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Médine: "J'ai été constant dans mes prises de risques"

Quelques jours avant la sortie de son album Storyteller, nous avons eu la chance de pouvoir échanger avec Médine sur sa carrière, son travail d’écriture mais aussi au sujet de ses enfants et de son combat pour l’égalité hommes-femmes. Rencontre avec un des piliers du rap français qui, aujourd’hui encore, occupe le devant de la scène.

Délicat exercice que celui d’interviewer une figure majeure du rap français comme Médine. Beaucoup de choses ont été dites ou écrites sur lui et le bonhomme offre suffisamment d’interviews pour qu’on en sache pas mal sur sa personne. Pour autant, nous avions à coeur chez The BackPackerz de réaliser notre propre interview de cet artiste impressionnant. Rendez-vous fut donc pris dans une location en banlieue parisienne, dans le cadre de sa semaine de promo sur Paris. L’accueil y est chaleureux et Médine nous invite très professionnellement à débuter l’interview. Quelques minutes avant notre arrivée, Kery James et Youssoupha quittaient les lieux après avoir enregistré un freestyle aux côtés du Havrais. De quoi inquiéter le voisinage qui pour la petite histoire nous interrompra après quelques minutes d’interview s’inquiétant des trop nombreux va-et-vient dans le pavillon. Encore du pain béni pour les prochains textes du MC.
The BackPackerz : L’album arrive un peu plus d’un an après Prose Elite. Penses-tu avoir retrouvé le rythme d’écriture de l’époque de Table d’Ecoute ?
Médine : Complètement. C‘est le rythme que je me suis imposé ou plutôt que le contexte m’a imposé. On voit aujourd’hui des rappeurs qui sortent des projets tous les six-huit mois, des albums surprises ou encore des albums lâchés à la dernière minute. Je me devais donc de coller à cette nouvelle norme de productivité.    

Dans quel état d’esprit t’es-tu lancé dans l’écriture de cet album ? C’était pendant la tournée précédente ?
Oui c’était pendant la dernière tournée. A ce jour, je n’avais jamais réussi à le faire, je n’ai jamais su faire deux choses correctement en parallèle, j’ai toujours focus sur une chose après l’autre et au final tu te découvres de nouvelles aptitudes, tu te dis qu’au final c’est faisable une fois que tu es sorti de ta zone de confort. J’ai donc vu que je pouvais écrire un album pendant une tournée et donc je vais certainement le refaire pour le prochain album ça ne fait aucun doute. En même temps je voyais autour de moi des jeunes comme Nekfeu ou Orelsan qui enregistrent dans leur tour bus donc je me suis dit qu’il n’y avait aucune raison que je ne sois pas capable de faire la même chose. C’est donc un peu d’égo mais aussi le fait que j’ai acquis une certaine forme d’expérience tout au long de ces années. 
A écouter les textes de l’album, on a l’impression que ta rage a laissé la place a plus de fatalité. Est-ce l’âge qui te fait prendre davantage de recul ?
Je suis plus en paix sur pas mal de sujets. L’adolescence te donne beaucoup de vigueur et d’envie de changer les choses et il y a clairement des choses sur lesquels je me suis résigné. Il y a aussi des timings qu’il faut savoir respecter pour parler de certains sujets, il y a des choses où je préfère laisser le temps faire son travail. Je prends dorénavant en compte le timing, le contexte, le bruit du monde, afin de ne pas hurler avec les loups. Ça donne quelque chose de moins rageur ou du moins la rage y est davantage maitrisée. 
Il semble que la rupture ait eu lieu après l’EP Démineur
A l’époque de Démineur je menais beaucoup de combats de front, dans ma vie personnelle, dans ma vie d’homme, des combats liés à ma spiritualité, à ma paternité au même moment où j’ai voulu moderniser ma musique pour être davantage en ligne avec mon temps et la nouvelle génération. Et donc en menant tous ces combats de front je pense avoir été maladroit dans ma façon d’exprimer les choses vis à vis d’un public. J’ai peut-être aussi fait de la provocation qui a pu heurter mais au final je ne regrette strictement rien. Ce fut une véritable expérience qui m’a permis de grandir et de justement avancer sur mes conflits que j’avais avec moi-même et j’en suis donc ressorti grandi. 

Ta relation avec les médias semble s’être améliorée. Penses-tu justement que ce soit lié ? 
J’ai toujours eu un profond respect pour le journalisme, pour l’objectivité que ça exige, c’est une véritable valeur même si ta propre personne transparaît toujours dans ton travail. Je n’ai jamais eu d’animosité envers personne même si certaines lignes éditoriales sont plus discutables. Dans mon approche vis à vis des médias, je ne vois pas de changement dans ma relation, j’ai toujours prôné la discussion, le dialogue. 
Le titre de l’album Storyteller : c’est une référence au qualificatif qui revient souvent quand on parle de ton talent d’écriture mais on peut aussi le voir comme un hommage aux grands morceaux du rap français d’antan . Quels sont les titres dans cette veine qui t’ont le plus marqués ?
Mon top 3 serait : « Black Mafia » d’Oxmo Puccino et Booba. Quelle intervention de Booba dans ce morceau d’ailleurs ! Ensuite « La Cavale » de Faf Larage et ensuite je dirais « Un Brin de Haine » d’AKH qui m’avait beaucoup marqué. Ce sont beaucoup de fictions au final je me rends compte, il y avait très peu d’histoires inspirées de faits réels, de géopolitique ou autre. Ce furent beaucoup de fictions qui m’ont mis le pied à l’étrier.

La trap représente dorénavant l’essentiel des prods sur lesquelles tu poses. Pour en avoir déjà discuté avec Sals’a, selon lui ton message est encore plus percutant sur cette musique. Avec le recul que tu as à présent sur ta technique d’écriture, penses-tu en effet que tu sois plus à l’aise pour faire passer ton message, relativement au boom-bap ?
Je suis de l’avis de Sals’a. Là où certains voient en la Trap un côté minimaliste j’y vois un esprit de synthèse, un filtre qui permet d’épurer toutes les descriptions inutiles à un texte en réalité. Je sais où je trichais avant et où je ne peux donc plus tricher aujourd’hui avec la trap. Je trichais sur des textes où tu peux t’étendre sur des conjonctions, des qualificatifs, pour faire un peu de remplissage là où à l’époque nos étions dans une tradition de faire 16 à 24 mesures. T’avais une ou deux punclines dans ton couplet et ça pouvait suffire pour qu’on se souvienne de ton morceau. Le reste n’était que remplissage un peu comme un pigiste payé au mot. Avec la trap il faut être incisif sur chaque ligne ! C’est un bien même si c’est plus dur aussi… J’ai le même processus d’écriture qu’avant sauf que j’ai un bloc note plus fourni car pour être incisif à chaque ligne il faut une forte habileté et une forte connaissance des concepts d’écriture. 
Le morceau « Enfant du Destin : Ataï » : comment t’es venue l’idée de ce nouveau récit ? Qu’est ce qui t’a intéressé dans cette histoire vraie ?
L’idée de parler de la Nouvelle-Calédonie, ça m’est venu grâce à un texte de Renaud qui s’intitule « Trivial Poursuite ». Dans ce morceau il reprend le contexte du jeu en énonçant des questions d’histoire. C’est avec ce texte que j’ai été sensibilisé au sujet Kanak et je me suis alors un peu renseigné sur le sujet en me disant qu’un jour ou l’autre j’écrirais un texte dessus. Puis un jour je suis rentré plus en détail sur l’histoire et j’ai donc étudié quelques périodes particulières et je suis tombé sur le récit de chef Ataï. A ce moment là je savais que j’avais mon nouvel « Enfant du Destin » un peu comme « Kunta Kinté » dans Racines. Je ne pouvais pas écrire une meilleure histoire que celle qui est déjà écrite. Pour le coup, pour Ataï, je suis surtout tombé sur des récits d’après sa mort, sur comment son crâne est parti de Nouvelle-Calédonie pour passer par la France, puis égaré pour ensuite être réclamé et enfin ramené au pays.
Tu n’as pas l’impression qu’il y a plus de peuples opprimés que tu n’auras de force pour tous les conter ? 
Malheureusement oui, il y aura toujours ce genre de sujets et en effet j’ai de quoi faire, je vais faire un album à la Maitre Gims de quarante titres. 
Au sujet d’un ancien « Enfant du Destin », le titre « Nour » a hélas lors de sa sortie connu un impact particulier dans l’actualité. Quels ont été alors les retours qu’on a pu te faire sur ton travail de documentation, de recherche jusqu’à aller tourner un clip en plein dans un camp de réfugiés ? 
Je me dis qu’on est dans une course de relai. Les journalistes font leur part, les artistes la leur en passant par les humanitaires. Sur ce sujet précis, le relai à tristement bien fonctionné, cela a mis du temps à arriver sur le devant de la scène mais au final je vois ça de façon positive. Ça revient sur notre sujet du journalisme et là je ne peux que saluer le relai que les journalistes ont fait au sujet dans un bon timing. 

Penses-tu qu’à ce jeu là le rap puisse enfin être pris au sérieux en France comme une arme d’information au-delà de son aspect proprement musical et donc ludique et que le rappeur cesse d’être pris pour un clown ?
Je n’ai pas de grands espoirs sur ce sujet. Je fais ma part sur les sujets qui me touchent, c’est ma conscience qui parle et je ne blâme pas ceux qui en font autrement. 
Le titre « Bromance » évoque la relation si particulière entretenue entre chaque membre de Dinrecords. Vous êtes, et ça semble évident, une équipe des plus soudées. A l’inverse quelle serait la situation qui selon toi ferait éclater cette union ?
Chez Din Records si tu sers mal un plat à Sals’a ça peut mal se passer ! (Rires)
As-tu conscience qu’un jour il y aura d’autres “Lecture Aléatoire“ par d’autres artistes et que cette fois tu seras cité dans le morceau  comme référence et pilier ?
Non je n’y crois pas. Je trouve que les rappeurs actuels manquent d’humilité par rapport aux générations précédentes. Je ne pense pas que ce type de morceau soit faisable en 2018. Il y a beaucoup de gars qui arrivent et qui pensent qu’ils sont nés tous seuls, qu’il n’y avait personne avant eux et qu’ils ont créé le rap. Peut-être que l’avenir me fera mentir mais je n’y crois pas. 

Justement quel regard portes-tu aujourd’hui sur ton travail et ta carrière ?
J’ai été constant, il y a un dénominateur commun tout au long de ma carrière, il y a des valeurs. On m’a maladroitement classé dans la case du rap conscient et on s’est trompé à ce sujet. Le conscient c’est une valeur, une constante, qu’on peut retrouver dans certains textes de Nekfeu, Vald, Orelsan, comme il y a de la sincérité chez Alkpote, Hamza ou encore Damso. On a confondu valeurs et courant. C’est très maladroit, c’est mal classifié et donc « mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde » comme dirait un grand écrivain (Albert Camus NDLR). C’est une valeur à ne pas confondre avec un courant et si on regarde ma carrière je n’ai pas été conscient j’ai été constant, dans la volonté d’avoir été régulier, intègre, de ne pas m’être contenté de l’acquis. Je suis fier à un moment d’être sorti de ma zone de confort pour toujours chercher à me surpasser et à finalement avoir été constant dans mes prises de risques. Si on me reconnait cette qualité alors tu fais de moi le plus heureux des hommes.
Parlons de ta connexion récente avec Sofiane. Ce rapprochement peut surprendre d’un point de vue artistique. Quelles sont les raisons qui te poussent à vouloir associer tes textes à ceux de Fianso? 
Mon rapprochement est surtout artistique. Il y a une véritable énergie, c’est quelqu’un qui avance très vite, c’est un bouffeur de micro, un véritable bosseur qui a longtemps été dans l’ombre avant aujourd’hui de connaitre une véritable fenêtre anabolique qu’il est en train d’exploser à 100% à présent. Je respecte beaucoup ça. 
Tu as d’ailleurs également participé au tournage d’un long métrage aux côtés de Fianso mais aussi de Catherine Deneuve. Était-ce une parenthèse dans ta carrière musicale ou il pourrait te prendre l’envie de pousser encore plus dans cette direction?
C’est une opportunité qu’on a eu que j’ai saisie, j’ai beaucoup aimé le scénario, c’est un réalisateur (Keiron) que j’aime beaucoup. Je me suis vraiment marré pendant une semaine au Maroc, on joue avec Fianso des rôles de durs et je n’ai pas de grands espoirs dans mon avenir dans le cinéma. Je voulais juste découvrir le truc et j’en suis très content.

Parlons à présent de tes enfants qu’on voit beaucoup sur Instagram au point d’avoir l’impression que ce sont mes petits frères…
Ah c’est cool ça !
Commençons par ton fils Massoud qui rappe à tes côtés sur le titre « Papeti ». L’envie vous est venue suite à la dernière tournée où tu le faisais monter sur scène pour un duo sur « Global » ou cela date d’avant? 
Oui c’est son côté décomplexé, il est habile avec le public. Donc je me suis dit que nous devions aller plus loin qu’un morceau qui à la base n’était écrit que pour moi. Écrivons un morceau ensemble que nous pourrons alors jouer sur scène. La prochaine étape est qu’il écrive son couplet tout seul puis la suivante est la sortie de son album !
Quelle est sa relation au rap ? Est-ce du simple mimétisme vis à vis de toi ou c’est vraiment un mordu ?
Il a ses sélections aujourd’hui. Il est jeune Massoud il a huit ans. Il y a un an ou deux c’étaient des morceaux par procuration qu’il entendait dans la voiture alors qu’aujourd’hui il a son propre compte Spotify et il se fait ses propres playlists. Ça va être beaucoup d’afrotrap car il danse à côté donc c’est plus un ambianceur qu’un lyriciste. Je ne le pousse pas vers un courant plutôt qu’un autre, je suis assez progressiste pour ça. Je ne vais pas lui mettre dans les oreilles les albums de La Rumeur ou de Casey pour essayer de le galvaniser. 
Tu témoignes l’amour que tu portes à ta fille ainée dans le morceau « Tellement je t’m » sur un texte touchant mais d’une rare pudeur. 
(Il interrompt) C’est un compliment merci. 
La relation avec ta fille est-elle différente de celle que tu entretiens avec tes deux garçons ? 
Non. Les trois sont mes copains. Peut-être que publiquement quand je parle d’eux j’adopte une certaine forme de pudeur. Je ne veux pas être maladroit. Mais je trouve que je me suis pas mal dévoilé dans ce morceau, quand je l’écoute devant d’autres personnes je suis un peu gêné. Je ne sais même pas si je le jouerai sur scène. Le problème dans ce morceau ce n’est pas Mekka, c’est la situation des femmes en ce moment. Il y a un paternalisme que tu ne peux plus remettre en question dès lors que tu es un homme. Je ne veux pas déposséder les femmes de leur propre combat parce qu’on serait moins légitime à remettre en question les rapport hommes-femmes en faveur des femmes parce qu’on est des hommes justement et qu’on manquerait d’objectivité. Mais en même temps j’ai une fille et je me sens légitime en tant que père à l’avertir sur des sujets de société auxquelles elle sera confronté dans sa vie future. Si je suis pudique, maladroit, c’est parce qu’il y a cette pression sociale, qui dit de faire très attention à ce que tu vas dire au sujet de la femme. N’oublie pas que tu es issu de l’immigration algérienne, n’oublie surtout pas que tu es musulman, n’oublie surtout pas que tu es homme avant tout. Donc fais attention lorsque tu t’exprimes, n’oublie pas la force des symboles que tu représentes et en même temps tu es le père d’une petite fille… comment ne pas lui transmettre tes inquiétudes, comment faire pour qu’il y ait un vrai débat ? C’est ça le problème de fond de ce morceau. Comment avoir un vrai débat sans être pollué par le bruit ambiant sur le sujet de la femme. 
Le combat de la condition de la femme c’est une constante dans ton message depuis le début…
C’est une constante mais je ne me sens toujours pas légitime… C’est comme via mon Instagram. J’évoque beaucoup de sujets que je n’ose pas aborder à travers mes morceaux car ça serait trop dramatique. Ce serait présenté trop solennellement et donc pris pour un pamphlet. Il y a certains sujets qui sont complexes et d’en parler d’une manière décontractée ça permet de mieux faire passer des messages. 

The BackPackerz tient à remercier l’équipe de Din Records pour avoir rendu cet interview possible. Merci également à Médine pour sa disponibilité et pour la qualité de cet échange.
La date du 20 octobre au Bataclan étant complet, Médine offre à son public une seconde date le 19 octobre ainsi qu’une version alternative de son titre majeur « Bataclan » réinterprété en acoustique sur la scène du Bataclan aux côtés du talentueux Sofiane Pamart. Nous vous laissons le découvrir sans plus attendre. 


Médine sera en concert à Nantes, le samedi 2 juin dans le cadre du Rendez-vous Hip Hop 2018. Plus d’information sur l’event Facebook.
Crédits photos : JuPi

JuPi

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