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Marty de Lutèce : « Est-ce que je suis capable de ne pas être normal ? »

Rempli de titres forts, Poster est l’occasion de revenir sur le parcours d’un artiste qui sait s’entourer des meilleurs (King Doudou, schumi1, Izen…) pour proposer une musique hybride, hors format tout en étant résolument pop.

Quels sont tes premiers souvenirs musicaux ?

Le premier truc dont j’ai vraiment été fan, c’est Nirvana en 5ème. Sinon, la musique, j’ai l’impression d’en avoir toujours fait. Les premiers trucs qui me viennent, c’est la flûte à l’école mais c’était chiant. Après, comme tout le monde, j’ai le souvenir de mes parents qui écoutaient de la musique, genre Queen. Ils étaient pas très pointus, mais c’est comme ça que ça a vraiment commencé. Puis au collège, j’ai monté mon premier groupe de musique et j’ai davantage découvert la musique comme ça. Je ne faisais pas de reprises, je jouais deux notes et je les enregistrais… C’était dégueulasse.

Puis tu t’es mis à la musique électronique…

L’électro, c’était plus à la fac. A un moment donné, j’ai arrêté la musique pendant au moins 4 ans pour faire des études. Mais comme j’avais toujours ce truc en moi, quand j’étais tout seul chez moi, l’électro était ce qu’il y avait de plus accessible. J’avais juste besoin d’un ordi et d’un logiciel pour créer. Je m’amusais à prendre des samples de paroles de films et je mettais de l’électro derrière, un peu comme ce que ferait Bon Entendeur aujourd’hui, par exemple. Je faisais ça y a grave longtemps, tout seul dans ma chambre. Il doit y avoir 5 potes qui ont écouté, et c’est tout. C’était pour tripper.

A l’époque, avec Lutèce, vous aviez bénéficié d’articles dans les Inrocks, comment ça s’est fait ? C’était assez inédit vu le peu de visibilité que vous aviez…

Ca vient de la collaboration avec King Doudou et surtout, de son manager. On a fait un morceau qui s’appelait « Virage » avec Lutèce, et le lendemain, il s’est retrouvé sur l’Abcdrduson. C’est le premier truc de ouf qu’on a eu. Et c’est vraiment grâce à son manager car c’est un mec, s’il dit “toi je te fais popper”, tu poppes. Il n’y a pas de demi-mesure. On a été en contact avec les Inrocks car il avait fait de nous le groupe à la mode et qu’il fallait connaître à Paris.

A travers ta musique, et encore plus sur ce projet, tu es parvenu à développer un fil conducteur. Qu’il s’agisse d’une instru 2step (« Comment Faire ») ou afrobeat (« Monday »), tu parviens à marquer les morceaux de ton empreinte pop-cloud mélancolique, sans pour autant répéter la même recette.

Ca, j’en suis grave content ! Effectivement, c’est un truc auquel je m’attendais pas. Avant Poster, j’étais un peu en difficulté sur la création. J’avais l’impression d’avoir des problèmes d’interprétation, de tourner en rond, de faire des trucs lisses et plats. Puis au fur et à mesure, c’est venu naturellement et je suis trop content qu’il y ait quand même ma touche. « Monday », ça me représente alors que l’instru c’est pas mon univers et ça, j’en suis grave content. C’était pas fait exprès. Schumi1 a fait la prod et j’ai posé comme d’habitude…

C’est aussi schumi1 qui a mixé tout le projet et le master a été confié à la même personne donc ça apporte de la cohérence.

Pourquoi avoir appelé ton nouveau projet, Poster ?

Ca vient du son éponyme. Je trouvais que c’était une bonne image. Souvent, quand j’écris, sans m’en rendre compte, c’est assez lié à ce qu’il se passe dans ma vie à ce moment-là. J’étais à une période charnière où je me demandais si j’allais continuer la musique ou arrêter…. Poster, c’est pour dire que je veux me voir en poster plus tard. Je veux que des gamines m’aient en poster dans leur chambre. C’était vraiment lié au fait que le poster représente une personne connue. Mais ça évoque aussi tous les doutes liés à ça : Est-ce que j’en suis capable ? Est-ce que c’est légitime ? Est-ce que je vais y arriver ?

Je trouve que toutes ces questions se retrouvent dans l’EP et participent à le rendre assez homogène.

Est-ce que je suis capable de ne pas être normal, de l’imposer et le revendiquer ?

D’ailleurs, au fil de tes projets, on sent une évolution dans les questions que tu te poses…

C’est con, mais dans les morceaux que je fais maintenant, il y a d’autres thèmes qui se dégagent car la vie t’impose d’autres questions. Comme le thème des relations homme/femme. Je vois des mecs qui font des gamins… est ce que j’en suis capable aussi ?

La vie évolue et les questions avec. Sur Poster, il y a des questions récurrentes que je me pose, celle de la normalité, même si je l’ai toujours fait. J’ai toujours voulu avoir ce décalage avec les personnes dites “normales” qui ont un taff “normal”. Et vu que je viens de là, c’est assez traumatisant de me dire “est-ce que je suis capable de ne pas être normal, de l’imposer et le revendiquer ?”. C’est une question que je me pose toujours. Car même si j’arrive à en vivre, être en marge ça impose plein de sacrifices. Comme le fait d’avoir beaucoup moins d’argent que ses potes…

Encore plus que les questions, c’est l’angle avec lequel tu réponds qui évolue finalement. Alors que sur Violence Partout, tu constatais la tristesse de ce monde en voulant le fuir. Aujourd’hui, tu en es toujours conscient, sauf que tu l’affrontes avec un discours différent.

C’est exactement ça. J’ai l’impression que le thème est toujours le même car on se pose toujours les mêmes questions dans la vie, d’une manière générale, mais tu les affrontes différemment. C’est bête mais, imagine t’as un bon article dans un média, tu passes en playlist et les gens kiffent. Si tu fais un morceau le soir, le morceau sera forcément plus positif que si t’es dans ton coin dans ta chambre et que t’as rien. C’est une évolution car la vie est comme ça aussi. Heureusement, ça va dans le bon sens, mais si ça allait dans le mauvais, je serais peut-être encore plus négatif que ça.

Pour ce nouvel EP, tu t’es entouré de King Doudou et schumi1, qu’on croisait déjà sur Violence Partout et Noob, pour la production. Finalement, c’est comme si tu remontais un groupe à chaque nouveau projet.

Avant un projet, j’écris à tous les gens que j’aime bien en leur demandant s’ils sont chauds d’en faire partie. En général ils disent oui, parce que c’est mes potes aussi.

Comment les as-tu rencontrés ?

Vu que c’est un petit milieu, ça s’est fait naturellement. J’étais dans un studio à Croix Rousse avec Lex Luger. C’était l’événement de fou, donc tout le monde était là, dont King Doudou. On l’a ramené en caisse en lui faisant écouter mes morceaux et ça a tellement accroché, que le lendemain on était en studio avec lui.

Quant à schumi1, je l’ai rencontré chez Izen. Il m’a demandé mon mail pour m’envoyer des prods. Ca arrive souvent, mais là, les prods qu’il m’a envoyées étaient mortelles ! J’ai l’impression qu’à chaque fois, je tombe grave bien. Ce sont tout le temps des personnes qui vont faire des trucs de ouf dans les mois qui suivent.

Comment tu travailles avec eux ?

Je compose vachement chez moi sur logiciel et ensuite je donne le son à un producteur et je lui dis, vas y, fais en ce que tu veux. Tout seul je trouve que c’est pas encore légitime car je sais pas mixer ni mastériser.

Un son comme « Beretta » sur l’EP, la compo est de moi à 90%. Mais vu que King Doudou est beaucoup plus balèze que moi en mix, je lui confie le son. Vu que, comme moi, il est à Lyon, je vais souvent chez lui. On bosse le morceau ensemble, mais on n’enregistre pas forcément chez lui. Ou si j’enregistre, c’est une sorte de pré-maquette avant de réenregistrer en studio.

Avec schumi1, je fais beaucoup de coproduction qu’avec King Doudou. C’est difficile de lui imposer une vision s’il ne le veut pas. Mais bon, le fait est qu’il est grave bon donc je lui fais confiance. Ca me permet de plus me concentrer sur le texte ou de faire le feignant si j’ai un texte de prêt. Parfois je trouve ça bizarre d’accorder un crédit à un artiste auteur chanteur interprète de l’EP car techniquement, sur cet EP, j’ai fait 30% du taff…

Et quelles sont les particularités de chacun ?

King Doudou est très expéditif et carré, c’est vraiment un professionnel. Parfois il a déjà ses boucles de batterie préenregistrées. Il peut faire une instru en 10 minutes, c’est abusé. Mais ça vient de son travail amont. Avec lui, je n’ai pas le temps d’écrire pendant qu’il fait l’instru car il est trop rapide.

schumi1 est plus long, mais plus minutieux. Il prend la chanson de A à Z et la déroule. S’il veut un détail à dix secondes, il le met direct. Il n’attend pas la fin pour revenir dessus J’ai l’impression qu’il a déjà la chanson en tête et qu’il met tel détail avant de passer à l’étape suivante. Ca peut durer quatre heures facile.

Quel a été le morceau le plus difficile à réaliser ?

Bulletproof, car c’est le premier que j’ai fait. Si tu l’écoutes, il ressemble énormément à ce que je faisais avant. Il me fait penser à « Demain », c’était la première fois que je jouais de la guitare dans un de mes morceaux. C’était dur car j’étais encore dans cette période charnière où j’avais peur de faire de la merde… Mais sinon, il n’y a pas de difficulté. Si c’est difficile, je ne le sors pas. Par exemple « Monday », qui est un de mes meilleurs morceaux je pense, c’est quasiment un one-shot.

Ca t’arrive de revenir sur un texte ou un morceau ?

Pour le coup tu me demandais si je retravaillais mes textes. Aujourd’hui, si je pouvais le faire, je retravaillerais « Nah Nah » ne serait-ce que pour changer deux phrases pour lui donner une signification.

Quasiment jamais. Parfois ça arrive quand je dis quelque chose de flingué. Pour le coup, si je le pouvais, je retravaillerais le refrain de « Nah Nah » pour lui donner une autre signification. Sinon, soit je fais un morceau que je trouve trop bien, soit un morceau que je trouve trop nul. Il y a des mecs qui font des rééditions car ils ont 7 morceaux en plus qui sortent de la session studio, mais moi non. Car les 7 autres sont nuls à chier. Ca me permet juste d’avoir des textes en stock et de récupérer deux, trois trucs cools pour d’autres morceaux.

Y-a-t’il une réédition de prévue ?

Oui, et dessus, schumi1 c’est Kanye West. Il a fait des trucs incroyables !

Et c’est marrant  parce qu’il fait exactement ce que j’ai envie de faire. Et je pense qu’il ne pourrait pas le faire avec quelqu’un d’autre que moi. Genre les morceaux ultra chanté avec de la guitare qui, ensuite, partent sur un beat différent, c’est pas pour se vanter, mais je ne pense pas qu’il y ait quelqu’un d’autre qui veuille ça. Ce n’est pas le fait de pouvoir, car ils le peuvent, mais vraiment de vouloir. J’ai cette influence-là. Même si ça se voit moins sur Poster

Qu’a changé la signature sur le label jeune à jamais ?

Depuis Violence Partout, ça a changé le professionnalisme. J’ai pu monter un projet cohérent de A à Z, avec une image etc. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup plus de cohérence qu’avant. Et les moyens aussi, on va pas se mentir : les clips. Pour le clip de « Comment Faire » on a fait appel à la même équipe qui a clippé Niska ou Shay…

Ca change aussi le fait que tout soit moins instantané : si je veux sortir un morceau demain, je ne peux pas le faire.

A la fois, dans une interview pour ManifestoXXI, tu dis regretter que l’époque soit autant portée sur le visuel et la communication et en même temps, ton image est soignée, les clips également. Comment tu composes avec ce rapport un peu paradoxal à l’image ?

Sans parler de truc artistique, Instagram, c’est une contrainte de ouf. Si t’aimes pas te montrer ou faire des stories, tu fais comment ? Et il y a plein de gens qui se forcent. J’en parlais à Zed Yun Pavarotti il y a pas longtemps, parfois il en fait. Je sais qu’il n’aime pas, mais il est obligé. Et ça, c’est pas artistique du tout. Mais c’est juste que t’es obligé de le faire, de créer l’interaction, de savoir quoi écrire en légende. Et ça amène un truc malsain : toutes les cinq minutes, tu regardes combien de likes t’as sur ta photo… Tu ne pourrais regarder qu’une fois par semaine, mais c’est le fonctionnement qui fait que c’est ainsi.

Pour conclure, il semble qu’Alain Bashung semble tenir une place particulière chez toi. Que représente-t-il selon toi ?

Il représente quelqu’un qui ne fait pas de concessions. Pareil pour Gainsbourg par exemple. Il représente les gens qui ont fait ce qu’ils pensaient, sans se caler sur les standards. Et je ne suis pas sûr que ce soit encore faisable aujourd’hui. Parce que même les mecs qui paraissent ultra-indépendants ou qui font ce qu’ils veulent sont obligés de se caler sur ce qui se fait, même Booba. Même Koba La D ou Gambi ont des voix comme ça car c’est ce qu’on recherche. Alors que Gainsbourg et Bashung faisaient vraiment leur truc et si ça plaisait aux gens c’est parce que ça les représentait et c’est tout. C’est quand même ouf !

J’ai l’impression qu’avant, c’était beaucoup plus dur d’entrer dans le monde de la musique, mais une fois que t’y étais, c’était simple car t’avais pas trente-six trucs qui sortaient. Il y a encore vingt ans de ça, tu signais en label, t’avais percé en fait. C’était le curseur pour savoir si t’avais percé ou pas. Alors que maintenant, c’est juste le début.


Cette interview est une contribution libre de Rémi Benchebra que nous avons choisi de publier. Si vous aussi vous voulez tenter d’être publié sur BACKPACKERZ, n’hésitez pas à nous envoyer vos articles via notre page de contact.

La Rédac

BACKPACKERZ, c’est une grande mif de NERDZ réunis par l’amour du son et le goût du partage. Une équipe d’explorateurs passionnés, qui sillonnent la galaxie rap et les nébuleuses voisines, à la recherche de ses futures étoiles.

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