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Dans l’intimité de ‘Distant’ avec Sage Pee

Distant fait partie de ces projets qui, par leur densité et leur homogénéité, rendent difficile l’identification d’un single ou d’un coup de cœur. Homogénéité ne signifie pourtant pas similarité. En effet, chaque morceau est une pièce essentielle d’un puzzle audacieux. 10 morceaux qui se complètent, se magnifient et dont la douceur certaine contraste avec la puissance du fond.

Tu viens de sortir ton projet Distant, un projet très intime. Comment se sent-on au moment de livrer cette intimité aux auditeurs ?

C’est particulier parce que tu t’ouvres, tu ne sais pas comment les gens vont le recevoir. A chaque fois c’est un pas, à chaque fois c’est une nouvelle histoire. Tu révèles des choses tout en gardant une certaine mesure. Tu ne sais jamais si les gens vont comprendre où tu veux en venir. A la création, c’est un challenge et c’est quand les retours arrivent que tu te rends compte si tu as bien réussi à transmettre ce que tu voulais. Que ce soit ton histoire ou les émotions.

Avant, tu faisais beaucoup de production. Le fait de rapper, d’être maître de la création à 100%, est-ce que ça rajoute un peu d’appréhension et d’attente sur ce que tu vas livrer aux gens ?

Pour le coup non pas forcément, pas dans le résultat. C’est intéressant parce que je peux vraiment faire ce que je veux, je suis plus libre. Je peux être juste dans mes choix, ce qui me permet d’exprimer au mieux ce dont j’ai envie. Mais le fait que je produise ou que je rappe ne change pas comment je me sens à la sortie.

Ce projet, tu as ressenti le besoin de le faire parce que tu voulais être maître de ce que tu voulais transmettre aux gens ?

Oui, parce qu’avec la production, même si t’aimes ce que tu produis, t’as toujours des idées, des choses que tu imagines et que tu ne peux pas forcément réaliser car c’est l’œuvre d’un autre artiste. Le fait de pouvoir t’exprimer de A à Z, ça te remplit. Tu peux avoir quelques frustrations en produisant que tu n’as pas quand c’est ton œuvre. Quand tu produis, en fait, tu orientes la sensibilité de l’autre.

Dans ce projet, on retrouve en filigrane l’âme de Luidji, qui se devine ça et là, sans être pour autant prépondérante. Comment as-tu défini ta propre direction artistique ?

Je pense que c’est parce que je produis et que du coup, dans mes prods, il y a des choses qui ne me seraient pas adaptées. C’est ce qui fait que je suis capable de produire des gens et d’avoir mon propre univers. C’est à dire que dans les prods que je fais, il y en a que je vois pour moi et il y en a que je vois pour d’autres. En l’occurrence, par rapport à Luidji, on m’a connu par la production, mais j’avais déjà des prods qui correspondaient à ce que j’avais envie de faire en tant que rappeur.

Le projet s’ouvre avec un prologue dans lequel on entend des brèves de médias que tu coupes pour mettre de la musique. Est-ce que, surtout dans le contexte actuel compliqué, la musique est un réel échappatoire ? 

Énormément. Si on parle du confinement par exemple, pour les artistes, ça peut être vu comme une aubaine parce qu’on t’offre du temps. T’as le temps de t’investir sur tes projets et finalement quand t’es isolé tu peux travailler, rechercher l’inspiration etc. C’est même pas un mal. C’est dur parce qu’effectivement, il y a plein de choses qui ne marchent pas comme d’habitude, mais il y a, en tant qu’artiste, beaucoup de bons côtés je trouve.

La tracklist s’ouvre avec « Vers la lumière ». Est-ce que tu fais référence à une lumière intérieure et spirituelle, ou bien s’agit-il d’une lumière que tu aimeras avoir sur ton art, en tant qu’artiste confirmé?

Il y a un peu des deux, j’aime bien ta question ahah ! Je pense que dans les deux cas, c’est le côté spirituel qui prime, parce que peu importe l’exposition que tu as, c’est surtout comment toi tu ressens les choses qui compte. Je pense que même un artiste exposé peut vivre la chose de manière sombre. La lumière, c’est vraiment un ressenti.

Dans le morceau « ‘Je veux encore », tu prends énormément de flows différents. Je trouve au morceau un côté presque expérimental. Quand tu abordes ce genre de titre, as-tu une idée précise d’où tu veux aller ou tu te laisse submerger par la force créatrice ?

A l’origine, j’ai juste une idée de ce que j’ai envie de dire. Où je veux aller musicalement, je sais pas. Ça part du fond plutôt que de la forme. Au fil de la création, ça s’oriente et je suis les flows. Je canalise aussi! Je pense que c’est important de savoir canaliser son inspiration pour ne pas que ça parte dans tout les sens. Je fais en sorte de me laisser aller tout en me canalisant pour qu’il y ait une cohérence à la fin.

Tu dis: « Je dors 4 heures par nuit ». C’est une phrase banale quand elle est retirée de son contexte mais qui prend tout son sens dans ta manière de l’interpréter. On a un peu l’impression que c’est un cri pour expliquer que tu donnes tout pour la musique.

C’est plus pour dire aux gens: « Soyez prêts à faire des sacrifices ». Parce qu’au final, on sacrifie notre confort, notre sommeil, on sacrifie plein de choses pour arriver à nos fins.

Dans le morceau « Distant », il y a un interlude qui met en avant le doute envers ses proches et l’hypocrisie dont certains font preuve. C’est quelque chose que tu as ressenti en intégrant le monde de la musique ? 

En soi, je n’ai pas plus senti ça depuis que je suis dans la musique. Je pense que c’est un truc auquel on fait tous face, à la dualité entre ce qu’on attend des gens et ce qu’ils attendent de nous réellement. On croit à certaines choses et la réalité nous en montre d’autres.

Tu as un gimmick qui revient souvent : »Très haut depuis le préau ». Qu’est-ce qu’il signifie pour toi ? 

J’ai toujours été un peu dans mes pensées depuis petit, j’ai toujours été dans ma tête avec plein de pensées qui se bousculent. Il y a ça premièrement, et aussi le fait que j’ai toujours eu de l’ambition. J’ai toujours eu des rêves, et j’en ai encore.

« Celle qui m’a fait doit voir l’or avant le paradis ». Je vois dans cette phrase une volonté de rendre hommage à ta mère qui dépasse le simple cadre matériel.

Exactement ! Déjà on fait de la musique, ça peut être dur pour nos proches, parce qu’ils pensent que c’est un milieu aléatoire et que tu joues au loto. C’est important de les rendre fiers, peu importe ce qui arrive. Nous on se doit de leur rendre hommage.

Est-ce qu’à travers la phrase : « Croire que changer le monde c’est de mon ressort », tu exprimes ce ressenti que, parfois, on en demande trop aux rappeurs ? Qu’on exige d’eux qu’ils aient un rôle d’éducation et de parentalité.

Oui et non parce que je pense que quand quelqu’un fait de la musique, il fait juste de la musique. Il se met pas forcément dans la position d’un éducateur. On peut pas vraiment lui demander d’avoir ce rôle-la. Par contre, moi en tant qu’artiste, je ne perds rien a essayer de transmettre quelque chose qui puisse élever les autres. Donc selon moi en tout cas, c’est important, pas d’éduquer, parce qu’on est pas irréprochables, on a des travers, on est humains. Mais vouloir élever les autres comme on peut, c’est nécessaire. Ça grandit la musique qu’on fait, ça dépasse nos petites personnes. Je pense que c’est important de défendre une cause. Ce que je trouve intéressant, c’est d’apporter des questions et de faire en sorte que les gens réfléchissent. On a pas ce rôle d’éducation parce qu’on a pas la science infuse, on peut se tromper, être contradictoires dans notre discours. C’est possible qu’aujourd’hui j’exprime quelque chose et que dans le futur je revienne sur mes propos.

Dans le morceau « Distant », tu parles d’avoir perdu ton insouciance très tôt par ce que tu as vécu. Cette insouciance, tu la retrouves dans la création ?

Non pas vraiment. Je suis quelqu’un de très lucide et c’est sûrement à cause de mes expériences de vie que je suis aussi lucide. Je suis aussi très lucide par rapport à ce que je peux transmettre aux gens par mon exposition et ma musique.

Dans le prologue, on entend quelqu’un dire que chacun peut atteindre son élite intérieure. En faisant ce projet, estimes-tu avoir atteint un certain pallier d’élite intérieure ?

Oui parce qu’à chaque projet, on raconte une histoire et on dépasse certaines pensées. Je veux dire par là que quand tu as fini ton projet, tu te rends compte de ce que tu étais quand tu as fais ce projet-là. Tu te rends compte de ton évolution et pour moi, c’est aussi une manière de graver dans la roche ce que tu as été et de passer à autre chose. Chaque projet te fait passer un cap et te fait accepter certaines choses.


Merci à la rayonnante Lyva d’avoir organisé cette rencontre.

Prénom: Hicham, Nom: Boulehfa, Profession: magnifier l’âme.

Théo Lovestein

Malgré sa myopie, critique d'un oeil avisé. Son père a un jour dit de lui : "S'il passait autant de temps à ranger sa chambre qu'à écouter du rap, on pourrait bouffer par terre."

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