Depuis maintenant une dizaine d’années, Manast LL’ s’efforce de proposer un rap anglophone, à l’image des artistes qu’il adulait dans sa jeunesse et dans lesquels il continue de puiser ses inspirations. Après une multitude d’EPs comme Suddenly ou Ain’t Stressin’ dans lesquels il semblait chercher une patte artistique, Manast offre cette fois-ci un projet qui lui ressemble plus que jamais. Retour sur un disque aux racines aussi bien françaises qu’anglophones.
BACKPACKERZ: Avec Pass The Torch, penses-tu avoir franchi un palier?
Manast LL’: C’est certain. Que ce soit dans le choix des productions, des lyrics ou de la cohésion, rien n’a été laissé au hasard. Le fait de travailler avec le duo Satyvah, qui a beaucoup d’expérience dans le domaine de la production, a renforcé cette homogénéité au sein du disque. Je peux dire que c’est le projet dont je suis le plus fier, et je sais que je vais l’écouter encore dans trois ans. Le tout se veut bien plus intemporel. Chaque morceau a un message précis et ils ont tous leur place.
Ce qui frappe en premier lieu, c’est ton choix de rapper en anglais. Pourquoi cette volonté de rapper dans cette langue alors que le rap francophone a explosé en France ?
J’ai toujours été plus intéressé par la culture américaine. Puis j’ai grandi dans une certaine bulle : j’ai fait du basketball, je portais des baggies… J’avais créé mon petit monde américanisé. Avec mon meilleur ami, on a toujours adoré et échangé sur cette culture. Rapper en anglais, c’est une évidence pour moi. Après j’ai parfois pensé à rapper en français lorsque j’ai eu des périodes difficiles sur le plan artistique. J’ai d’ailleurs eu un alias différent lorsque je rappais en français mais je ne trouvais pas le processus assez naturel. Mes potes m’ont fait comprendre que je devais continuer en anglais. Mais ça ne veut pas dire que je boude la rap français. Bien au contraire, j’écoute pleins de gars très chauds: Laylow, Ichon, Rad Cartier bien sûr ou encore 13 Block.
Tu n’as jamais pensé à faire un mélange entre français et anglais ?
Non. Je sais que pleins d’artistes le font très bien, mais moi je n’y arrive pas. Du moins, quand j’ai essayé de caler quelques mots français, je n’ai pas aimé le rendu final. Puis en rappant exclusivement en anglais, je me dis que tout le monde peut me comprendre. Je peux être autant écouté au Brésil qu’aux Etats-Unis. Après, je suis déçu qu’il n’y ait pas plus de français qui soutiennent ma musique seulement à cause de la barrière de la langue. En France, on est pas les meilleurs en anglais, puis certains sont un peu chauvins et manquent d’intérêt pour les pays anglophones.
Ressens-tu des limites dans ton écriture du fait que ce ne soit pas ta langue maternelle ?
Non pas du tout car plus j’avance, plus je me perfectionne. Aussi, je suis en contact avec des amis aux États-Unis et ça devient de plus en plus naturel pour moi, notamment au niveau de l’argot. Ça explique le fait que je n’écris plus. Je rentre dans la cabine et j’ai déjà tout en tête. J’effectue des quatre ou six mesures que je mets par la suite bout à bout.
Comment Aayhasis et Astronote ont décidé de se réunir sous l’alias de Satyvah et produire cet EP avec toi ?
On vient tous les trois d’Orléans, la connexion s’est donc faite naturellement et cela depuis un bon bout de temps, depuis l’époque où j’avais sorti un projet avec le producteur Nude (anciennement Weshokids) en 2012. Ils ont été les premiers à me soutenir malgré certains aspects de ma musique qui laissaient à désirer, notamment les lyrics. Plus tard, j’ai sorti un projet intitulé No Regrets, No Pain qui n’est plus sur les plateformes mais on pouvait déjà retrouver des productions d’Astronote et Aayahsis. Puis en 2018, je leur ai proposé de faire un projet purement orléanais et régulièrement, le soir, on se regroupait pour des sessions studios afin d’aboutir à Pass The Torch.
Il est assez rare d’entendre des sonorités G-funk en France, je pense notamment à « Martin Lawrence ». Quelles sont tes inspirations à ce niveau?
En ce moment, j’écoute beaucoup Larry June, Jay Worthy, G Perico évidemment, mais je ne me limite pas à la G-funk car il y a une grosse variété de style sur la côte Ouest. Je pense à Kamaiyah, Shoreline Mafia, SOB RBE… Tous ces artistes de la Bay Area. Puis ceux de Sacramento comme Mozzy également.
En parlant de G Perico, il y a une collaboration inattendue sur « Past Midnight »… Comment la connexion s’est-elle faite?
Par mail, tout simplement. Je l’avais déjà contacté un an auparavant car je voulais vraiment bosser avec lui. Il m’a donné le prix pour la collaboration, et j’ai travaillé une bonne année pour gagner la somme en question. Le fait d’avoir travaillé pour acquérir cette argent a créé un lien et un respect mutuel entre nous deux. Du coup, on a fait le morceau en mars 2019 à distance puis je me suis rendu à Los Angeles cet été et j’en ai profité pour aller voir s’il était à son magasin « So Way Out » sur South Broadway. Il n’y était pas mais l’un de ses potes nous a dit qu’il fallait clipper ce morceau et, une semaine plus tard, on s’est tous rejoint au Viking Motel et le tournage s’est super bien passé.
Quel est ton lien avec les Etats-Unis ?
Je n’y suis allé que deux fois : l’été dernier où je me suis rendu à Los Angeles et en mars dernier à New-York. Mais la ville où j’allais beaucoup quand j’étais jeune c’était Londres car j’ai de la famille qui y vit.
Est-ce là-bas où tu as pris goût à la langue anglaise ?
Entre autre oui. Cela m’a aidé pour perfectionner mon anglais puis j’ai toujours aimé cette matière à l’école malgré que je n’étais pas très assidu.
Je sais que le magazine Fader avait parlé de toi. Ressens-tu un engouement à ton égard aux Etats-Unis ?
Je vois surtout un impact quand, par exemple, G Perico va partager le visuel qu’on a fait ensemble. Puis je n’aime pas trop ces grosses enseignes qui balancent du contenu en continu. Concernant mon public, c’est vraiment du 50/50 entre anglophones et français.
La chanteuse Anna Majidson t’accompagne sur « How Do You Love Me », alors que tu sais pourtant chanter. Pourquoi t’entourer d’une voix féminine ?
Premièrement car c’est une amie proche. Ensuite, le morceau prend en compte deux points de vue. Moi, je parle de ma relation avec ma compagne alors qu’Anna parle d’une relation qui n’a pas fonctionné. Puis ces deux histoires d’amours viennent servir une problématique amoureuse bien plus large, c’est-à-dire le fait d’attendre en retour un amour similaire à celui que l’on donne. Or, chacun est différent et manifeste cette émotion d’une manière unique. Également, lorsque je dis sous la voix « chopped and screwed »: “Always trying to be perfect that at the end is way too toxic”, je veux montrer qu’on a tellement envie d’être parfait dans une relation qu’on finit par ne plus être soi-même.
Tu viens d’Orléans. As-tu été inspiré par la scène rap qui s’est développée là-bas, symbolisée par le succès de Dosseh, par exemple?
Déjà, il y a la « Ligne Bleue Records » qui est le label que j’ai fondé avec Jeune Faune, et qui a débuté à Orléans, même si maintenant on est surtout implanté à Paris. En dehors du label, il y a une scène importante avec beaucoup d’artistes, que ce soit dans le rap ou dans le chant. Le souci est que chacun reste dans son coin et la scène est assez disparate. Je crois que ça commence à changer mais je suis moins connecté à la ville à présent. Puis il est assez compliqué de développer un lieu fixe pour propulser la musique car le centre-ville est investi par une classe plutôt bourgeoise, avec des personnes âgées qui ne souhaitent pas voir ce type d’initiative. Alors dynamiser la sphère du rap, ce n’est pas le premier objectif pour les acteurs du territoire. Du coup, de nombreux rappeurs viennent de l’agglomération: La Source, L’Argonne, Saint Jean de la Ruelle, et personne ne se connecte réellement. J’aimerai bien faire un festival là-bas pour montrer qu’Orléans a quelque chose à donner et ainsi changer la donne.
Si l’EP est très anglophone, tu as décidé d’aller chercher un graphiste français, Hector De La Vallée. Pourquoi ce choix qui s’éloigne pas mal de la pâte graphique de La Ligne Bleue ?
Pour la connexion, elle s’est faite car Hector a fait la carte pour « Gumbo Yaya », le restaurant où je travaillais à Paris. Du coup, j’ai pu être mis en contact avec lui. J’ai toujours donné de la force à son travail, puis il a bossé sur de très bons projets qui me parlent. En faisant appel à un mec confirmé, je passe un cap d’une autre manière que sur le plan musical.
Tu est co-fondateur du label La Ligne Bleue qui a d’ailleurs sorti un projet il y a deux mois de cela, Bleue Vol 2, réunissant une multitude d’artistes aux directions musicales diamétralement opposées. Comment fonctionne ce label et quelle est sa politique ?
On est une grande famille. On est tous amis à la base et cela depuis une dizaine d’années. Pour le nom, il vient du faite qu’on habitait tous au niveau de la ligne de métro 2 qui est représentée par la couleur bleue, ce qui explique notre logo. Dedans, tu trouves Rad Cartier, Jeune Faune, DOR, Ceddy qui est le dernier à nous avoir rejoint. Niveau production, tu as le trio Astrolabe Musique, 528ron et Joss qui est ingénieur du son. Il y a une grande versatilité dans les inspirations de chacun mais c’est finalement un pur hasard et cela crée une grande diversité. En ce moment, on travaille sur la suite de Bleue Volume 2. On va faire un « 2.5 » mais je ne peux pas t’en dire plus. A côté de cela, on continue à faire des dates, on maintient le merch’, on développe notre image… En ce moment, on veut aussi développer la carrière de nouveaux artistes extérieurs. On a pu le faire avec Camélia Fox pour aboutir à un mini-EP de trois titres.
Était-ce une volonté de se détacher de La Ligne Bleue en ne faisant aucun featuring avec l’équipe ?
Pour être franc, cela tient plus au hasard même si je ne ressentais pas non plus le besoin de travailler avec eux. Puis comme la compilation est sortie juste avant, je voulais faire des collaborations avec des gens, certes affiliés au label, mais qui restent extérieurs à notre groupe. Cela me permet de tester de nouvelles choses.
Je voulais faire une parenthèse pour savoir comment s’est créé la collaboration avec la maison de Kitsuné pour l’EP Sookah ?
Kitsuné semblait être le label qui s’adaptait le plus à mon style. Puis la maison a toujours eu une partie hip hop dans son catalogue. Mais lorsque j’ai fait mon EP là-bas, on a pas vraiment essayé de comprendre la musique que je faisais. Du coup, je n’en garde pas forcément un très bon souvenir.
Doit-on attendre un album pour la suite ?
Oui un jour cela arrivera mais maintenant que Pass The Torch vient de sortir, je vais continuer à faire une grosse promotion, une mini-tournée si possible et proposer des visuels… Je veux que le projet vive longtemps.
En préparant cette interview, je me suis rendu compte que tu en avais déjà fait…
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