon de rapper. Bien sûr son rap a évolué dans la forme comme dans le fond suite à son accident, mais Grimm est encore loin d’être un infirme lorsqu’il s’agit de dompter un beat. Et pourtant le natif de New York ne pratique pas les émulsions violentes au micro, il aborde tous les morceaux avec calme et détermination.

Si on devait résumer la longue carrière d’MF Grimm, ce serait celle d’un malchanceux qui a toujours su mettre un poing d’honneur à réaliser ses rêves. Lui l’a très bien résumée dans son morceau « Back to Eden »:

« Fell to the bottom, then I learned to levitate, mindstate : rise up to the top »

Ghostwriter, rappeur, producteur, directeur de label, MF Grimm est le self-made-man du hip hop underground. Un homme qui a côtoyé les personnes les plus haut placées de cette industrie et qui n’a pourtant jamais eu de succès commercial ou de véritable appui de ses pairs. Toutefois, sa plus grande qualité c’est qu’il sera resté fidèle à lui même pendant plus de vingt ans de carrière musicale.

Playlist: MF Grimm en dix morceaux

Sébastien Laurent

Voue un culte à MF DOOM. S'intéresse au rap des bas-fonds, celui dont on ne parle pas assez. Un soupçon de technique dans l'écriture et un beat sombre font son bonheur.

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